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Les dernières nouvelles des élections afghanes

Les élections en Afghanistan représentent de nombreux enjeux. Nous ne sommes qu'au début d'un processus politique particulièrement important. Il aura forcément un impact sur la stabilité future de l'Afghanistan.
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Chroniques d'Asie du Sud-Ouest (9)

Pourquoi revenir sur les élections afghanes, après en avoir parlé à chaud, immédiatement après le premier tour? Tout simplement, parce que nous ne sommes qu'au début d'un processus politique particulièrement important. Il aura forcément un impact sur la stabilité future de l'Afghanistan. Pays où, il faut le rappeler, nous avons suivi les Américains, en tant qu'État membre de l'OTAN, pendant plus d'une décennie. D'accord, l'Afghanistan n'est plus à la mode. Pourtant, ce pays reste un enjeu géopolitique et sécuritaire pour la France. Nous y avons également perdu 89 soldats. L'Afghanistan reste donc, ou en tout cas devrait rester, important pour nous.

On commence à avoir des chiffres plus précis sur les résultats du premier tour. Selon la Commission électorale indépendante, suivant les élections afghanes, les résultats, après dépouillement d'à peu près 50% des votes, seraient les suivants:

  • 44,4% pour Abdullah Abdullah
  • 33,2% pour Ashraf Ghani
  • 10,4% pour Zalmai Rassoul, le poulain d'Hamid Karzaï.

Il n'a réussi à ne gagner que dans deux provinces pachtounes dans le sud, Kandahar et Oruzgan.

On est donc dans une situation bien différente de celle d'il y a deux semaines, quand Abdullah et Ghani semblaient à peu près au même niveau, à peu de choses près. Le premier se sent aujourd'hui assez fort pour espérer, à haute voix, qu'il gagnera dès le premier tour. Et on comprend que le second critique cette mise en avant de résultats partiels, qui lui sont défavorables.

Pourtant, il est toujours capable de créer la surprise. Comme évoqué dans l'analyse précédente, il a su largement gagner la population pachtoune, ce qui pourrait peser sur le résultat final, attendu pour le 14 mai. Certes, certains pensent que Ghani a joué un jeu dangereux en intégrant dans son équipe des anciens "communistes". On pense surtout à Mohammad Hanif Atmar et Abdul Rashid Dostum. Des leaders pachtounes, ayant souffert entre les mains d'agents du KHAD (ancien service de renseignement afghan sous le contrôle du KGB dans les années 1980) pourraient prendre ombrage en voyant un ancien membre de ce groupe (Atmar) soutenir la candidature de Ghani. Mais il est bien possible qu'il s'agisse en fait d'un risque calculé, qui n'aura pas forcément un impact négatif.

À propos d'Atmar, plus que son passé d'ancien du KHAD, c'est d'abord son passage aux ministères de la Réhabilitation rurale et du Développement, de l'Éducation, et de l'Intérieur, entre 2002 et 2010, qui va peser dans les esprits. Après 2001, en fait, c'est surtout son talent de technocrate compétent qui a retenu l'attention. Un profil qui peut plaire aux Afghans formés à l'étranger, aux citadins, et aux jeunes qui souhaitent voir les compétences l'emporter sur le clientélisme. Sa présence dans l'équipe de Ghani, c'est aussi un clin d'œil aux Américains et aux Européens, qui le considèrent comme un professionnel avec lequel l'Occident peut travailler. Quant au choix de Dostum, on en a parlé dans la dernière "Chronique d'Asie du Sud-Ouest": c'était s'assurer le vote en bloc des Ouzbeks et des Turkmènes, une minorité non négligeable.

Quoi qu'il en soit, il est définitivement confirmé que le deuxième tour se jouera entre Ghani et Abdullah. Mais y aura-t-il un deuxième tour? Clairement, les Américains aimeraient l'éviter, de peur des tensions qu'il pourrait susciter. Et si l'un des deux vainqueurs du premier tour réussit à se rallier les autres candidats plus malchanceux, alors faire pression sur le camp adverse serait possible. Peut-être jusqu'à l'amener à déclarer forfait et à trouver un arrangement "à l'amiable", via un gouvernement d'union nationale par exemple. Et un ralliement "en bloc" des perdants du premier tour est possible. On les a vu se réunir pour penser une stratégie commune, comme la semaine dernière, dans les bureaux d'Abdul Rasul Sayyaf. Ce dernier, malgré son caractère sulfureux (ancien ami de Ben Laden, accusé d'être l'un des pires criminels de guerre afghans, détesté par les talibans et par les Américains) aurait récolté 7% des voix, d'après les chiffres qu'on a aujourd'hui.

