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Après Sotchi: l'état de la rébellion et du djihadisme russe dans le Caucase du Nord

On pourrait penser les rebelles luttant pour un Caucase du Nord indépendant comme bien affaiblis aujourd'hui. Pourtant, on aurait tord d'enterrer trop vite l'opposition nationaliste et djihadiste dans ce territoire russe.
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On pourrait penser les rebelles luttant pour un Caucase du Nord indépendant comme bien affaiblis aujourd'hui. Après tout, l'ancien leader (aujourd'hui décédé) de l' "Émirat du Caucase", Dokou Umarov, avait demandé à ses combattants de frapper pour perturber voire faire annuler les Jeux olympiques d'hiver dans une vidéo de juillet 2013. Et... rien ne s'est passé. Pourtant, on aurait tort d'enterrer trop vite l'opposition nationaliste et djihadiste dans ce territoire russe.

Certes, la rébellion a subi constamment des pertes ces deux dernières années: 298 de leurs combattants ont été tués l'année dernière, et 404 en 2012. Mais ici, rien d'étonnant: en 2008 546 "bandits", pour reprendre le mot russe, avaient déjà été éliminés. Cela n'a pas empêché d'ailleurs, la même année 2008, de voir pas moins de 226 forces pro-russes être tuées, 420 blessées, et au moins 129 attaques terroristes perpétrées. Ce que ces chiffres prouvent, c'est surtout que les différentes cellules rebelles réussissent toujours à trouver de nouvelles recrues. En fait, ces groupes seraient régulièrement contraints de refuser des "candidatures", par manque de moyens pour encadrer et former tout le monde...

Il est vrai qu'ici, même quand on parle de "djihadistes", on n'a pas affaire aux sanguinaires terroristes sunnites sectaires influencés par le wahhabisme saoudien, et commettant des crimes contre les civils au Pakistan ou en Irak. Le combat dans le Nord-Caucase cible clairement les élites politiques locales, en premier lieu, accusées d'être corrompues, et les forces de l'ordre directement engagées dans la répression. Leur modération face à la population civile locale a été prouvée lors de certaines des actions qui ont nourri la légende les concernant, par exemple en Ingouchie, à Nazran (2004) ou dans le Kabardino-Balkarie, à Naltchik (2005). Dans chacune de ces opérations commandos, ils se sont assurés d'éviter de verser le sang des innocents. Y compris des policiers n'étant pas liés directement à la répression, mais faisant juste la circulation: ces derniers avaient alors été désarmés et renvoyés dans leurs foyers. Par contre, il n'y a eu aucun quartier quand les bâtiments du FSB et de la police sont attaqués...

En bref, la guerre pour "les cœurs et les esprits" a déjà été en bonne partie gagnée par les rebelles. Chaque fois qu'on les a crus trop faibles ou éliminés sur un territoire, ils ont clairement rappelé que c'était faux. On se souvient que les forces pro-russes à Grozny affirmaient souvent, à la fin des années 2000, que la menace terroriste avait été liquidée en Tchétchénie. L'attentat suicide contre le ministère de l'Intérieur tchétchène, le 15 mai 2009, a forcé les autorités locales à atténuer ce discours triomphaliste. On sait aujourd'hui que la lutte est constante, en Tchétchénie comme ailleurs, même si spécifiquement sur ce territoire, on le cache à la population locale.

Alors, pourquoi les djihadistes/rebelles tchétchènes n'ont pas frappé Sochi? Pour commencer, il ne faut pas oublier que le leadership de l'"Émirat du Caucase" n'est pas absolu, ni forcément respecté par tous au-delà d'une déférence symbolique. On a d'autres exemples d'une telle situation ailleurs dans le monde: le mollah Omar par exemple, qui est un peu la "reine d'Angleterre" des talibans en Afghanistan et au Pakistan. Tout le monde dit le respecter, mais quand il appelle à ne pas combattre Islamabad, à se concentrer sur la seule lutte afghane, et en Afghanistan, à éviter de tuer des civils, personne n'obéit. Il est bien connu que Doku Umarov était contesté par certains leaders rebelles, alors que le mollah Omar n'a jamais vu son autorité contestée. Il aurait donc été encore plus difficile pour le leader tchétchène de se faire entendre par ses troupes.

