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Le droit de grève étudiant et le réflexe monarchique de nos élites

Lorsque Pierre Duchesne nous dit que son gouvernement n'est pas prêt à donner un droit de grève aux associations étudiantes, il agit comme un monarque d'un autre siècle qui accorde (ou non) de façon discrétionnaire une nouvelle liberté à ses sujets.
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Dans un jugement passé, la Cour supérieure du Québec a affirmé qu'il n'existe pas de droit de grève étudiant au Québec, car le législateur québécois, dans la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants (Loi 32) ne leur a pas reconnu explicitement ce droit. Dernièrement, le chef parlementaire des libéraux, le député Jean-Marc Fournier, a nié aussi qu'il y ait un droit de grève étudiant. Selon ses paroles: «Il n'y a pas de droit de grève, je suis contre le droit de grève, je suis pour le droit à l'éducation». Quant au ministre de l'Éducation supérieure, Pierre Duchesne, il a affirmé que reconnaître le droit de grève étudiant n'était pas une priorité de son gouvernement. Pourtant, il existe bien une convention au Québec voulant que ce droit de grève existe parce que les associations étudiantes l'ont exercé et que les gouvernements passés l'ont reconnu comme tel.

Si je comprends bien ces acteurs politiques, une liberté n'existe pas tant que l'Assemblée nationale ne l'a pas reconnue dans une loi dûment adoptée. Cette position se défend si on se trouve dans un système politique d'une autre époque, de type monarchie absolue, où la Couronne octroie des libertés à ses sujets. Mais cette position est critiquable si on croit vivre dans la modernité libérale où prédomine la démocratie représentative.

La modernité politique est en quelque sorte née avec le libéralisme au 17e siècle, une idéologie appelant à une plus grande liberté de la société civile face à un pouvoir étatique envahissant, soit la monarchie absolue. Le libéralisme proposait un nouveau régime politique basé sur la division des pouvoirs, l'État de droit, la garantie des droits fondamentaux (de circulation, d'opinion, d'association, etc.) dont l'existence, naturelle, précède la création d'un régime politique. On qualifie ces droits de «négatifs», car ils protègent les libertés naturelles des citoyens en limitant le rayon d'action de l'État.

Selon cette perspective libérale, l'État est censé être «neutre» face aux intérêts organisés de la société civile (comme les syndicats et le patronat). Il serait l'arbitre «impartial» qui maintient une position de retrait, en intervenant le moins possible sur le cours normal des choses, et qui préside à la compétition jugée «libre» entre ces intérêts organisés. L'État ne résumerait donc pas à lui seul la vie politique et économique d'une société; il ne pose que les limites nécessaires à son bon déroulement. Au final, ce qui n'est pas explicitement interdit par l'État relève alors de la liberté inhérente qui appartient aux citoyens et aux groupes dans la société civile.

Il semblerait qu'au Québec, de nos jours, cette logique moderne se soit inversée. Désormais, ce qui n'est pas formellement interdit par une loi adoptée par l'Assemblée nationale ne serait pas permis tant qu'une législation ne donnerait pas explicitement cette liberté aux citoyens et aux groupes de la société. Plutôt que la société soit dotée de sa propre liberté naturelle que l'État limite par ses lois et règlements pour en assurer le bon ordre, c'est l'inverse: l'État octroie des libertés à la société. En effet, puisque la Loi 32 ne donne pas explicitement le droit de grève aux associations étudiantes, les acteurs politiques au Québec ne considèrent pas que les associations étudiantes jouissent d'un droit de grève.

Pourtant, si nous vivons bien dans une démocratie libérale, il n'appartient pas à l'État d'accorder des libertés, car celles-ci relèvent de la société civile. L'État a le droit d'arbitrer les conflits d'intérêts se déroulant dans la société, et d'appliquer pour cela des lois dûment adoptées par l'Assemblée nationale. Dans une certaine mesure et en respectant des balises claires, l'État libéral peut légitimement limiter les libertés civiles. Par exemple, l'État peut poser des balises à l'expression du droit de grève étudiant, mais il ne relève pas de lui de donner ou de créer ce droit politique qui existe déjà.

Lorsque Pierre Duchesne nous dit que son gouvernement n'est pas prêt à donner un droit de grève aux associations étudiantes, il agit donc comme un monarque d'un autre siècle qui accorde (ou non) de façon discrétionnaire une nouvelle liberté à ses sujets. Selon cette logique monarchique et absolutiste, l'État du Québec résume la vie politique et sociale de la société. Or, dans une démocratie libérale, il ne relève pas de Pierre Duchesne, de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec ou de la Cour supérieure de donner un droit de grève aux étudiants. En fait, ce droit de grève de nature politique existe déjà dans les faits, il a été exercé à maintes reprises par le passé et, avant l'ère de Jean Charest, il a toujours été reconnu par les acteurs politiques québécois.

Si nos juges et nos politiciens pensent qu'il relève des pouvoirs publics d'accorder ou non des libertés, donc que pour eux les libertés des citoyens ne précèdent pas l'existence du régime politique québécois, alors il nous reste à conclure que la logique de notre modernité libérale est en train de s'inverser. Il nous reste alors à espérer que nos classes politique et juridique aillent relire leurs classiques de la pensée libérale: «Le traité du gouvernement civil» de John Locke et «De la liberté» de John Stuart Mills.

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