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À Montréal, six employeurs sur dix exigent l'anglais

L'un des avantages de mon statut de journaliste à la retraite est le privilège de pouvoir consacrer beaucoup de temps à des recherches que seule la curiosité justifie. Je viens ainsi d'éplucher une à une les 3089 offres d'emploi affichées au site d'Emploi-Québec pour l'ile de Montréal. Je ne m'attendais pas à un résultat aussi désastreux pour la langue officielle.
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L'un des avantages de mon statut de journaliste à la retraite est le privilège de pouvoir consacrer beaucoup de temps à des recherches que seule la curiosité justifie. Je viens ainsi d'éplucher une à une les 3089 offres d'emploi affichées au site d'Emploi-Québec pour l'ile de Montréal. Ce site ne garde que les offres vieilles de deux jours ou moins, mon échantillon comprend l'ensemble de l'affichage accessible au milieu du mois de novembre. Je ne m'attendais pas à un résultat aussi désastreux pour la langue officielle. Au total, 6 employeurs sur 10, 58,8 % pour être précis, exigent de leurs futurs employés la connaissance de l'anglais. Et ce, alors que la population de langue anglaise de l'Ile n'est que de 16,8 % (langue maternelle, recensement de 2006) ou, statistique plus généreuse, 23,9 % si l'on retient pour critère toutes les personnes qui ont l'anglais pour première langue d'usage à la maison.

Ces employeurs violent-ils la Charte le la langue française ? L'article 45 de la loi 101 dit qu'« il est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance ». Ainsi, un employeur pourrait justifier la nécessité de la connaissance de l'anglais dans une foule de fonctions où l'employé risquerait d'avoir à entrer en contact avec une clientèle anglophone. J'ai donc exclu de la liste des violations potentielles tous les postes du secteur commercial, les employés de professionnels qui font affaire avec le public, les intervenants sociaux, le personnel médical, les éducatrices, les travailleurs qui oeuvrent en partie hors-Québec et même les lutins du Père Noël, une des professions en demande en cette fin d'année.

Il reste toutefois un noyau dur de 556 cas suspects, soit 30,6 % des 1815 offres d'emploi où l'on exige l'anglais. Par exemple, 18 des 23 ingénieurs recherchés ainsi que presque tous les spécialistes de l'informatique doivent savoir parler l'anglais. Il en va de même pour presque toutes les personnes qui ont les termes de directeur, développeur, administrateur, conseiller, coordonnateur, gestionnaire ou chef de quelque chose dans leur titre d'emploi, y compris les chefs cuisiniers. À l'autre bout de l'échelle, on retrouve tous les concierges de la ville sauf un, tous les contremaîtres sauf un, tous les ébénistes et l'ensemble des 18 pelleteurs de neige. À signaler que 87 de ces offres d'emplois demandent spécifiquement l'usage exclusif de l'anglais, ce qui est compréhensible pour une domestique ou une animatrice dans une maison de retraite à Westmount, mais franchement bizarre pour 7 cuisiniers coréen ou japonais ou 10 assembleurs d'objets en plastique.

De ce lot de cas suspects se détache un groupe de 337 ouvriers, artisans, techniciens, et manœuvres qui, de toute évidence, n'ont pas besoin de l'anglais pour exercer leur profession, si ce n'est à cause des lourdeurs sociologiques ou des réticences de leur employeur face à la langue officielle. Ce bloc représente 10,9 % de toutes les offres d'emploi de l'ile de Montréal. On y retrouve 13 boulangers, 21 cuisiniers, 5 plombiers, 10 laveurs de vaisselle, 26 préposés à l'entretien ménager, 8 opérateurs de chariots élévateurs, 32 manutentionnaires et commis d'entrepôts, 11 journaliers en construction, 7 bagagistes, 11 réparateurs d'équipement, 13 techniciens en informatique, une quarantaine d'ouvriers et d'ouvrières d'usine et un rembourreur de fauteuils. Le saviez-vous ? À Montréal, il faut parler anglais pour laver les assiettes, passer le balai ou dialoguer avec une machine-outil.

Ce qui nous amène au problème des immigrants, qu'on accuse souvent de façon simpliste de mauvaise volonté face à la langue française. Pour s'intégrer à la majorité, il faudrait d'abord qu'ils puissent trouver des emplois en français dans les quartiers qui les accueillent. Or, dans certaines zones la situation de la langue française est catastrophique. Dans le district administratif de Parc Extension, 88,9 % des offres d'emploi exigent l'anglais. Côte-des-Neiges, 87,4 %, Plateau Mont-Royal (la zone recouvre aussi le centre-ville) 70,5,%, Notre-Dame-de-Grâce 65,6 %, Saint-Laurent 65,3 %, Pointe-St-Charles, 63,9 %, Montréal-Nord 61,2 % et l'Ouest de l'Ile 55,1 %. Les offres sans exigence de l'anglais concernent majoritairement des emplois manuels. La plupart des postes potentiellement rémunérateurs demandent la langue de Shakespeare. Tout ceci pour dire que la provenance des immigrants ne suffira pas à franciser la métropole. Un Congolais, un Algérien ou un Français qui ne sait pas l'anglais découvrira rapidement quelle est la véritable langue dominante, à moins qu'il ne s'installe dans Mercier, dans Pointe-aux-Trembles ou dans Sainte Marie-Centre Sud, respectivement 84 %, 80 % et 67 % d'offres d'emploi en français. