Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Afghanistan: premières leçons des élections présidentielles

Que peut-on dire du premier tour des élections afghanes? Les résultats préliminaires devraient tomber le 24 avril. Et le résultat final ne sera donné que le 14 mai. Si aucun des candidats n'obtient plus de 50% des voix, il y aura un deuxième tour, prévu le 28 mai.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Afghan voters display their national identity cards as they queue to cast their votes at a local polling station in Kandahar on April 5, 2014. Afghan voters went to the polls to choose a successor to President Hamid Karzai, braving Taliban threats in a landmark election held as US-led forces wind down their long intervention in the country. AFP PHOTO/Banaras KHAN (Photo credit should read BANARAS KHAN/AFP/Getty Images)
BANARAS KHAN via Getty Images
Afghan voters display their national identity cards as they queue to cast their votes at a local polling station in Kandahar on April 5, 2014. Afghan voters went to the polls to choose a successor to President Hamid Karzai, braving Taliban threats in a landmark election held as US-led forces wind down their long intervention in the country. AFP PHOTO/Banaras KHAN (Photo credit should read BANARAS KHAN/AFP/Getty Images)

Que peut-on dire, aujourd'hui, du premier tour des élections afghanes? Il faut certes, rester prudent. Comme cela a été dit le 6 avril par le porte-parole de la Commission électorale, Mohammed Noor, le vote des zones les plus éloignées ne sera pas comptabilisé avant une semaine. Les résultats préliminaires ne devraient tomber que le 24 avril. Et le résultat final ne sera donné que le 14 mai. Si aucun des candidats n'obtient plus de 50% des voix, il y aura un deuxième tour, normalement prévu pour le 28 mai.

Avant de parler des résultats, d'après ce que l'on sait, on peut déjà remarquer que les Afghans se sont pleinement engagés dans cette élection, faisant preuve de courage et de maturité politique. 7 millions d'Afghans (dont 35% de femmes) sont allés voter le 5 avril, soit 60% de participation, plus qu'honorable pour un pays en guerre. Et il y a une nette amélioration en comparaison des élections de 2009, où seulement 4,5 millions d'Afghans avaient voté. Certaines actions politiques, passées inaperçues, sont également source d'espoir. On pense en particulier à Daoud Sultanzoy, l'un des huit candidats à l'élection présidentielle, qui est venu voter... avec sa femme. Un geste qu'il a revendiqué comme un appel aux élites afghanes, afin qu'elles cessent d'être misogynes par démagogie, en croyant plaire au peuple, considéré comme unanimement conservateur. Cela montre le visage d'un monde politique afghan pas forcément unanimement corrompu (accusation facile souvent lancée d'Occident), mais également responsable, et conscient des défis énormes qui attendent le pays en 2014 et au-delà. Plus généralement, c'est aux Afghans du quotidien que l'on doit cette victoire symbolique que fut ce premier tour. Ils ont fait la queue malgré le mauvais temps, malgré la déception que fut une élection présidentielle de 2009 considérée comme truquée par certains, et surtout, malgré les menaces des talibans. Preuve que ces derniers, s'ils sont forts sur le champ de bataille, n'ont pas forcément gagné la bataille pour les cœurs et les esprits.

Que sait-on du résultat lui-même? Selon le Wall Street Journal et l'agence de presse Pajhwok, que les informations viennent de Kaboul, de Mazar-i-Sharif au nord, de Kandahar au sud, de Jalalabad à l'est, on arrive au même résultat: le protégé du président Karzaï, l'ancien ministre des Affaires étrangères Zalmai Rassoul, serait largement dépassé par deux acteurs importants de l'opposition democratique, Abdullah Abdullah, candidat malheureux contre Karzaï en 2009 (il avait récolté 30,6% des voix à l'époque), et Ashraf Ghani, un ancien haut fonctionnaire de la Banque Mondiale, et ancien ministre des Finances dont l'efficacité a marqué les esprits en Afghanistan. Selon Pajhwok, le premier aurait obtenu 40,7% des voix, et le second 42,1%. Il semblerait que Rassoul lui-même n'ait fait que 7,6%.

Est-ce que cela signifie que le "clan" du premier Président afghan est hors jeu? Pas forcément. Tout d'abord, il faudrait avoir les résultats définitifs avant de se prononcer. Et surtout, des rumeurs avant les élections affirmaient qu'Hamid Karzaï travaillait déjà au second tour, en essayant de rapprocher Abdullah Abdullah de son poulain. Avec Rassoul qui n'était pas dans le peloton de tête, le président afghan va-t-il confirmer cette stratégie? C'est possible. Après tout, les voix de Rassoul et un soutien discret de la présidence pourraient être déterminants pour le second tour. Et ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Certes Karzaï a mauvaise presse aujourd'hui en Occident. À tel point qu'Américains et Européens en oublient qu'il est un très habile politicien, qui a survécu jusqu'à aujourd'hui grâce à son intelligence. Et c'est lui qui, en tant que Président, a l'appareil d'État dans les mains. Ghani comme Abdullah semblent avoir déjà gagné, sur leur nom, une part importante de l'électorat. Ce qui leur donne une certaine légitimité pour peser sur l'avenir du pays après 2014. Si le réseau du président Karzaï se retrouve, d'une façon ou d'une autre, du côté d'un vainqueur déjà légitimisé par les urnes, on aura très probablement tous les ingrédients pour une transition démocratique pacifique en Afghanistan. Ce qui serait une deuxième défaite d'importance pour les talibans.

