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Syrie: Alliés d’hier et adversaires d’aujourd’hui

Les Kurdes de Syrie sont conscients que la Russie se sert d’eux comme d’un pion pour moduler des pressions sur le gouvernement turc.
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Le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan.
Umit Bektas / Reuters
Le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan.

Le 20 janvier, 72 avions de combat turcs ont été dépêchés pour attaquer la région d'Afrin que les Kurdes contrôlent. Ils ont décollé de la base d'Inkirlink qui abrite les forces de l'OTAN qui soutient les milices kurdes dans sa lutte contre l'État islamique.

Peu avant l'attaque aérienne et terrestre turque, les forces russes stationnées à l'Est d'Afrin se sont retirées. Pourtant, les Russes soutiennent les forces gouvernementales syriennes contre lesquelles la Turquie oppose des forces révolutionnaires syriennes.

Cet arrangement turco-russe s'est fait donnant donnant : les forces turques ont pu attaquer le canton d'Afrin et les forces gouvernementales syriennes du président Assad ont pu avancer dans l'Est d'Idlib, causant le départ de 200 000 habitants. Peu importe pour les Turcs s'ils laissent tomber les forces révolutionnaires syriennes qu'ils ont soutenues jusque-là dans la région d'Idlib, pour autant qu'ils puissent empêcher les Kurdes d'Afrin d'affirmer leur autonomie. L'Iran se réjouit de ce que les forces gouvernementales syriennes qu'il soutient se renforcent et profite du conflit actuel pour mieux établir les dizaines de milliers de miliciens chiites qu'il contrôle en Syrie même.

De son côté, la Russie n'est pas mécontente d'avoir pu miner les rapports entre la Turquie et l'OTAN. Le président Poutine veut instaurer la Pax Russia dans la région. Or, la réunion de médiation de la crise syrienne à Sochi n'est pas une réussite, car des groupes d'opposition syriens, dont les Kurdes ont annulé leur participation.

Des messages contradictoires émanent de Washington et pour cause : compter sur la Turquie d'Erdogan comme allié serait imprudent, mais l'ignorer serait insensé.

La réaction de l'Occident à la nouvelle incursion militaire turque en Syrie a été mitigée et le Conseil de sécurité a voté une motion demandant de la retenue. Pour l'OTAN, la Turquie occupe un espace géostratégique de choix et l'armée turque est, au plan numérique, la seconde en importance. Des messages contradictoires émanent de Washington et pour cause : compter sur la Turquie d'Erdogan comme allié serait imprudent, mais l'ignorer serait insensé.

L'obsession antikurde d'Erdogan

Le gouvernement turc accuse les Kurdes du YPG d'être affiliés à la mouvance kurde du PKK qui a conduit de nombreuses opérations terroristes par le passé. Aussi le YPG a-t-il changé son nom en celui des Forces démocratiques syriennes et les Kurdes y comptent 27 000 des 50 000 conscrits. Ce sont les Kurdes qui se sont montrés coriaces et fiables dans la lutte contre l'État islamique. Ils ont été armés par les États-Unis alors même qu'ils contrôlaient le sud de la frontière turque.

En août 2016, la Turquie a occupé une enclave en territoire syrien pour empêcher la consolidation de la continuité territoriale kurde. À l'Ouest et non loin de la Méditerranée est le canton d'Afrin peuplé de 600 000 âmes. À l'Est se trouvent les cantons de Kobané et de Jaziré contrôlés par les Kurdes du YPG et où sont stationnés 2 000 hommes de troupe américains.

Le président Erdogan a très mal pris l'annonce faite 6 jours plus tôt en regard de la formation d'une armée arabo-kurde de 30 000 hommes au Nord-est de la Syrie, armée censée bloquer l'avancée iranienne et empêcher la formation d'un nouvel État islamique. Tout en attaquant le canton d'Afrin, le président Erdogan menace d'étendre son incursion à l'Est et pourrait alors entrer en conflit avec les forces de l'OTAN.

Erdogan se prépare aux prochaines élections

L'Amérique n'a pas les moyens d'influence sur la Turquie comme par le passé. D'une part, l'influence russe sur la Turquie a considérablement augmenté. De l'autre, le Qatar soutient financièrement la Turquie en s'engageant à y investir 40 milliards de dollars en deux ans. Erdogan a ignoré le message de Trump qui a exprimé sa préoccupation vis-à-vis de la rhétorique destructive du gouvernement turc et a demandé que la Turquie limite ses opérations afin d'éviter des pertes civiles et un afflux de réfugiés. Mais Erdogan continue de menacer d'occuper Manbij à l'Est de l'Euphrate, ville où des forces américaines sont présentes.

Du point de vue d'Erdogan, les États-Unis ne partagent pas sa crainte en regard de la menace kurde ; l'Europe lui refuse l'entrée de la Turquie à l'Union européenne. L'opération militaire contre la région d'Afrin lui sert à attiser puissamment la frénésie nationaliste turque* et à rallier l'opinion en vue des prochaines élections en 2019. Seul le parti kurde de Turquie s'est montré réservé par rapport à cette incursion turque en territoire contrôlé par les Kurdes de Syrie. Quelques dizaines de personnes et 5 journalistes ont été arrêtés après qu'ils aient critiqué l'opération militaire turque en Syrie.

Les oubliés de l'histoire

Quant aux Kurdes, ces oubliés de l'histoire, ils se sentent encore une fois trahis par l'Occident. Le traité de Sèvres qui prévoyait un état kurde en 1916 n'a jamais été appliqué. Les droits linguistiques des Kurdes au Moyen-Orient ont été partout bafoués et ils ont été victimes de plusieurs massacres. En Syrie, bien des Kurdes ont été déchus de leur nationalité syrienne, ce qui les a privés du droit à la propriété et facilité le transfert de populations ordonné par le gouvernement syrien. En Irak, le référendum sur l'indépendance du Kurdistan en 2017 a été ignoré par les puissances occidentales. Pourquoi les Kurdes de Syrie appuieraient-ils la lutte contre l'avancée iranienne au Nord-est de la Syrie si leurs propres intérêts sont ignorés ? Par ailleurs, les Kurdes de Syrie sont conscients que la Russie se sert d'eux comme d'un pion pour moduler des pressions sur le gouvernement turc.

Il n'est pas dit que les 10 000 Kurdes bien armés d'Afrin se laisseront faire sans opposer une résistance farouche. Ils espèrent encore obtenir un soutien américain ou une promesse d'autonomie qui aurait un aval russo-américain.

*En plus de stationner 4000 troupes au Qatar, la Turquie construit une base militaire en Somalie et une autre au port de Suakin à la frontière égyptienne du Soudan au grand mécontentement de l'Égypte, il va sans dire.

Avril 2018

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