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Violence homophobe: attention à l'amalgame et à la dérive sécuritaire

Dans leur article, les journalistes duIsabelle Paré et Marco Fortier dressent le portrait de la montée de la violence dans le village gai à Montréal. Une violence qui, à la lecture de leur texte, serait de nature homophobe. Cependant, leur papier est plutôt sensationnaliste et confus et s'appuie sur des informations limitées, amalgamées et même déformées.
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Dans leur article Climat de peur dans le village (Le Devoir, samedi 25 janvier 2014), les journalistes Isabelle Paré et Marco Fortier dressent le portrait de la montée de la violence dans le village gai à Montréal, une violence qui, à la lecture de leur texte, serait de nature homophobe. Cependant, leur article est plutôt sensationnaliste et confus et s'appuie sur des informations limitées, amalgamées et même déformées. Au lieu de décrire une violence homophobe systémique, le contenu même de cet article illustre plutôt une violence limitée à un ensemble de cas trop souvent imprécis et hétéroclites: certains sont clairement homophobes, d'autres non.

«Qui a fait quoi, quand, pourquoi?» sont des questions de base qui trouvent peu d'échos dans cet article... qui ne fait que relayer au final le sentiment d'insécurité des commerçants et des consommateurs du village gai. Ce sentiment peut être légitime, n'étant pas moi-même homosexuel, je ne peux que tenter de comprendre par ma sensibilité la discrimination et la violence homophobes. Toutefois, j'habite le quartier dont il est question et j'en parcours les rues fréquemment à tout moment de la journée, et je ne peux souscrire à cette thèse selon mon propre point de vue.

Je demeure ouvert à d'autres perspectives que la mienne, mais je me méfie de tout discours sécuritaire qui trop souvent amplifie et déforme une réalité pour justifier les pires mesures de contrôle et de répression de l'État, dans le but d'assurer la tranquillité d'esprit du petit-bourgeois. Bref, si l'on me parle de «climat de peur dans le village [gai]», je m'attends à ce que des faits précis, nombreux, cohérents et suivis dans le temps et dans un lieu précis me soient apportés comme preuve.

Or, l'article dont il est question ici pèche à ce chapitre: il est peu clair et il tombe dans l'amalgame en ne mentionnant que des exemples vagues dont l'addition ne cherche qu'à légitimer la thèse (le «climat de peur») plutôt qu'à illustrer la réalité (est-ce que ce quartier est plus dangereux que d'autres, selon quels critères, etc.? ). Notamment, les journalistes nous disent qu'il y eut «trois autres agressions [qui] ont été rapportées coup sur coup dans des lieux distincts le même week-end au poste de quartier 22». Qui étaient les victimes? Quelles étaient les causes avérées? Des hommes gais ou des femmes lesbiennes? L'article ne le dit pas, mais le laisse supposer.

Les journalistes parlent d'un autre assaut l'automne dernier contre un homme à la sortie d'un bar du village gai... Est-ce assez pour justifier, encore une fois, l'idée d'un «climat de peur»? N'y a-t-il pas ici danger justement de créer ce climat de peur en en parlant comme d'un fait objectif, avéré? N'y a-t-il pas danger de créer un construit social qui ne pousse les autorités à agir, sous la pression de la demande publique, en réprimant des personnes souvent seules et vulnérables, les indésirables, les déviants de nos sociétés capitalistes avancées tels les itinérants toxicomanes?

On peut aussi se questionner sur l'emploi, par les journalistes, de l'expression «racaille locale», qui est non seulement dégradante, mais vise une population hétéroclite qui inclut des personnes marginalisées et pauvres, d'ailleurs refoulées du centre-ville par la police de Montréal, soit l'itinérant, le toxicomane, le jeune dans la rue, etc. On ne cherche pas à comprendre leur réalité, qui n'est pas celle des personnes plus élevées dans l'échelle socio-économique qui sont interrogées dans cet article, leur point de vue est évacué... Ce qui est «normal» après tout, ne sont-ils pas des déviants, des marginaux, des sans voix, des sans parts? De plus, ce n'est pas cette «racaille locale» qui est à l'origine d'actes homophobes dans le village, donc les mesures répressives réclamées ne ciblent même pas les personnes qui en sont les responsables.

De la part des journalistes, et en m'appuyant sur le «climat» qui se dégage de cet article, on dirait une réaction petite-bourgeoise qui ne réclame que l'intervention des forces répressives de l'État pour mater cette «faune» à laquelle on retire la dignité et les traits humains pour qu'enfin, les commerçants et les consommateurs du village gai puissent continuer à brasser leurs affaires et à dépenser leurs dollars en paix. On réclame bêtement l'application de mesures sécuritaires non ciblées, sans vouloir comprendre l'autre et sa réalité. Car, à un «climat de peur» ressenti par certains répond un «climat de répression policière» éprouvé par d'autres, comme me l'expriment souvent les punks et les itinérants auxquels je parle fréquemment dans la rue.

En somme, dans cet article, la seule préoccupation est sécuritaire, mais on ne cherche pas à comprendre le problème de la violence homophobe, à cibler ceux qui en sont les auteurs et à tenter de répondre à ce problème. De plus, les journalistes en viennent à dessiner une association bancale entre les divers crimes rapportés dans leur article et l'homophobie. Il y a une tentative d'instrumentaliser une recrudescence de la violence homophobe, qui est très certainement réelle. Non pour agir sur cette dernière, mais bien plutôt de mettre en place la répression et la normalisation des comportements demandées par des commerçants qui se voient menacés notamment par la piétonnisation d'une partie de la rue Sainte-Catherine, les itinérants, les clients des Peep Show, etc.

D'ailleurs, en mettant sur le même pied un ensemble de crimes, sans en préciser la nature ou la fréquence, et un amalgame de fauteurs de troubles, on crée un sentiment d'insécurité qui permet de légitimer des mesures répressives a posteriori sur un groupe d'acteurs non précisés, qui inclut notamment des groupes parmi les plus défavorisés de notre société libérale. Cela ne relève pas d'un travail de journalisme sérieux qui remet en question ses sources, les met en contexte, refuse les interprétations faciles et les généralisations hâtives tout en faisant preuve d'équité à l'égard des acteurs impliqués.

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