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Afghanistan: la paix venue de Chine

Pour amener la paix en Afghanistan, c'est la diplomatie chinoise qui semble être la plus prometteuse.
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Chroniques d'Asie du Sud-Ouest (26)

On l'a vu dans la précédente chronique, la diplomatie chinoise semble avoir été, cette dernière année au moins, particulièrement active et désireuse d'aider l'Afghanistan à retrouver une certaine paix civile. Une politique pragmatique: si la Chine veut aider à la stabilité de son environnement régional à l'ouest, la Pax Sinica du XXIe siècle devra passer par Kaboul. Et cela, Ghani l'a compris, c'est pourquoi sa diplomatie soutient l'orientation chinoise sur le dossier afghan.

C'est pour ça qu'il a choisi Beijing pour sa première visite officielle, moins d'un mois après son arrivée officielle à la présidence en septembre 2014. Il a très vite compris la différence qualitative de la Chine, une grande puissance mais aussi un voisin, par rapport aux lointains Occidentaux. C'est ce qui l'a amené à déclarer que Beijing est «un partenaire stratégique sur le court terme, le moyen terme, le long terme, et le très long terme». Il reste proche des Américains, mais l'hyperpuissance a d'autres problèmes, en Syrie, en Irak, en Ukraine... Depuis plusieurs années, en général, du diplomate confirmé à l'homme de la rue, on a accepté, en Afghanistan, d'être vu comme un sujet moins important que d'autres points chauds de la planète. La Chine, de par sa proximité géographique, ne peut pas se permettre une telle désinvolture face au dossier afghan, sur le court terme comme sur le long terme. Kaboul l'a bien compris, et compte bien s'appuyer sur la bonne volonté de cette grande puissance pour se donner une autre chose de gagner la paix.

La proposition d'une aide concrète à un éventuel processus de paix avec les talibans à la fin de l'année a d'abord surpris les officiels afghans. Bien sûr, elle était clairement souhaitée, et a été accueillie très favorablement. On l'a expliqué ailleurs, le gouvernement Ghani a compris que dans un face à face avec les talibans, il ne pourrait jamais forcer ces derniers à s'asseoir à la table des négociations. Il cherche donc désespérément toute l'aide des forces extérieures susceptibles de convaincre les rebelles. Et pour l'entourage de Ghani, pas de doute: la Chine pourrait être l'honest broker, le médiateur neutre et bienveillant dont l'Afghanistan a besoin pour arriver à la paix avec les talibans. Ou, en tout cas, l'une des principales forces capables de permettre d'arriver à ce but.

Comme Ghani comprend toute l'importance de la Pax Sinica pour l'Afghanistan et ses voisins, il veut montrer que l'Afghanistan peut faire sa part pour aider à la stabilité de la région.

Il n'est pas un secret que les services de sécurité afghans sous Ghani sont très actifs pour montrer à Pékin qu'ils pourraient être utiles à la lutte antiterroriste chinoise. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la remise à Beijing en février 2015 d'au moins trente jihadistes ouïghours capturés aux côtés des talibans. Le gouvernement Ghani a voulu montrer, par cette action, que l'Afghanistan pouvait être utile à la lutte antiterroriste de la Chine. Le président afghan a bien compris, comme tous les analystes qui sont suivis les relations sino-afghanes, que ce qui motive principalement Beijing sur ce sujet, ce sont d'abord les questions de sécurité, notamment le maintien de la paix et de l'ordre au Xinjiang. L'armée afghane agit donc en conséquence. C'est d'ailleurs pourquoi elle a été particulièrement active dans le nord du pays ces derniers mois. C'est au nord que les membres du Mouvement islamique d'Ouzbékistan, auquel des jihadistes ouïghours ont toujours été affiliés, agissent aujourd'hui. Ils sont intégrés de fait à la machine de guerre des talibans. Cela représente une menace pour la stabilité centre-asiatique, une zone importante pour la Chine et son projet de nouvelle route de la soie, bien entendu. Mais la présence du M.I.O. dans le nord, amène à craindre, côté chinois, une possible présence de jihadistes ouïghours du côté des zones frontalières. Ils pourraient être tentés, à l'avenir, de passer non pas en Asie centrale post-soviétique, mais au Xinjiang. Le gouvernement Ghani a tenu à se montrer utile dans la lutte contre une telle menace, gênante pour la logique de nouvelle route de la soie.

Si Kaboul se montre aussi enthousiaste face à l'action diplomatique chinoise, c'est également parce que pour la diplomatie afghane, une relation plus solide avec Islamabad passe par Beijing.

En effet, le président Ghani voit en la Chine une force capable d'influencer les Pakistanais dans le sens des intérêts afghans, ou en tout cas d'aider Afghanistan et Pakistan à se parler, et à mieux coopérer ensemble pour faire régner la paix des deux côtés de la frontière entre les deux pays. Le président afghan a déjà fait des gestes importants pour rassurer les Pakistanais, leur prouver que l'Afghanistan ne serait plus ouvertement et agressivement pro-Inde comme sous l'ancien président Karzai. C'est pourquoi, en octobre 2014, il a suspendu les demandes afghanes de matériel militaire à New Delhi, et il a repoussé autant que possible un déplacement officiel en Inde. Lorsqu'un tel déplacement a eu lieu fin avril 2015, il a tenu à rassurer la potentielle grande puissance d'Asie du Sud, tout en rappelant également que l'aide du Pakistan était essentielle pour arriver au but ultime de sa présidence, à savoir aider à une pacification progressive de l'Afghanistan. Cette politique a porté ses fruits: face à un interlocuteur honnête dans son désir de relations bilatérales plus saines, on observe une meilleure coopération entre le Pakistan et l'Afghanistan dans le domaine sécuritaire. Mais les blessures et les méfiances entre les deux pays sont trop anciennes, la guerre froide indo-pakistanaise a duré trop longtemps en territoire afghan, pour que les relations entre Kaboul et Islamabad s'assainissent totalement aussi vite. Pour aider à cela, l'influence de la Chine sera essentielle, et c'est sur elle que Ghani semble beaucoup compter.

Tous les éléments sont donc réunis, cette année, pour que les relations bilatérales entre Kaboul et Beijing soient très fructueuses. Elles pourraient aider, à terme, à apaiser une zone qui a constamment connu guerres et rébellions contre l'autorité des pouvoirs centraux (Afghanistan et zones tribales pakistanaises) pendant plus de trois décennies. Il faut espérer que cet espoir ne sera pas gâché par une politique à courte vue de puissances extérieures. Certains, aux États-Unis, en dehors de l'administration actuelle, semblent ne pas être capables de voir qu'un potentiel succès chinois, ici, c'est le succès de toute la communauté internationale. Et en Inde, certains à droite de l'échiquier politique vont forcément voir d'un mauvais œil un Afghanistan plus neutre à l'égard de leur pays. Par ailleurs, ils seront forcément gênés de voir l'alliance historique sino-pakistanaise être la locomotive d'un éventuel processus de paix entre Afghans. Il faut espérer, qu'à New Delhi comme à Washington, sur les mois et les années à venir, les voix de la raison seront écoutées, plutôt que ces critiques à tendance chauvine. Peu importe que l'Afghanistan se stabilise sous une Pax Americana, une Pax Sinica, ou une Pax Indica, du moment qu'il se stabilise. Et aujourd'hui, c'est la diplomatie chinoise qui semble être la plus prometteuse, «sur le court terme, le moyen terme, le long terme, et le très long terme»...

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