Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Comment se reconstruire quand on a eu une mère bourreau?

C'est seulement à 25 ans que j'ai compris que ma mère avait le syndrome de Münchhausen par procuration. C'est une forme grave de sévices à un enfant où l'adulte qui en a la charge provoque de manière délibérée chez lui des problèmes de santé sérieux et répétés avant de le conduire auprès d'un médecin. J'ai subi 8 opérations chirurgicales.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

C'est seulement à 25 ans que j'ai compris que ma mère avait le syndrome de Münchhausen par procuration. [Le syndrome de Münchhausen par procuration est une forme grave de sévices à un enfant où l'adulte qui en a la charge provoque de manière délibérée chez lui des problèmes de santé sérieux et répétés avant de le conduire auprès d'un médecin, NDLR]. J'ai subi 8 opérations chirurgicales, dont une a consisté à m'enlever un rein qui, sans les interventions et les mensonges de ma mère, serait resté sain.

Petite, j'ai entendu les conversations de la juge pour enfants à propos d'"éloignement familial", mais on ne m'a rien expliqué à moi. C'est dommage...

Longtemps, j'ai cru que j'avais été vraiment malade.

La maltraitance médicale de la part de ma mère a commencé lorsque j'avais 4 ans, jusqu'à mes 11-12 ans. Quand ça s'est terminé, quand les médecins ont compris que ma mère manipulait mes résultats médicaux et que le juge pour enfants s'est prononcé, elle a voulu éluder : "Bon, on n'en parle plus".

Alors ce livre, c'est une libération.

Un long cheminement, une (en)quête

J'avais 21 ans. Une ou deux années avant que ma fille naisse, je commençais à ressentir des angoisses, comme la peur de la mort. Je suis allée voir une thérapeute. Je n'avais pas compris ce qui m'était arrivé.

Lorsque je vois la thérapeute, je suis au courant que j'ai été beaucoup hospitalisée, mais dans mon idée j'avais été vraiment malade. La thérapeute me dit que, parfois, on subit des traumatismes durant l'enfance et ça nous poursuit. Elle m'a fait très peur. Je lui ai dit que j'avais été très malade. Puis je n'ai plus voulu la revoir. Mais cela a fait son chemin. Et je me suis demandé si ce n'était pas tout ce périple hospitalier qui provoquait ces angoisses en moi.

Après cette rencontre avec la thérapeute, je me suis dit qu'il serait bon d'en reparler avec ma mère, j'ai essayé. J'avais quand même ce souvenir qu'il y avait une histoire de falsification d'analyses, de médecins en colère, qu'elle tapait dans mon rein, je lui ai demandé pourquoi. Tout de suite elle a réagi et s'est mise à pleurer, elle ne voulait pas en parler... Alors je lui ai proposé qu'on en reparle avec le chirurgien qui m'avait opérée du rein, qu'il serait peut-être d'accord pour nous expliquer. Parce que j'en avais besoin, je voulais me sentir bien. Elle n'était pas contre donc je lui ai demandé de prendre rendez-vous. Mais elle ne l'a jamais fait.

Et là, ma fille est née. J'ai 23 ans.

Ma mère ne le fait pas, donc je prends rendez-vous moi-même. Naturellement, je me détache un peu d'elle, je prends un peu de distance, je m'arrange pour ne plus lui confier ma fille le week-end. Elle s'en rend compte. Elle me dit qu'elle va faire appel à la justice pour faire valoir ses droits de grand-parent, pour voir plus souvent ma fille, car elle constate que je mets un peu des barrières. Un soir de 2008, elle me redit ça lors d'un repas chez elle, mon mari et moi nous fâchons avec elle quant à cette menace de recours en justice. Finalement je suis partie en lui disant de ne pas s'inquiéter, que je ne l'empêcherai pas de voir sa petite-fille. Au fond de moi, je savais que c'était maintenant qu'il fallait rompre.

Et depuis ce jour-là, je ne l'ai plus jamais revue : c'était il y a 8 ans.

Elle a enclenché cette procédure judiciaire. J'ai reçu le papier du tribunal, la demande de droit de visite. Sur le coup, cette procédure judiciaire m'a un peu inquiétée, mais finalement je me suis dit que la décision ne viendrait pas seulement de moi, mais de la justice, et qu'ainsi les choses seraient claires. C'est à l'occasion de cette demande de justice que j'ai mené l'enquête.

