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Des Afghans pro-Assad et pro-Iran en Syrie?

L'Iran recruterait "des milliers" d'Afghans chiites pour combattre les opposants à Bachar el-Assad, notamment Daech, en Syrie. Quelle est la part de vrai, et la part de fantasme, dans toute cette histoire?
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Le titre de cet article fait référence à une accusation entendue plus d'une fois chez certains analystes américains, notamment depuis une dizaine de mois. Selon ladite accusation, d'abord issue de journaux proches des "faucons" en politique étrangère, l'Iran recruterait "des milliers" d'Afghans chiites pour combattre les opposants à Bachar el-Assad, notamment l'État islamique, en Syrie. Dans cette histoire, telle que racontée par les néoconservateurs américains et leurs alliés, les Afghans en question semblent totalement passifs, et les Iraniens seraient en position de contrôle. Toujours selon elle, il faudrait mettre les djihadistes égorgeurs et les combattants chiites venus de l'étranger pour combattre en Syrie, au même niveau... Enfin, selon cette narration accusatrice, cet exemple prouverait l'"impérialisme" de l'Iran, coupable de "manipulation" des chiites afghans dans ce cas précis.

Et encore, il s'agit ici de la version la plus aboutie. D'autres sont plus brouillonnes, et visent uniquement à critiquer l'Iran. Ainsi, dans ce court reportage de CNN, on passe d'un prisonnier pro-Assad qui s'avère être un Afghan chiite, ce qui peut faire sens... à des "Taliban" qui seraient soi-disant payés par l'Iran, mais prêts à passer en Syrie pour se battre pour Assad... et pour Daeh. Pour des géopoliticiens de salon qui ne connaissent rien à l'Afghanistan, quelques hommes avec un bout de tissu sur la tête, et des chapelets de prière, avec pour toile de fond des images d'entraînement à la kalachnikov c'est une preuve suffisante. Pour toute personne ayant fait de vrais terrains en Afghanistan et au Pakistan, comme pour toute personne de bon sens... c'est un peu faible.

Quelle est la part de vrai, et quelle est la part de fantasme, dans toute cette histoire? On va essayer d'y voir plus clair, dans une réflexion sur deux chroniques. Hélas, quand on ne se limite pas aux accusations et aux postures idéologiques, l'analyse prend plus de place...

Tout d'abord, les Afghans chiites sont-ils en train de combattre pour le régime de Bachar el-Assad en Syrie?

Si des articles insistent sur la présence d'Afghans chiites, selon eux recrutés par l'Iran, ils deviennent très timides quand il s'agit de donner le nombre des combattants de nationalité afghane sur place. Pourtant diverses sources, anglo-saxonnes et autres, n'ont pas ce problème avec les volontaires étrangers venant d'Irak, ou du Liban. Il est vrai que dans les deux cas, on parle d'une présence avérée, vérifiable très clairement sur le champ de bataille, et représentant plusieurs milliers de personnes. Des forces qui, pour le coup, ont été importantes pour la survie du régime d'Assad. Au mieux, les sources ouvertes parlent de plusieurs centaines de combattants. Plus nombreux que les chiites yéménites actifs en territoire syrien (qui seraient dans les alentours de 200), mais pas la présence étrangère la plus conséquente, loin de là.

Présence avérée malgré tout, prouvée entre autres par l'étude des médias iraniens. Ces derniers ont couvert l'enterrement de 62 Afghans ayant vécu en Iran avec leurs familles respectives, et étant mort au combat en Syrie depuis septembre 2013 jusqu'à la première quinzaine de mars 2015. Ils sont rattachés principalement à des groupes comme la Brigade Fatemiyoun (officiellement fondée à Kaboul, composée d'abord d'Afghans chiites) et la Brigade Abou Fadl al-Abbas (force chiite accueillant beaucoup de chiites étrangers désireux de lutter en Syrie, dont des Afghans). Autant selon des sources afghanes qu'iraniennes, ces Afghans viennent en bonne partie de la communauté afghane installée en Iran, mais pas seulement. Pas moins de 2000 Afghans chiites, notamment Hazaras, vivaient en Syrie comme réfugiés. Beaucoup habitaient près de la mosquée de Sayyidah Zeynab, au sud de Damas. Un lieu devenu sacré pour les chiites du monde entier, surtout ces dernières décennies, car on trouve le mausolée de Zaynab bint Ali, fille d'Ali et personnage clé de l'Histoire de cette branche de l'Islam.