Avec Rassoul, ils dominent largement le groupe des candidats malheureux: les autres doivent se partager 5% des voix restantes, pas suffisant pour peser sans jouer collectif. On fera remarquer que Karzaï est très lié à Sayyaf, autant qu'à Rassoul. Après tout, le chef de guerre est en effet l'une des rares personnalités que Karzaï rencontre régulièrement en dehors du palais présidentiel. C'est encore Karzaï qui a poussé Sayyaf à se présenter... L'analyse de la dernière "Chronique d'Asie du Sud-Ouest", faisant d'Hamid Karzaï un personnage clé après les élections, se confirme. S'il y a un accord pré-second tour, il sera donc très probablement pensé par le président actuel.

Pourtant, officiellement, jusqu'à maintenant, Ghani comme Abdullah disent refuser catégoriquement un arrangement au détriment d'un fonctionnement démocratique sain. Donc s'il doit y avoir un second tour, il ne devrait pas y avoir d'arrangement entre les principaux candidats. Mais les "petits" candidats resteront toujours aussi importants dans cette situation. Ensemble, avec un électorat en bonne partie "captif", dominé par l'attelage pro-Karzaï Sayyaf-Rassoul, les vaincus du premier tour pourraient bien être ceux qui décident des résultats du second. Pour Abdullah, la tentation va être grande d'accepter l'accord que Karzaï voulait voir naître entre Rassoul et lui. Le candidat tadjik (en fait tadjiko-pachtoune, son père étant Pachtoune, et sa mère Tadjike) déclare depuis que les résultats partiels sont sortis, qu'il faut une victoire claire et irréfutable au vainqueur, plutôt que de forger une coalition. Il ne rejette pas l'idée d'un gouvernement d'union nationale à l'avenir. Mais clairement, il faut que les élections présidentielles le consacrent comme leader incontesté de l'Afghanistan. Et dans un pays où le vote ethnique et communautaire a été si important au premier tour... cela voudrait dire forcément un accord officieux avec le "réseau" Karzaï d'ici le 14 mai.

Cela va sans doute déplaire dans certaines capitales occidentales, où l'on rêve de voir émerger un "chevalier blanc" qui débarrasserait l'Afghanistan des talibans, de la corruption, et qui instaurerait un parfait État de droit. Mais il serait mal venu de critiquer les Afghans ici: la corruption, le clientélisme post-2001 se sont faits sous les yeux des membres de l'OTAN. Ashraf Ghani, comme Abdullah Abdullah, sont clairement des hommes de qualité, des patriotes qui veulent améliorer le sort de leurs concitoyens. Mais ils doivent accepter la situation de leur pays tel qu'il est. C'est pourquoi l'un comme l'autre ont fait savoir pendant la campagne qu'ils offriraient à Hamid Karzaï un poste de conseiller s'ils étaient élus à la présidence.

Il n'a peut-être pas toutes les qualités de transparence requises du point de vue des Occidentaux soucieux de démocratie. Mais c'est un remarquable politicien, il l'aura prouvé encore une fois pendant ces élections. De la même manière, deux hommes essentiels à la campagne de Ghani et d'Abdullah, sont accusés d'être des chefs de guerre ayant foulé aux pieds les droits de l'Homme à maintes reprises: Dostum, qui a offert le vote turcophone au premier, et Mohammad Mohaqiq, qui a transformé les Hazaras en chauds partisans du second. L'Afghanistan ne va pas se transformer du jour au lendemain. Et quel que soit son président, après 2014, il faudra accepter la situation à Kaboul telle qu'elle est. Pour se concentrer sur ce qui compte: stabilisation du pays, et lutte contre le terrorisme transnational.

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