Maintenant, il ne faut pas donner une image trop "rose" de ces élections. Tout d'abord, il y a eu une forte participation dans les villes certes, mais dans les campagnes, où les talibans sont plus forts, cela n'a pas été le cas. Et surtout, ces élections montrent plus que jamais l'importance ethnique dans la politique afghane. Ghani est celui des trois principaux candidats évoqués à savoir véritablement bien parler pachtoune, sa langue maternelle et il est vu comme complètement pachtoune: dans les quartiers dominés par cette ethnie à Kaboul, et ailleurs, il a donc su faire le plein de voix. Abdullah Abdullah a fait de même chez les Tadjiks: un "métis" tadjiko-pachtoune, il est vu surtout comme tadjik par son passé dans l'Alliance du Nord. Mais il a su faire campagne en pachtoune dans les zones dominées par les Pachtounes et surtout, il a su bien s'entourer. Il a en effet choisi comme premier vice-président Mohammed Khan, un membre du Hezb-e-Islami, bien implanté dans le sud et le sud-est du pays, là où il était le plus faible. Mais mieux encore, il a choisi comme second vice-président un Hazara, Mohammed Mohaqeq, très influent dans sa communauté. Mais c'est sans doute Ghani qui a joué la meilleure carte ethnique, en choisissant comme vice-président un chef de guerre ouzbek, le général Abdul Rashid Dostom. Les Ouzbeks et des Turkmènes d'Afghanistan sont unis comme un seul homme ou presque derrière lui. Ils représentent 10 à 11% de la population, s'agacent de l'influence prédominante des Pachtounes, des Tadjiks, et maintenant des Hazaras. Ils souhaitent avoir un meilleur accès au pouvoir central, et un ticket Ghani-Dostum pourrait être la réponse à leurs prières.

Face à eux, M. Rassoul était handicapé par de multiples faiblesses qui expliquent la victoire de Ghani et d'Abdullah. Certes, il est Pachtoune. Mais il ne parle bien le pachtoune et la langue est un outil clé dans ce jeu politique utilisant les différentes identités afghanes. Nombreux sont ceux, sur place, qui ne semblent pas le considérer comme un "vrai" Pachtoune. Or son protecteur, Hamid Karzaï, a gagné en 2009 parce qu'il avait clairement remporté l'immense majorité dans ce groupe ethnique. Pour pallier ce manque important, il a reçu le soutien du frère aîné d'Hamid Karzaï, Qayum, ainsi que celui du petit-fils de Zahir Shah, dernier roi d'Afghanistan (1933-1973), Nader Naeem. Mais il semblerait que cela n'ait pas été suffisant pour le faire percer chez les Pachtounes. Il n'avait également pas de base forte dans le nord, contrairement à ses deux principaux concurrents.

Or, en 2014 les principaux candidats ont considéré, avec raison, le nord comme une zone clé. Elle est plus sûre, on y vote plus facilement, donc en 2009 déjà, on a pu y voter en nombre, contrairement au sud pachtoune. Le seul atout de Zalmay Rassoul sur place était Ahmad Zia Massoud, le frère du héros afghan Ahmad Shah Massoud. L'aura de Massoud lui a sans doute permis de se faire connaître par le Tadjik du quotidien (il était totalement inconnu pour certains avant la campagne), mais cela ne s'est pas traduit forcément en soutien massif. Il est vrai qu'Abdullah et Massoud touchaient ici le même électorat, le fractionnant un peu plus. Mais le premier, candidat et non un simple possible vice-président, ayant déjà labouré le terrain lors de la campagne de 2009, ne pouvait que l'emporter. En bref, l'impact de l'ethnique en politique a été, semble-t-il, un handicap pour le poulain de Karzaï.

Bien entendu, les choses changent doucement, sur place. Notamment chez les jeunes, qui, pour un certain nombre d'entre eux, délaissent l'approche uniquement ethnique au profit des idées politiques. Avec le temps, les frontières religieuses et ethniques en Afghanistan vont s'effriter. Mais affirmer dès maintenant qu'on en est là relèverait plus du "politiquement correct" que de la réalité du terrain. Ce même "politiquement correct" pourrait amener à vite applaudir le courage des Afghans lors de ce vote, pour mieux les oublier, et revenir à nos obsessions ukrainiennes, voire syriennes ou iraniennes. Les chancelleries française et occidentale vont-elles encore abandonner l'Afghanistan après ces élections? Cela ne serait pas très intelligent: cela a déjà été fait à la fin des années 1980, après qu'Afghans et Pakistanais ont servi de pions dans la guerre froide. Cet abandon a nourri le chaos, un trafic de drogues dont nous, Européens, souffrons encore aujourd'hui, et les talibans.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Vintage Photos Show 1960s Afghanistan

Vintage Photos Show 1960s Afghanistan

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.