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Politique culturelle du Québec: la main invisible du marché

Nos gouvernements ont opté pour le laisser-faire face au défi du numérique, se privant ainsi de revenus colossaux.
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Musées, bibliothèques, écoles, industrie du livre, presse écrite, médias locaux et nationaux, arts de la scène, cinéma, production télévisuelle, tout le monde se plaint de la disette quasi générale de fonds.
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Musées, bibliothèques, écoles, industrie du livre, presse écrite, médias locaux et nationaux, arts de la scène, cinéma, production télévisuelle, tout le monde se plaint de la disette quasi générale de fonds.

Le ministre de la Culture Luc Fortin vient de publier sa réponse aux audiences parlementaires de l'an dernier sur le renouvellement de la politique culturelle du Québec, un document intitulé Partout, la culture. Le résultat est lamentable. Partenariat, inclusion, échanges, excellence, synergies et autres singeries, les lieux communs abondent. Page après page, l'approche néolibérale transpire. Les « entreprises culturelles » doivent « amortir leurs coûts de production », « rentabiliser leurs investissements », « repenser les modèles d'affaires », « créer des conditions propices à l'éclosion et au développement de l'entrepreneuriat culturel ». Bref, faire de l'argent.

Un des mémoires soumis à la commission parlementaire dénonce cette approche mercantile : « Le développement entrepreneurial des artistes les incite à se transformer en producteurs de biens et de services à consommer : l'artiste devient une entreprise, et une entreprise doit répondre aux attentes de ses clients et partenaires d'affaires. Ces réflexes d'adaptation ne favorisent pas l'émergence d'une culture distincte, originale et vivante, mais la répétition de produits prévisibles, ayant fait leurs preuves sur le marché » (Journées sans culture). « Nous dénonçons la culture de gouvernance paternaliste qui préside au financement des arts au Québec, et qui tend à augmenter avec l'idéologie de la "bonne gouvernance". Celle-ci postule que les personnes les plus à même d'administrer l'ensemble des institutions du milieu culturel seraient des "experts" en gestion. (...) Pourquoi la direction et les administrateur. trices du CALQ, de la SODEC et d'autres institutions publiques ne seraient pas prioritairement issus du milieu artistique, plutôt que d'être repêchés dans le secteur des affaires, de la gestion ou des professions libérales ? » (Journées sans culture)

Musées, bibliothèques, écoles, industrie du livre, presse écrite, médias locaux et nationaux, arts de la scène, cinéma, production télévisuelle, tout le monde se plaint de la disette quasi générale de fonds. « Le soutien au fonctionnement des organismes méritoires n'a pas été ajusté selon l'inflation depuis 10 ans dans certains cas, ce qui équivaut à une baisse d'environ 20 pour cent de l'aide du CALQ en dollars courants » (Mouvement pour les arts et les lettres).

Pauvreté, précarité, discrimination sexuelle et générationnelle sont le lot de la plupart des artisans et des artistes.

Pauvreté, précarité, discrimination sexuelle et générationnelle sont le lot de la plupart des artisans et des artistes. « Selon une étude récente d'ArtExpert, 9 personnes sur 10 occupent un emploi temporaire dans le milieu des arts et des lettres au Québec pour un salaire moyen, en 2013-2014, de 3 067 $ » (Conseil québécois du théâtre). « 2/3 des journalistes professionnels au Québec gagnent 40 000 $ ou moins et un journaliste sur dix gagne moins de 20 000 $ annuellement » (Association des journalistes indépendants du Québec). « En moyenne, une artiste gagne 22 600 $, 31 % de moins qu'un artiste (32 900 $). » (Journées sans culture).

Le ministre se gargarise de termes tels qu'« économie numérique », « bouleversements technologiques » et « ère numérique », mais il n'a rien retenu des véritables défis que posent ces phénomènes. Pourtant, en l'absence d'action gouvernementale, la révolution technologique en cours contribue à l'étiolement et à la marginalisation de la culture francophone. « Les pressions qui s'exercent aujourd'hui sur la langue française et la culture québécoise viennent principalement de la déferlante de contenus audiovisuels à haute valeur d'attractivité, accessibles, gratuitement ou à peu de frais, en tout temps et en tous lieux. La bataille de l'image en est une de moyens financiers et de contrôle de la distribution » (Association québécoise de la production médiatique). « À ce jour, plus de 30 journaux imprimés ont disparu au Québec, principalement en région. Selon les données colligées par MCE Conseils, le secteur de la presse écrite a perdu 10,9 % de sa main-d'œuvre dans les trois dernières années » (Le Devoir). « Les plateformes en ligne comme YouTube, Spotify, Google Play et Apple Music offrent désormais des millions de chansons, mais souvent avec une influence éditoriale locale très faible, et une mise en valeur extrêmement discrète du répertoire québécois » (ADISQ).

Nos gouvernements ont opté pour le laisser-faire face au défi du numérique, se privant ainsi de revenus colossaux.

Nos gouvernements ont opté pour le laisser-faire face au défi du numérique, se privant ainsi de revenus colossaux. Le marché de Netflix représente « une valeur annuelle de 600 millions $ qui pourrait bénéficier au système canadien de radiodiffusion si l'entreprise y versait un pourcentage de ses revenus d'abonnement. À cela s'ajoute la perte des taxes de vente fédérale et provinciale sur l'abonnement à Netflix ainsi qu'aux fournisseurs étrangers de contenus audiovisuels en ligne comme Amazon et le service iTunes d'Apple. [...] En nous basant sur le taux d'abonnement à Netflix qui est de 15 % au Québec, on peut estimer les gains potentiels de TVQ à 9 millions $ » [Association québécoise de la production médiatique].

Pourtant plusieurs pays occidentaux ont choisi de mettre fin à l'évasion fiscale pratiquée par les Netflix, YouTube, Spotify, Google Play, iTunes, Apple Music, Amazon de ce monde. En Europe la TVA sur les services numériques est calculée d'après le lieu de résidence du consommateur depuis 2015. Le Congrès américain étudie un projet de loi similaire, le Marketplace Fairness Act, qui permettrait aux états de percevoir les taxes de vente pour des achats électroniques effectués auprès de prestataires délocalisés.

Une autre piste consiste à taxer les services numériques qui profitent gratuitement de notre production culturelle. Rien que pour la téléphonie mobile et les services internet, l'Association québécoise de la production médiatique estime qu'une taxe de 4 % « rapporterait plus de 142 M$ et la contribution moyenne par ménage serait de 3,39 $ par mois ». L'Idée de taxer les services internet résidentiels n'est pas nouvelle, la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise présidée par Luc Godbout l'a recommandée en 2015. En vain.

Les fonds collectés pourraient être dirigés vers un fonds québécois de la culture, géré de façon prépondérante par les créateurs et les artistes. Ce serait l'occasion de rompre avec l'obsession de la rentabilité immédiate. Car contrairement au mythe néolibéral de l'entrepreneuriat, les cultures les plus florissantes ont toujours été étroitement dépendantes du mécénat, qu'il soit privé ou étatique.

Avril 2018

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