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La Syrie opérée sur la table à dessein

Dans ce conflit, les visées des régimes dictatoriaux et les intérêts des puissances continuent à croiser le fer pendant que la cruauté envers les populations civiles est de plus en plus extrême.
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En 1977, le leader druze libanais Kamal Jumblatt fut mitraillé dans les montagnes du Chouf. En 1982, le président Bachir Gemayel mourut lors d'une explosion aux quartiers généraux des chrétiens phalangistes. En 1989, le président René Moawed périt lors d'un attentat non loin du lieu où périt à son tour le premier ministre chrétien Rafiq Hariri. Tous reconnaissent dans ces assassinats la marque de la Syrie, car ils font partie d'une longue liste de meurtres de personnalités libanaises ayant émis des réserves par rapport à l'emprise syrienne du Liban.

La Syrie s'est toujours comportée en maître au Liban au nom d'une grande Syrie qui aurait inclus la Terre sainte et la Jordanie. C'est la minorité alaouite forte de 3 millions d'âmes en contrôle de la population de 20 millions de Syriens qui orchestre cette ambition. Les accords de Taif conclus au terme de la guerre civile au Liban avaient officialisé la présence syrienne dans ce pays. L'affirmation indépendante du premier ministre chrétien Hariri lui coûta la vie. Mais la réaction libanaise à son assassinat déclencha une vague de manifestations telle que la Syrie dut retirer ses troupes du Liban en 2005. Or, le Hezbollah libanais est un parti politique disposant de sa propre armée et qui est à la solde de l'Iran. Le nouveau président libanais Michel Aoun, autrefois farouchement anti-syrien a changé son fusil d'épaule, s'est allié au Hezbollah, faisant du Liban un état dhimmi (condition de servitude) forcé de se conformer aux dictats qui lui sont imposés par la Syrie et l'Iran: le président libanais a déclaré que l'armée libanaise combattrait aux côtés du Hezbollah dans le cas d'un affrontement avec Israël. Dans les années 70 le président Charles Hélou accueillait avec grand pathos l'OLP dans le Fatahland du Sud-Liban ce qui enclencha des activités terroristes et un conflit ouvert avec Israël en 1982. Pendant toutes ces années, la frontière syrienne était stable et strictement calme.

Plutôt que de partager le pouvoir, le dictateur syrien a préféré plonger son pays dans un carnage sans fin quitte à le mettre sous la tutelle iranienne. À ce jour, l'armée syrienne contrôle l'Alaouistan et la côte méditerranéenne au Nord, la région de Damas ainsi que l'axe reliant Alep à Homs. C'est justement le long de cet axe que furent effectuées l'attaque aux armes chimiques et les attaques aériennes subséquentes sur les hôpitaux afin de vider cette région de populations sunnites. L'aviation syrienne perdit 20% de ses capacités à la suite de la riposte américaine.

La Russie dispose d'une base navale et d'une base aérienne et entraîne l'armée. La Russie cherche à installer une nouvelle base militaire en Libye et voit d'un mauvais œil l'intention de l'Iran de construire une base navale plus au nord du Liban, à la frontière turque.

La Turquie et l'Iran ont une rivalité séculaire. L'Empire ottoman et la Perse se livrèrent à des guerres qui les ont exténués du XVIe au XIXe siècle. Le président turc aimerait faire revivre la gloire de l'Empire ottoman et l'Iran est dirigé par une mullahcratie qui vise à propager sa révolution religieuse partout ailleurs. Un continuum d'influence iranienne qui irait de l'Iran à la Méditerranée, qui comprendrait des enclaves en Irak et en Syrie et qui danserait au son de la flûte iranienne constituerait un cauchemar pour la Turquie comme pour Israël. Selon le secrétaire d'État américain Rex Tillerson, les actions provocatrices de l'Iran mettent en danger l'Amérique, la région et le monde.

