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Politique, morale, religion: la triade qui lorgne sur nos utérus

La Pologne avait déjà interdit l'avortement dans tout le pays, mais l'autorisait jusqu'à présent dans trois cas de force majeure: viol, risque pour la vie de la mère ou malformation du fœtus.
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Vous rencontrez un homme, il vous plaît, une question se pose. Vous prenez la pilule? Vous êtes une dévergondée qui se détourne du but que la nature lui a assigné. Vous ne la prenez pas? Vous êtes une inconséquente! Vous souhaitez acheter une pilule du lendemain? Une salope dans les yeux de la pharmacienne qui vous imagine déjà les quatre fers en l'air et le vice au coin de la bouche. Vous gardez cet enfant dont vous ne vouliez pas et que vous assumez péniblement? Mauvaise mère! Vous avortez? Criminelle!

Politique, morale, religion: la triade qui lorgne sur nos utérus

«Elle aurait dû prendre ses précautions», s'empresseront d'achever certains. Oui, mais lesquelles? Quoi que nous fassions, nous sommes toujours coupables dès lors que nous décidons de choisir comment mener notre vie intime, en dehors des lois dictées par la morale, la religion, la politique. En Europe, on pensait s'être enfin débarrassées de cette triade qui lorgnait sur nos utérus pour en faire une chose publique dont l'utilisation privée ne nous appartiendrait pas totalement, mais ce temps-là s'en est allé.

La Pologne avait déjà interdit l'avortement dans tout le pays, mais l'autorisait jusqu'à présent dans trois cas de force majeure: viol, risque pour la vie de la mère ou malformation du fœtus. Ses politiques proposent à présent une loi visant à interdire l'interruption volontaire de grossesse même dans les trois cas qui jusqu'à présent avaient trouvé grâce à leurs yeux. En cas d'abrogation, ils feraient de leur pays une des législations les plus dures d'Europe envers les femmes, qui seraient donc punies comme des criminelles si elles contrevenaient à la loi qui leur ordonne de mener à terme toute grossesse. Pourquoi cette violence? Le pays va-t-il si bien du point de vue de l'économie, de la sécurité, de l'éducation, de la santé et du logement, pour que la première urgence soit de criminaliser la liberté intime des femmes? Ou sont-elles, pour ces charmants rétrogrades, la cause de tous ces maux?

L'avortement n'est pas une «question de femmes»

Messieurs, restez, ne partez pas tout de suite! L'avortement, contrairement à ce que l'on pense, n'est pas une «question de femmes». Cela vous concerne autant que nous. Voulez-vous d'un pays où certains d'entre vous deviendraient pères alors qu'ils ne sont pas encore prêts, psychologiquement, émotionnellement ou financièrement, à assumer un enfant? Souhaitez-vous d'un pays où vous regarderiez, impuissant, votre fille, violée par un homme, obligée de mener à terme une grossesse qui risquerait de la détruire en l'empêchant de se reconstruire? Ou votre épouse, forcée de subir des complications qui mettraient en péril sa survie et la conduiraient à la morgue plutôt qu'à la maternité? Voulez-vous que vos compagnes ne se sentent plus libres de prendre du plaisir dans vos bras, sans devoir être «punies» si elles ont oublié de prendre «leurs précautions»?

Non, l'avortement n'est pas une question de femmes, c'est une question de société, de civilisation même.

Non, l'avortement n'est pas un «choix». Il serait un choix si nous n'étions pas seules à assumer la responsabilité d'une sexualité pratiquée à deux. Bien sûr, la contraception ainsi que l'avortement ont constitué une avancée considérable pour les femmes. Mais cette révolution a eu un effet pervers inattendu: déresponsabiliser les hommes des conséquences de la vie sexuelle. À la femme de prendre ses précautions, et sinon, de «remédier au problème». Évidemment, dans tous les cas, à elle d'endosser la culpabilité. D'abîmer son corps, son âme. Comme s'il nous incombait de gérer seule la partie reproduction de la sexualité, laissant à ces messieurs celle du plaisir.

