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Violence à l'UQAM: rappel historique et mise en contexte

Est-ce que le niveau de violence et d'intimidation ainsi que le nombre de grèves étudiantes ont crû depuis 1969 à un point tel que la mission de l'UQAM en tant qu'université plus populaire soit mise en danger?
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Ce n'est pas d'hier que les étudiants de l'UQAM se mobilisent politiquement dans et en dehors des murs de l'université. En fait, c'est constitutif de la création de l'UQAM en 1969, née elle-même de fortes mobilisations étudiantes et liées aussi à une action collective d'envergure, l'«Opération McGill français».

Est-ce que le niveau de violence et d'intimidation ainsi que le nombre de grèves étudiantes ont crû depuis 1969 à un point tel que la mission de l'UQAM en tant qu'université plus populaire soit mise en danger? Si l'on se fie à une lettre qui circule à l'UQAM, signée par des professeurs du département de science politique, la réponse à cette question est oui.

Cependant, il m'apparaît que, premièrement, une comparaison sur le temps long et, deuxièmement, une mise en contexte des actions reprochées dans la lettre ouverte pointent vers une réponse différente.

En premier lieu, les étudiants d'aujourd'hui ne peuvent être comparés à ceux des années 1970 et 1980 qui, animés par différentes orthodoxies marxistes, se lançaient des anathèmes et des coups de poing au visage dans les murs de l'UQAM. La « Ligue communiste », « En lutte! » et consœurs se livraient une lutte quotidienne, qui avait son pendant du côté professoral. L'intimidation des professeurs « droitistes » par les étudiants était alors fréquente, allant jusqu'à forcer le départ des professeurs spécialistes de Thomas d'Aquin au département de philosophie (Jean-Philippe Warren, « Ils voulaient changer le monde », VLB éditeur, 2007, p. 80-82). D'ailleurs, le département d'animation et recherche culturelle avait été placé sous tutelle par l'UQAM parce que contrôlé par le groupe «En lutte!» qui taxait d'hérétique quiconque refusait son obédience!

Rappelons aussi qu'au sein du département de sciences politiques, durant les années 1970 et 1980, militait le « Groupe socialiste des travailleurs du Québec » (GST), d'obédience trotskyste, qui contrôlait le syndicat des transports publics de Montréal des bureaux de l'UQAM. Le GST a été présidé tout ce temps par l'ancien recteur et professeur de science politique, Roch Denis, et il enrégimentait (quasiment à temps plein) des étudiants de l'UQAM pour vendre du matériel de propagande dans la rue, pour aller en usine « éduquer les masses » et préparer le « grand soir ».

Sur le temps long, le niveau de violence, plutôt que de croître, me semble aller dans le sens contraire, soit vers une confrontation davantage dialogique que physique.

En deuxième lieu, l'amalgame entre une action directe effectuée par un petit groupe affinitaire, qui a surgi masqué dans une rencontre de réseautage professionnel, ne doit pas être mis sur le même niveau qu'une levée de cours faite à la suite de l'adoption d'un mandat de grève dans une assemblée délibérative reconnue par l'UQAM. La comparaison sert ici à décrédibiliser la vie sociopolitique des étudiant-es qui, en tant que travailleurs et travailleuses intellectuel-le-s, ont le droit à leur mécanisme de représentation et de défense de leurs intérêts, tout comme les professeurs, les chargés de cours et les employés de soutien ont le leur.

D'ailleurs, par le passé, les associations étudiantes, qu'elles soient facultaires comme aujourd'hui ou pan-uqamiennes comme hier, ont apporté un constant support populaire et logistique aux différentes mobilisations des professeurs lors du renouvellement de leur convention collective. Les intérêts des professeurs pour de meilleures conditions de travail (embauche de collègues, diminution de la taille des classes, etc.) sont considérés, selon cette perspective, comme corolaires des intérêts des étudiants qui ont toujours agi en conséquence.

