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Déséquilibre fiscal, néolibéralisme et déficit zéro

La lecture que fait le gouvernement Couillard des rapports de domination (politique et économique) au Québec revient à mettre la réalité la tête à l'envers : les dominé(e)s deviennent ainsi les dominant(e)s qui nuisent au bien commun (défini par l'élite), et les dominant(e)s prétendent être les dominé(e)s victimes de la violence et des excès des demandes syndicales, présentes et passées.
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Comme ses prédécesseurs, le gouvernement de Philippe Couillard a fait son cheval de bataille de l'atteinte du déficit zéro. La tactique est la même partout en Occident : coupure des dépenses sans chercher à trouver de nouveaux revenus. Le gouvernement s'attaque aussi depuis plusieurs mois déjà aux syndiqué(e)s de la fonction publique et parapublique québécoise, dont les demandes salariales et de retraite ne mettraient rien de moins qu'en danger le fragile équilibre des finances publiques. Ce gouvernement n'aborde pourtant pas la question du déséquilibre fiscal, fondamental pour comprendre la précarité des finances publiques provinciales au Canada.

En effet, durant les années 1990, l'État fédéral, sous la gouverne de Jean Chrétien, a retrouvé la «santé budgétaire» en refilant la note à payer aux États provinciaux (en diminuant les transferts de capitaux qui leur étaient destinés) ainsi qu'aux travailleuses et travailleurs (en rigidifiant l'accès à l'assurance-emploi tout en pigeant allégrement dans les surplus accumulés). Conséquemment, puisque plusieurs chômeuses et chômeurs n'avaient plus accès au programme fédéral, les demandes d'aide sociale ont bondi dans les États provinciaux, faisant d'autant plus pression sur les budgets de ces derniers.

Dès sa fondation en 1867, la (quasi) fédération canadienne a mis en place un déséquilibre fiscal favorisant l'État fédéral, qui se retrouvait avec les ressources, alors que les besoins se trouvaient dans les États provinciaux. C'est ce séculaire déséquilibre fiscal que les politiques de Jean Chrétien ont creusé durant les années 1990. Là-dessus, Stephen Harper n'est pas en reste et cherche, lui aussi, à retrouver la « santé » budgétaire fédérale par une réduction des transferts de capitaux aux États provinciaux.

Les États provinciaux ont répondu au déséquilibre fiscal par des politiques d'austérité : après tout les élites politiques provinciales ne vivent pas en vase clos et, comme partout en Occident, elles ont intégré l'orthodoxie néolibérale. Cette orthodoxie qui veut que les conditions de création de la richesse nécessitent l'équilibre budgétaire et un État minimal (moins de taxes et de services publics), qui sont sensés redonner confiance aux marchés d'investir massivement dans l'économie. Par contre, cette thèse s'est révélée douloureusement fausse dans plusieurs États qui ont mis en pratique de manière rigoureuse cette orthodoxie.

Par exemple, dans l'État américain du Kansas, les coupures massives dans ses dépenses sociales (notamment en éducation) ainsi que dans ses revenus fiscaux, orchestrées par le gouverneur républicain Sam Brownback, n'ont pas amené la croissance économique et la création d'emploi promise par l'orthodoxie néolibérale. À tel point que 104 éminents républicains du Kansas, constatant l'échec de la politique économique du gouverneur républicain, entendent le chasser de son poste aux prochaines élections en donnant leur support officiel au candidat démocrate, Paul Davis.

En fait, en diminuant ses rentrées fiscales, le gouverneur du Kansas (jouant les apprentis sorciers) comptait sur une croissance de l'économie, et donc de l'emploi, pour renflouer ses coffres. Or, ni l'une ni l'autre ne se sont matérialisées. En effet, en temps de récession ou de stagnation économique, le seul acteur qui a la volonté (donc la capacité) d'investir massivement dans la société pour relancer l'économie se nomme l'État. Un État d'ailleurs que le gouverneur a privé de ses moyens d'action en sabrant dans ses dépenses et ses revenus. Le résultat : stagnation de l'économie et de l'emploi, augmentation du déficit public (et donc de la dette globale), misère sociale et diminution de la cote de crédit de l'État (ce qui hausse son taux d'emprunt).

C'est ce même cocktail que propose le gouvernement Couillard (aux prises avec un déséquilibre fiscal qu'il ne veut pas dénoncer en bon nationaliste canadien ou canadianiste) et comme les mêmes causes tendent à produire des effets similaires, on peut s'attendre à ce que le Québec connaissance la même situation économique, sociale et budgétaire désastreuse que celle du Kansas.

Si certains (au Québec, au Kansas et ailleurs) continuent de nier les faits de l'échec des politiques d'austérité et s'enthousiasment lorsque quelques indicateurs économiques semblent être positifs, l'économiste Joseph Stiglitz leur répond sans ménagement : « Conclure que l'austérité est efficace parce que le taux de chômage a diminué de deux points de pourcentage ou parce que l'on entrevoit le frémissement d'une maigre reprise fait penser au barbier du Moyen Âge qui prétendait que la saignée est un bon remède parce que le malade n'est pas encore mort. »

Face à la montée de la contestation de ses politiques néolibérales, la stratégie de communication du gouvernement Couillard a été de culpabiliser, au nom du bien commun, les employés de la fonction publique et parapublique accusés de mettre à mal la « santé » budgétaire et économique du Québec par leurs demandes qui seraient d'une autre époque. On peut se demander de quelle époque parle le gouvernement Couillard? Une époque où existait le maintien du pouvoir d'achat de ses employés? Dans quelle époque serions-nous alors? Une époque où les travailleuses et travailleurs (décrits comme autant de privilégiés irresponsables par le gouvernement) doivent faire les sacrifices pendant que les vrais privilégiés continuent de s'enrichir? Une époque où l'endettement continu des ménages est la norme, avec tous les dangers que cela amène pour la stabilité économique (rappelez-vous la crise financière américaine de 2008 qui s'est mondialisée)?

Il s'agit d'une insulte à l'intelligence d'entendre des privilégiés comme le premier ministre, Philippe Couillard, et le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, traiter de la sorte les moins nantis et les appeler à faire des sacrifices au nom d'un bien commun qui masque en fait les intérêts de l'élite économique. Il s'agit aussi d'une insulte de voir ces mêmes ministres privilégiés (qui jouissent d'un régime de retraite doré) rendre les travailleuses et travailleurs ordinaires responsables de leur malheur et de la situation budgétaire du Québec, car celles-ci et ceux-ci auraient été par le passé trop exigeants en cherchant à freiner l'érosion de leur pouvoir d'achat et à se doter d'une retraite décente. Il est aussi plus facile de s'attaquer à des syndiqués, décrits par l'élite économique et politique comme des privilégiés depuis des décennies, que de faire face au gouvernement Harper et d'exiger de ce dernier une augmentation des transferts fédéraux.

La lecture que fait le gouvernement Couillard des rapports de domination (politique et économique) au Québec revient à mettre la réalité la tête à l'envers : les dominés deviennent ainsi les dominants qui nuisent au bien commun (défini par l'élite), et les dominants prétendent être les dominés victimes de la violence et des excès des demandes syndicales, présentes et passées. Ce qui m'amène à conclure ce texte par une citation du sociologue Pierre Bourdieu : « Et, par un simple renversement des causes et des effets, on peut ainsi "blâmer la victime" en [lui] imputant la responsabilité [...] des privations qu'on lui fait subir. »

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