Mais la pilule féminine existe depuis les années 1950. En presque 70 ans désormais, pourquoi n'a-t-on pas proposé une pilule masculine? Là serait une redistribution équitable de la responsabilité sexuelle. L'avortement sera un choix le jour où sera commercialisée une pilule masculine. Tant que ce n'est pas le cas, il n'est que la réponse -imparfaite, terrible parfois et douloureuse- à une situation naturelle, les femmes tombent enceintes. Et c'est à la culture de trouver une réponse régulatrice, sereine et juste, à ce déséquilibre entre les sexes.

Ceci dit, qu'en a-t-on à faire des Polonaises? Qu'en a-t-on à faire de l'incendie qui ravage la maison voisine, diraient les mêmes, ne voyant pas les braises enflammer leur propre domicile en un rien de temps. Le volte-face polonais sur la liberté des femmes est une menace pour l'Europe entière. Il donnerait à ses voisins tentés par l'extrême-droite ou à des régimes de plus en plus nationalistes un signal clair: le ventre des femmes est un terrain de campagne comme un autre et on peut faire les gros bras en mettant la main dessus. Car oui, le sexe des femmes devient dans les régimes conservateurs à tendance «ultra» un lieu de propagande populiste. On assigne aux femmes un rôle de mère, on leur dicte leur conduite, voilà de quoi paraître l'homme fort du pays, de la situation, le défenseur des valeurs.

Le ventre de la femme comme lieu de l'identité nationale

Bref, le ventre de la femme, c'est le sacro-saint lieu de l'identité nationale. Y a-t-il une vague d'immigration qui terrorise l'opinion publique? Fermons les frontières et forçons les femmes à accoucher en nombre! C'est ce qu'ont fait Hitler, Staline, Ceausescu et d'autres sympathiques camarades. Le jour où nous serons trop nombreux, nous n'aurons qu'à les avorter de force, comme dans la Chine de l'enfant unique, pas de souci après tout, ce ne sont que des «affaires de femmes».

Tandis qu'ils ne peuvent rien contre le chômage, la crise économique, le terrorisme, les politiques veulent faire croire qu'ils maîtrisent quelque chose d'aussi puissant que la vie. Ils doivent savoir qu'il n'en n'est rien, et que nous ne sommes pas dupes.

Bien sûr, ils trouveront parmi leur population de nombreux supporters enthousiasmés par cette idée. Ils ne sont pas à insulter ou à dévaloriser, mais à comprendre: ceux qui ont peur de l'avortement ne haïssent pas forcément les femmes. Ils veulent une société stable, dans un monde qui change si vite qu'il donne le tournis, qui se métisse, se déracine, s'ouvre, se tort, et dont les valeurs semblent perdues pour toujours à ceux qui les défendaient; l'honneur, le courage, l'amour de la famille, de l'unité, de son pays. Personne n'est à blâmer pour cela.

La nature reprend sa violence instinctive quand la culture disparaît

Et quand ces valeurs semblent perdues, la maternité, lieu de la survie de l'espèce, l'assurance d'une filiation dont on ne les spolierait pas, est la réponse primaire de l'instinct à la perte des repères. La nature reprend sa violence instinctive quand la culture disparaît et s'aplatit. Il ne faut pas les condamner, mais les élever. Ils défendent la vie, mais se trompent sur le moyen. Nous aussi, femmes libres, nous défendons la vie: mais naître ne suffit pas à vivre. Il faut avoir des parents, un seul suffit, qui soient en mesure de vous éduquer, vous élever, vous aimer. Car il faut tout cela pour faire un être humain. Ils doivent savoir que nous défendons la même chose, la vie, la dignité, l'amour. Et qu'aucune femme n'avorte jamais si elle se sent prête à aimer la vie à laquelle elle va donner le jour.

Les politiques du monde entier doivent savoir qu'on ne fait pas une nation saine et solide de mères forcées, de pères qui ne veulent pas l'être, et d'enfants dont on aurait préféré qu'ils ne voient jamais le jour.

Ils doivent renoncer à leur tentation nationaliste in utero. Et s'ils ne le font pas pour les hommes, ni pour les femmes, qu'ils le fassent pour leurs enfants: ne faisons pas porter à nos fils l'ignorance, la peur, et leur violence corollaire, de la génération qui les a précédés.

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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