Peut-on dire que les étudiants de l'UQAM, notamment ceux en sciences humaines et en arts, font davantage grève que leurs prédécesseurs des années 1970 et 1980? Dans l'histoire du Québec, les grèves étudiantes ont été déclenchées pour forcer la main des gouvernements à investir dans l'éducation postsecondaire durant les années 1960 et 1970. Par exemple, en 1963, Bernard Landry, alors président de l'Association générale des étudiants de l'Université de Montréal, a investi l'Assemblée législative à Québec à la tête d'une centaine d'étudiants qui encerclèrent le chef de l'Opposition officielle, Daniel Johnson, et le premier ministre, Jean Lesage, pour les presser de mettre en place le programme de bourses d'études promis par le gouvernement. Pour cette « action directe » qui n'était, aux dires de Bernard Landry, « qu'un des dispositifs [s'inscrivant dans] une stratégie », il n'y eut aucune arrestation, pas de déclaration du gouvernement décriant l'action étudiante ou affirmant refuser de rencontrer les étudiants, l'article de La Presse couvrant l'événement ne parle pas des étudiants comme de personnes violentes prenant en otages les parlementaires, et il ne remet pas en question la légitimité de cette action (La Presse, « Les étudiants manifestent au parlement », 7 février 1963).

Depuis le début des années 1980 et l'instauration du paradigme gouvernemental néolibéral, ces grèves (qu'on qualifie de violentes et d'intimidantes depuis le règne de Jean Charest) visent à empêcher des reculs de la condition étudiante liée avec la diminution du financement public de l'éducation. L'État social minceur que souhaite la classe politique est directement contraire aux intérêts étudiants et professoraux. Comme les attaques importantes envers la condition étudiante se multiplient depuis les années où Lucien Bouchard a lancé son « grand » projet d'atteinte du déficit zéro, il n'est pas surprenant que les grèves étudiantes aient suivi le même rythme. Les étudiants de l'UQAM émanent principalement des classes moyennes et populaires, la préservation d'un État social, qui joue un rôle de redistribution de la richesse et d'égalisation des conditions, est donc un intérêt objectif évident pour ceux-ci et celles-ci.

Les promesses de la Révolution tranquille en éducation, résumées par le Rapport Parent, pointent vers l'instauration progressive de la gratuité scolaire à tous les niveaux, promesses rappelées d'ailleurs en 2012 par des artisans de cette « Révolution », notamment Guy Rocher et Jacques Parizeau. De plus, le programme de bourses créées par le gouvernement libéral de Jean Lesage est devenu au fil du temps avant tout un programme de prêts, qui n'a pas suivi l'indexation du niveau de vie, ce qui est une forme de violence larvée. Quant aux travailleurs et aux travailleuses de la fonction publique, à l'ombre des multiples lois spéciales, ils et elles ne doivent plus connaître la signification de la libre négociation.

Dans ce contexte, on peut être surpris qu'au sein de l'UQAM et de la société en général, le niveau de violence sociale soit si peu élevé. Pas qu'on doive souhaiter le contraire, mais il faut situer cette violence quand elle se manifeste, elle n'arrive pas en vase clos, elle est aussi une réponse à une autre violence structurelle, celles des marchés et des gouvernements néolibéraux, qui se double d'une violence policière ici et ailleurs dans le monde.

Est-ce le rôle des étudiants que d'enclencher de telles actions collectives qui nuisent inévitablement à la qualité de leurs études sur le court terme? D'abord, cela reviendrait à séparer la personne privée, l'étudiante, de celle jouant un rôle public, la citoyenne. Ensuite, il est difficile de répondre ici de manière abstraite, car le rôle des agents sociaux dépend à la fois de celui qu'on veut leur imposer et de celui qu'ils veulent se donner. L'histoire récente suggère en tout cas que le rôle politique des étudiants est constitutif de la construction d'un État du Québec moderne et de la promotion du groupe francophone, qui vivait une situation de discrimination importante face au groupe anglophone. Qu'est-ce que serait la Révolution tranquille sans la jeunesse étudiante? Poser la question, c'est y répondre.

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