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L'utilisation de Twitter par l'État islamique: que faire?

Si nous voulons lutter contre le djihadisme, il n'est pas suffisant de faire une petite manif populaire après un événement traumatisant, et ensuite rentrer chez soi.
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Pour commencer, il est évident que le but, ici, n'est pas d'accabler Twitter. L'entreprise Twitter Inc. a su répondre à la pression médiatique, et de ses utilisateurs ces derniers mois. Et cela, au nom de son propre code de conduite, disant clairement que les utilisateurs ne peuvent en aucune façon «faire des menaces de violence ou promouvoir la violence, y compris par (...) la promotion du terrorisme». D'où, fin février 2015, la suspension de 2000 comptes associés à l'organisation État islamique et ses compagnons de route, en juste quelques jours. Depuis octobre 2014 plus largement, plusieurs milliers de comptes associés au groupe terroriste ont été supprimés. Le problème, c'est que ce type d'actions n'est sans doute pas suffisant pour lutter contre le fléau. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler les chiffres évoqués lors du dernier article.

Comment, donc, lutter contre ce fléau qu'est l'État islamique sur Twitter ?

Il est clair que Twitter doit continuer son travail de suppression des comptes associés à la propagande de l'État islamique, et être bien plus actif dans ce sens. Cela signifie, par exemple, rendre le processus de dénonciation des comptes en langues européennes (notamment l'allemand, le français, l'italien, et le turc) bien plus dynamique. Quand un compte Twitter djihadiste dans ces langues est signalé par un utilisateur, le délai jusqu'à la suspension est bien trop important. Par ailleurs, supprimer juste des comptes, pour qu'ils réapparaissent par la suite, n'est pas suffisant pour lutter efficacement contre le djihadisme. Il faudrait que Twitter aille plus loin dans sa lutte contre l'État islamique en ciblant constamment les djihadistes les plus actifs sur sa plateforme. Le cyber-activiste XRSone a montré comment produire une base de données autonome traquant les nouveaux comptes Twitter en utilisant l'interface de programmation... de Twitter.

Si quelques individus peuvent collecter plus de 25 000 comptes suspects par eux-mêmes en utilisant une telle interface, la compagnie qui a créée ladite interface devrait être capable de faire un travail encore plus poussé. Et il faut que les pouvoirs publics l'invitent à aller dans ce sens.

En fait, il faut surtout que ces derniers prennent leurs responsabilités: quand on lit qu'aux États-Unis et ailleurs, on préférerait laisser les comptes Twitter djihadistes exister pour que les services puissent faire un travail de renseignement, on croit rêver... Bien sûr, ces comptes permettent d'offrir des informations à l'analyste et au chercheur universitaire. Mais on aurait le droit de ne pas se sentir rassuré, en tant que citoyens européens, si nos services en sont réduits à scruter Twitter pour assurer notre sécurité.

Et surtout, on n'échappe pas au fait que les réseaux sociaux servent de formidable outil de recrutement, et qu'il faut tout simplement que ce recrutement se raréfie pour mieux assurer notre sécurité. Si certains des jeunes recrutés sont trop profondément pris dans leur délire idéologique pour être récupérables, d'autres sont d'abord des paumés, culturellement ou intellectuellement. Parmi celles et ceux qui se retrouvent en Syrie, nombreux sont les personnes qui ont quitté les pays occidentaux suite à la propagande quotidienne suivie sur les réseaux sociaux. Empêcher ce «bourrage de crâne», c'est une façon d'assécher la source du recrutement étranger de l'État islamique.

Par ailleurs, ce que les compagnons de route des djihadistes et les paumés tentés par l'exil échangent sur Twitter et ailleurs sur internet, c'est de la propagande trash: assez pour perturber des cerveaux fragiles, déjà conquis ou profondément en colère contre la société, pas assez pour empêcher le prochain attentat terroriste. L'intérêt de laisser trop librement les djihadistes utiliser un outil comme Twitter est donc relatif. Il y a d'autres moyens pour repérer les cerveaux malades; quant aux autres, leur éviter un accès trop facile à cette propagande, c'est exactement la même chose que d'éviter qu'un pédophile s'approche d'un enfant facilement manipulable: c'est du simple bon sens. Quant à la véritable information, allons la chercher à l'étranger avec nos alliés locaux, et via le renseignement humain et technologique sur notre territoire.

Cela, certains élus français l'ont déjà compris, et poussent en conséquence les pouvoirs publics. On pense par exemple à la sénatrice Françoise Laborde, qui a soumis une liste de comptes Twitter clairement associés à la mouvance ÉI au ministère de l'Intérieur, et qui travaille activement à un projet de campagne sur les réseaux sociaux visant à faire mieux connaître le dispositif Pharos. Il faut espérer que d'autres élus fassent preuve d'un tel esprit d'initiative, preuve que certain(e)s de nos hommes et femmes politiques prennent leur engagement citoyen très au sérieux. Des questions parlementaires devraient être posées au gouvernement français et aux institutions européennes jusqu'à ce qu'ils s'engagent réellement dans la guerre de l'information contre État islamique. Des organisations qui souhaitent peser sur ce point, comme l'European Foundation for Democracy, ont d'ailleurs bien compris l'importance des politiciens, au niveau européen comme national, pour qu'une véritable évolution sur le front de la guerre «pour la conquête des cœurs et des esprits».

On constate qu'à partir d'Europol, une coordination européenne se prépare afin de mieux lutter contre l'État islamique sur internet. C'est une bonne nouvelle, et il faut que les États européens coopèrent activement dans ce sens: le problème est transnational et multilingue, et une victoire totale ne peut être obtenue que sur un seul territoire. Il faut aussi que les industries liées à internet coopèrent pleinement et de façon transparente avec Europol.

Mais surtout, il ne faut pas attendre passivement que nos élus et nos différentes administrations compétentes passent à l'action. Cette lutte, c'est celle de tous les citoyens. On s'épuise en débats stériles aujourd'hui, pour savoir qui est «Charlie» et qui l'est moins. Ça n'a aucun sens. Ce que le 11 janvier devrait signifier pour nous, c'est aussi un réveil civique. Si nous voulons lutter contre le djihadisme, il n'est pas suffisant de faire une petite manif' populaire après un événement traumatisant, et ensuite rentrer chez soi. Il faut apprendre à devenir ce qu'on est déjà plus aux États-Unis, à savoir, des citoyens actifs.

Nous avons tous des élus dans nos quartiers. Suivant la stratégie de lobbying par la base à l'américaine, il faut les mobiliser. Leur envoyer des lettres. Glissez dans une enveloppe vos inquiétudes par rapport à cette propagande via les réseaux sociaux, votre exigence de voir le législateur faire son travail. Mettez-y cet article et d'autres prouvant à vos élus l'importance du problème. S'il ne reçoive qu'une ou deux lettres, peut-être qu'ils ne feront rien. Mais s'ils en reçoivent 10, 15, 20, qu'en même temps ils voient la couverture médiatiques sur ce sujet... ils agiront. Et le citoyen qui aura juste envoyé une lettre ou un email aura fait partie de la solution au problème posé par le monstre djihadiste...

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