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L'Iran est-il «responsable» de la présence des Afghans chiites en Syrie?

Il faut répondre à cette obsession anti-Iran, et se poser la question, qui irrigue l'accusation des faucons américains et français: l'Iran est-il "responsable" de la présence de ces Afghans chiites en Syrie?
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Lors de la précédente chronique, on a rappelé les raisons qui peuvent pousser certains Afghans chiites à combattre en Syrie. Mais cette histoire, quand on lit certains articles en anglais puis en français, se copiant les uns les autres, c'est surtout une façon de critiquer, à nouveau, l'Iran. Il faut donc répondre à cette obsession anti-Iran, et se poser la question, qui irrigue l'accusation des faucons américains et français: l'Iran est-il "responsable" de la présence de ces Afghans chiites en Syrie?

Comme évoqué dans la précédente chronique, les 62 Afghans chiites morts en combattant en Syrie ont certes été enterrés dans différentes villes en Iran. Le n°2 de la fameuse Force Qods (corps des Gardiens de la Révolution ou Pasdarans), le Brigadier Général Esmaeil Qaani, a été présent à l'enterrement d'un certain nombre de ces Afghans. On peut constater que lors de ces enterrements, des membres des Pasdarans sont présents dans la procession, et en uniforme. Et la République islamique d'Iran offre un soutien aux familles des décédés. Donc bien entendu, il y a une sympathie iranienne pour les combattants chiites, d'Afghanistan ou d'ailleurs, qui vont combattre en Syrie, c'est l'évidence même. Par ailleurs, le soutien de l'Iran aux milices chiites, ainsi qu'aux forces régulières d'Irak est de Syrie, est bien connu. Déjà en 2012, le chef des Gardiens de la Révolution confirmait dans les médias que des membres de la Force Al Quds étaient sur place en qualité de conseillers. Et des forces pro-Assad et anti-Daech capitales comme les miliciens chiites irakiens et le Hezbollah libanais doivent beaucoup, historiquement, au soutien iranien. Donc il fait sens d'imaginer une aide iranienne aux Afghans chiites combattant en Syrie, au moins sur le terrain. Surtout en terme de conseillers militaires. Peut-être aussi par l'envoi d'armes. Mais pas forcément plus: même les commentateurs anti-Iran acceptent le fait que les combattants afghans ont des cadres uniquement afghans, jamais Iraniens, même pas Libanais du Hezbollah.

Une aide à ce niveau n'est pas forcément choquante pour l'analyste qui ne cherche qu'à analyser les faits. L'Iran veut protéger ses intérêts, voit Daech comme un danger mortel pour tous les chiites, Iraniens inclus, et considère les régimes à Bagdad et à Damas comme des alliés. De la même manière que des pays occidentaux aident à la protection de leurs alliés régionaux, notamment Israël, l'Arabie saoudite, et le Qatar, Téhéran soutient les siens. Dans les deux cas, rien de plus normal: chaque État suit une politique allant dans le sens de ce qui est considéré être ses intérêts nationaux. Dans cette affaire, présenter de façon négative la politique iranienne en Syrie, mais de façon très neutre, voire positive, la politique des Occidentaux sur cette même crise, ce n'est plus dans le registre de l'analyse intellectuelle sérieuse.

Par ailleurs, on l'a déjà expliqué, les Afghans combattant en Syrie considèrent agir également dans leur intérêt. Pour renforcer cet argument, concernant spécifiquement les réfugiés afghans en Iran, il faut rappeler qu'un tiers au moins d'entre eux ont vécu sur place plus de la moitié de leur vie. C'est-à-dire qu'à bien des égards, ils pensent comme les Iraniens, et se sentent concernés par ce qui concerne leur pays d'adoption. C'est encore plus fort dans le cas des enfants et petits enfants de ces migrants, qui ne savent souvent rien de l'Afghanistan, qui n'ont vécu qu'en Iran, qui sont en bonne partie Iraniens de cœur. Or le grand sujet d'inquiétude en Iran aujourd'hui (comme cela devrait l'être en France), c'est Daesh. Donc il n'est pas étonnant d'apprendre que des Afghans d'Iran partent combattre en Syrie, de la même manière que retrouver des Iraniens, des Libanais, des Irakiens sur place, tous marqués, en tant que chiites, par la crainte du terrorisme djihadiste, l'image présentée par certains médias d'agents recruteurs iraniens manipulant des Afghans passifs, les forçant au départ en Syrie, est bien en décalage avec la réalité du terrain.