Mais cet argument seul n'est pas suffisant pour comprendre pourquoi aucun attentat n'a été mené en fin de compte. Deux points sont bien plus importants: tout d'abord, l'opinion internationale, surtout occidentale, compte peu pour ceux qui luttent contre l'État russe. De fait, les rebelles n'attendent plus rien de Paris, Londres ou Washington: ils ont attendu pendant toutes les années 1990, alors que des nationalistes modérés et réalistes étaient au pouvoir. Et rien n'est venu, prouvant aux yeux des Tchétchènes une certaine hypocrisie et impuissance euro-américaine face à Moscou. Donc braver les 70 000 membres des forces de l'ordre présents pour la protection des jeux olympiques, juste pour frapper un grand coup dont on parlerait quelques jours sur CNN ou Fox News... le jeu n'en valait pas la chandelle.

Le but pour les rebelles, c'est de faire pression sur les Russes jusqu'à ce qu'ils partent. C'est donc eux qu'il faut viser, dont il faut marquer les esprits, pas les Américains ou les Français. Cette approche a été confirmée par les déclarations de deux groupes rebelles/djihadistes différents, qui disent la même chose: leur but est de procéder comme à Volvograd, mener des attentats suicide terrorisant la population. L'un des deux groupes va même jusqu'à menacer d'attaques à l'arme chimique. Il est probable que cela soit une bravade. Mais bien des choses peuvent s'acheter, voire se trouver dans l'espace post-soviétique. Après tout pendant la première guerre de Tchétchénie, l'inventaire des sources radioactives a été détruit. Du coup, on en redécouvre régulièrement, y compris près de lieux d'habitation. Il y a également beaucoup d'entrepôts d'armes chimiques dans le pays. Il est difficile de savoir s'ils sont bien sécurisés, les avis sont très divergents à ce sujet. Cela rend la menace d'autant plus réelle: pas besoin d'évoquer de possibles armes chimiques venant de Syrie comme certains analystes. Les djihadistes du Nord-Caucase ont tout à porter de main.

Et quand bien même il n'y aurait pas d'attaque chimique, la victoire des rebelles, jusque-là, est d'avoir réussi à durer, à tenir face à la machine de guerre de l'une des grandes puissances mondiales. Ils résistent sur l'ensemble du Caucase du Nord, alors que dans les années 1990, ils n'étaient guère actifs qu'en Tchétchénie et après quelque temps au Daghestan, un territoire voisin. Depuis un peu moins de 15 ans, ils ont réussi à frapper régulièrement hors du Nord-Caucase, créant un sentiment de peur dans l'ensemble du territoire russe. Et à l'intérieur de cette rébellion, le djihadisme, ou en tout cas un nationalisme régional teinté d'islamisme dur l'a emporté, au moins pour l'instant. On les a vus, après la dernière guerre de Tchétchénie, tout doucement, prendre le pouvoir face aux nationalistes modérés.

Alors que ces derniers ne recevaient que des bonnes paroles d'Occident, ils ont reçu un soutien financier et militaire de la mouvance djihadiste internationale. C'est ce qui explique quelque chose que les analystes occidentaux ont du mal à accepter. Quand Doku Umarov a définitivement enterré le nationalisme tchétchène combattant seul pour sa survie, afin de promouvoir l'émergence d'un Émirat sur les terres musulmanes du Nord-Caucase comme la cause des rebelles contre Moscou, il ne l'a pas fait sous la pression d'une petite "minorité". Il l'a fait parce que les événements après le 1ère guerre de Tchétchénie ont prouvé que le nationalisme tchétchène inspiré d'une approche à l'européenne ne pouvait pas marcher; que les Tchétchènes seuls ne pourraient pas réussir à s'imposer militairement face à la Russie, et qu'utiliser l'islamisme politique était la meilleure façon d'unifier idéologiquement les rebelles du Nord-Caucase, et d'attirer des fonds étrangers (pays du Golfe tout particulièrement).

Le Nord-Caucase va donc continuer à être agité et instable, source de peurs et de dangers pour les citoyens russes. Et les Européens ne devraient pas se réjouir des problèmes russes dans le Nord-Caucase: le lien avec le djihadisme international, qu'il ne faut pas voir de façon simpliste, mais qui existe, pourrait être source de dangers pour d'autres pays que la Russie à l'avenir. Par ailleurs, tant que ce problème nord-caucasien ne sera pas réglé, d'une façon ou d'une autre, l'État russe se sentira vulnérable, sentant son intégrité territoriale et son statut de grande puissance en danger. Ce qui ne donnera pas l'envie au Kremlin d'être flexible, que ce soit sur des questions internes (façon de gérer la rébellion dans le Nord-Caucase autrement que par la répression) ou externes (Ukraine notamment).

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