Or, dans les combats contre l'État islamique, les Kurdes se sont avérés être des combattants efficaces et fiables tant au nord de la Syrie qu'au nord de l'Irak. Ils sont courtisés par l'Iran et appuyés par les Occidentaux, ce qui exaspère le président turc Erdogan qui s'oppose à toute autonomie ou continuum territorial kurde. Les forces turques ont occupé une enclave au nord de la Syrie, s'imposant ainsi entre des zones sous contrôle kurde. Erdogan menace de mettre en danger les troupes occidentales qui se trouveraient aux côtés des Kurdes. Même la Russie joue la carte kurde pour mieux assujettir la Turquie. Malgré le rapprochement entre ces deux pays et les grandes accolades, toutes les sanctions imposées par la Russie après qu'un avion fut abattu par la DCA turque n'ont pas été enlevées (les sanctions ont été enlevées sur 9 des 23 produits agricoles exportés par la Turquie) et la Russie fait pression pour que la Turquie acquière son système de défense antiaérienne S-400.

Le président Trump a déclaré vouloir prendre en considération la proposition russe, mais ses aides ont également émis de sérieuses réserves par rapport à la participation iranienne.

Actuellement, la Russie propose de définir trois zones de désescalade sous la supervision combinée de la Russie, de la Turquie et de l'Iran. Le président Trump a déclaré vouloir prendre en considération la proposition russe, mais ses aides ont également émis de sérieuses réserves par rapport à la participation iranienne. L'opposition syrienne y voit un marché de dupes (par le passé, les cessez-le-feu conclus n'ont pas inclus l'arrêt des bombardements aériens); elle rejette l'Iran en tant que garant, qu'elle accuse par ailleurs d'orchestrer des massacres de sunnites. En outre, Israël ne veut pas d'inspecteurs iraniens à sa frontière. Les hauteurs du Golan surplombant la Galilée supérieure constituent un atout stratégique de premier ordre et Israël ne veut pas laisser créer officiellement une situation qui permettrait aux troupes iraniennes de se positionner à sa frontière.

Reste la partie centrale et orientale de la Syrie encore sous l'emprise de l'État islamique qui s'est lancé dans une guerre suicidaire contre la planète entière. L'assaut sur Raqqah, ville de 220 000 habitants en Syrie se prépare. La Turquie veut s'y lancer, mais sans les troupes kurdes du PYG qu'elle continue de bombarder. Par ailleurs, une course contre la montre se prépare entre des milices chiites et des forces sunnites impliquant la Jordanie pour contrôler le sud de la frontière syro-irakienne et empêcher l'Iran de traverser ce territoire. (C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'attaque de l'aviation de la coalition contre un convoi militaire de milices chiites en route vers Al-Tanf, non loin de la frontière syro-irako-jordanienne le 17 mai ainsi que le parachutage de forces russes dans cette région). L'assaut sur Mossoul en Irak est compliqué du fait que la population civile est prise en otage par l'État islamique. Les Sunnites de la région sont pris en étau par l'Iran et par l'État islamique. Ils jettent leur dévolu sur les alliances qui suivront la prochaine visite du président Trump en Arabie et en Israël pour consolider un front d'opposition à l'Iran.

Le rapprochement entre les États-Unis et la Russie traîne, notamment en raison des enquêtes relatives à l'ingérence russe dans les élections américaines de 2016 et à l'implication possible de membres de l'équipe électorale de Trump. Les ventes d'armes russes et la route des gazoducs du futur rentrent en ligne de compte dans la politique russe, tout comme les sanctions qui lui ont été imposées depuis son invasion de la Crimée. Les ventes d'armes aux pays pétroliers et l'agressivité virulente de l'Iran qui pourra disposer légalement de bombes atomiques dans 8 ans sont au nombre des préoccupations américaines.

Dans ce conflit, les visées des régimes dictatoriaux et les intérêts des puissances continuent à croiser le fer pendant que la cruauté envers les populations civiles est plus extrême que jamais.

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