Parce que c'est bien ça, l'accusation derrière la diffusion de cette histoire : peut-on affirmer, comme certaines sources américaines, que les Pasdaran travaillent à recruter activement, et directement, des réfugiés afghans, en échange de 500 dollars par mois et de papiers leur donnant le titre de résidents légaux dans le pays? Avec menace de déportation vers l'Afghanistan en cas de refus? Ce serait aller bien au-delà de l'aide sur le champ de bataille, ou de la simple sympathie pour des Afghans déterminés à se battre contre Daech. Même si on accepte la première partie de cette histoire sans aucune distance critique, on serait pourtant loin d'une politique de contrainte. En fait, on parlerait ici d'un État qui finance des combattants menant une lutte qui concerne Téhéran au premier chef. L'argent ou le titre de séjour ne peut pas vraiment être assimilé à de la contrainte: les Afghans présents en Iran savent ce qu'est la guerre civile, ils l'ont fui en Afghanistan pour un certain nombre d'entre eux.

Pour retrouver les horreurs de la guerre, aller combattre ailleurs, dans un pays dont on ne parle pas la langue, il faut une authentique motivation idéologique. Contrairement à ce qu'on peut lire dans certains papiers en Occident, dans cette affaire, les Afghans chiites ne sont ni passifs, ni manipulés. Il est autrement plus vraisemblable de penser que les quelques centaines présents sur place le sont pour des raisons idéologiques, animés par le désir de combattre des ennemis impitoyables du chiisme. Et, pour ceux qui vivaient en Syrie au début de la guerre civile, il s'agit d'une lutte pour la survie, tout simplement : une autre motivation autrement plus forte que les arguments d'un quelconque sergent recruteur...

Par ailleurs, le gouvernement Ghani a clairement fait savoir qu'il déposerait une plainte au Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU s'il découvrait la preuve d'un recrutement direct et délibéré de l'État iranien en direction des migrants afghans. On ne voit pas, aujourd'hui, Kaboul et Téhéran être en conflit sur cette question... Pourtant, si le gouvernement Ghani faisait sienne l'accusation des faucons américains, les relations diplomatiques pourraient être mises à mal, voire être rompues. Comme tout État souverain, l'Afghanistan ne pourrait en aucun cas accepter publiquement le recrutement de ses ressortissants par un pays étranger pour une guerre étrangère.

Admettons que Kaboul ait les mêmes informations que les journalistes faucons qui parlent de cette histoire, et pourtant, se refuse à s'opposer fortement à l'Iran sur ce sujet. Pourquoi ce silence? Peut-être parce que tout simplement, Daech est également un danger pour l'avenir de l'Afghanistan. Et parce que, n'en déplaise à certains Occidentaux, l'Iran est un allié indispensable à l'Afghanistan, essentiel pour la stabilité de ce pays. Enfin, tout simplement, il s'agit d'une preuve supplémentaire que l'accusation n'est pas prise au sérieux par les premiers concernés. Le fait est que, malgré les critiques qui peuvent toujours êtres faites pour améliorer la situation, l'Iran a été un hôte plus que correct pour une masse de réfugiés afghans depuis plus de trois décennies. Et si l'Iran essaye, directement, à organiser un flux de réfugiés afghans, ce n'est pas vers la Syrie en priorité, mais plutôt... vers l'Afghanistan, d'après les informations disponibles.

Bien sûr, l'auteur ni aucun autre analyste ne sont dans le secret des dieux. Il y a peut-être une structure en Iran qui même sans l'accord du gouvernement, dans le plus grand secret, cherche à pousser des chiites étrangers dont des Afghans, au combat en Syrie. Mais l'analyse sérieuse s'appuie sur des informations vérifiables, et cette chronique, comme la chronique précédente, ne fait que cela. Tant que d'autres informations sérieuses et vérifiables ne seront pas ouvertes au public, ce qui a été écrit dans les chroniques précédentes présentera au mieux la réalité sur le sujet des Afghans chiites combattant en Syrie, loin de tout simplisme.

Donc:

1. cette histoire, une fois débarrassée de ses approximations et de son sensationnalisme, ne peut permettre une critique de l'Iran.

2. Les articles qui, dans la presse, ont diffusé ce type d'informations approximatives en disent plus sur l'obsession anti-Iran de certains que sur la réalité du terrain.

Nous sommes sensés être aboutis à un accord de fait avec l'Iran sur la question du nucléaire. Mais cet accord tiendra-t-il si certains faiseurs d'opinions, et certains politiciens, s'obstinent à regarder Téhéran uniquement avec des lunettes idéologiques? De fait, du côté iranien, comme du côté occidental, on va devoir passer d'une lutte diplomatique à un combat intellectuel, dans chaque pays, entre les réalistes, qui veulent à terme un Moyen-Orient stabilisé, et les idéologues, qui se moquent des faits quand cela les arrangent, et dont beaucoup rêvent, en secret, d'une guerre entre civilisations. Espérons qu'en France, les réalistes, et ceux qui travaillent véritablement sur l'Iran, soient un peu plus entendus par nos hommes politiques et nos diplomates...

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Mai 2017

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