Je suis allée voir le médecin généraliste qui me suivait quand j'étais petite. C'est lui qui me parle alors du syndrome de Münchhausen. Peu de temps après, je suis allée à Nantes voir le chirurgien qui a enlevé mon rein. Il me confie qu'il s'est rendu compte trop tard que ma mère était atteinte de ce syndrome, qu'elle était alors en demande de beaucoup d'examens... Qu'il s'en veut de n'avoir rien vu, que pour lui c'est de sa faute si je n'ai plus qu'un seul rein. Il m'a dit que je pouvais demander l'obtention de mes dossiers médicaux. Je me souvenais des autres hôpitaux, j'ai tout récupéré.

C'est donc à 25 ans, alors que ma fille avait 2 ans, que j'ai compris toute l'histoire.

Comment se reconstruire après?

Mon travail psychanalytique m'a beaucoup aidée. Avec le psychanalyste, j'ai compris qu'il fallait intégrer le fait que j'avais eu "une enfance manquée". Que par amour ma mère souhaitait que je sois malade, que pour elle il n'était pas possible de m'aimer sans la maladie, sans des soins. Je crois que le fait de l'intégrer et de l'accepter, c'est cela qui m'a aidée à vivre sereinement maintenant.

Pendant mes trois ans de psychanalyse, j'ai beaucoup écrit, j'ai continué à écrire beaucoup ensuite. C'est là, spontanément, que je me suis dit que mon écrit serait intéressant pour les autres aussi. Je me suis dit : "Je m'en sors bien de cette histoire quand même, c'est incroyable". Donc j'ai pensé que je pouvais peut-être faire profiter d'autres personnes de mon expérience. Car on parle peu du syndrome alors que je pense qu'il y a beaucoup de cas, même s'ils sont peut-être moins poussés que le mien. Le but est aussi que les médecins en aient davantage connaissance, car ils n'en parlent pas pendant leurs études, ou très peu.

Avec la parution de ce livre, j'ai l'occasion d'en parler, et c'est libérateur de pouvoir en parler ouvertement, alors même que ma mère m'a toujours défendue d'en parler. Jamais je n'en ai parlé, jamais je n'ai dit que je n'avais qu'un rein, et pouvoir parler de ce syndrome et de cette relation malsaine qu'on peut avoir, ça fait du bien. Si je peux aider des personnes qui en sont victimes ou qui en ont été victimes et n'arrivent pas à le surmonter, ça fait du bien. J'ai beaucoup lu sur le sujet, la presse, mais aussi le livre de l'américaine Julie Gregory "Ma mère, mon bourreau". J'ai trouvé qu'elle avait eu plus de chance que moi! Elle a eu beaucoup moins d'investigations médicales et d'opérations, mais son livre est bien reconstruit, elle a connu un peu le même cheminement que moi. Elle a aussi fait en sorte de retrouver ses dossiers médicaux, de revoir les médecins qui l'ont traitée...

Aujourd'hui, je n'ai plus d'angoisse. Au début de la maternité, j'avais peur de reproduire avec ma fille ce que faisait ma mère. J'avais peur de la fusion, j'avais peur que cette fusion soit malsaine. J'ai demandé de l'aide d'une psychologue pour enfant. La psychologue a raconté mon histoire à ma fille, et ma fille est devenue plus légère, elle sait maintenant pourquoi elle ne voit plus sa grand-mère. Je ne voulais pas que ça nous envahisse dans notre quotidien, je voulais que les choses soient claires.

Concernant ma santé, je vais bien. Il y a beaucoup de gens qui n'ont qu'un rein, et je refuse de me ranger dans la catégorie des gens malades.

Quant à ma mère, je ne sais pas si elle est au courant pour le livre. Je n'ai plus aucun contact avec elle. Et c'est mieux comme ça.

"Câlins assassins", de Delphine Paquereau, paru le 24 mars aux Editions Max Milo.

2016-04-12-1460450909-3387252-D_Paquereau_Max_Milo.jpg

© Editions Max Milo

VOIR AUSSI :

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.