Dès le début de la guerre civile syrienne, les Afghans chiites ont de nouveau été ciblés par des extrémistes sunnites, comme du temps des Taliban. Pour ceux qui vivaient près de Sayyidah Zeynab, comme pour tous les croyants chiites, la perspective de leur lieu saint détruit par des barbares djihadistes était tout simplement inacceptable. Donc nombreux sont les réfugiés afghans en Syrie qui ont eux-mêmes pris les armes. La Brigade Abou Fadl al-Abbas a d'ailleurs été créée par des chiites étrangers vivant près de Sayyidah Zeynab, et souhaitant la défendre. Il s'agit donc, pour les Afghans chiites, non pas d'un combat pour Bachar, ou pour les intérêts géopolitiques iraniens... mais un combat pour la préservation de leurs lieux saints, de leur culture spécifique, et de la vie de la communauté chiite locale, tout simplement. Bien sûr, ils peuvent travailler avec des forces directement liées à l'Iran, ou avec l'armée régulière syrienne. Ce dernier cas semble avéré aujourd'hui. Mais rien de bien étonnant: ils combattent le même ennemi, dont le but principal est de liquider les Alaouites (au pouvoir en Syrie) comme les chiites moyen-orientaux en général.

Mais le fait que certains Afghans chiites soient motivés par le combat en Syrie, même s'ils sont eux-mêmes en Afghanistan, fait sens. Ils savent que Daech ne s'arrêtera pas au massacre des chiites d'Irak et de Syrie. En Afghanistan, les Taliban qui ont abandonné la cause du mollah Omar pour se rallier au nouveau soi-disant « Califat » mènent une politique de persécution particulièrement dure contre les Hazaras. Le danger est considéré comme existentiel pour ce peuple afghan. Au point que l'impensable a eu lieu, dans le courant du mois de mars 2015. Une réunion a eu lieu entre les leaders des Hazaras et des chefs Taliban locaux. Les Taliban sont leurs ennemis de toujours, mais Daesh leur apparaît aujourd'hui comme une menace plus formidable encore, à plus long terme. Les Taliban toujours fidèles au mollah Omar voient également d'un mauvais œil les extrémistes ralliés à Al Baghdadi.

Des rumeurs, en Afghanistan, parlent même de récents affrontements violents entre Taliban pro-mollah Omar, et Taliban pro-Daesh, à Kandahar. Donc quand les chefs de la communauté hazara de Ghazni leur ont demandé aide et protection face à la présence de Daesh dans la région, les Taliban ont accepté. Il est clair que c'est une alliance de circonstance. Mais si les Hazaras sont prêts à parler à ceux qui les ont massacrés par le passé, pour mieux s'opposer à Daesh, on imagine aisément que certains chiites afghans vont jusqu'au bout de leur logique d'opposition au pseudo-Califat. Ce qui signifie, aller combattre directement Daesh en Syrie et en Irak. Le groupe d'Al Baghdadi, de son côté, a réussi à recruter un petit nombre d'Afghans sunnites qui combattent aujourd'hui également en Syrie, contre les chiites qu'ils rêvent de massacrer chez eux aussi... Dans les deux cas, on parle d'Afghans qui se préparent à des tensions ethniques et religieuses dans leur pays dans les années à venir. Mais dans le cas des Afghans chiites, il s'agit de combattre pour leur survie. Alors que les Afghans sunnites combattant pour Daech rêvent d'exterminer tous les chiites, au Moyen-Orient et ailleurs...

Donc:

- OUI, selon toute vraisemblance, des Afghans chiites combattent en Syrie., Mais le nombre de combattants reste limité, d'après les sources ouvertes.

- NON, ils ne sont pas là-bas pour combattre pour Bachar el-Assad. Ils luttent pour protéger la population chiite, sa survie spirituelle, culturelle, physique sur le territoire syrien, et au-delà. Un combat que devrait comprendre une Europe qui s'émeut du sort des Chrétiens et des Yézidis, à juste titre.

- NON, il n'y a aucune équivalence morale possible entre les djihadistes et les combattants chiites, y compris afghans, présents sur le champ de bataille syrien. Les djihadistes proches d'Al Qaïda et de Daesh détruisent les lieux saints des autres tendances religieuses. Parfois ils vont jusqu'au massacre, toujours ils utilisent le terrorisme aveugle. Les combattants chiites, y compris afghans, se battent, encore une fois, pour leur survie.

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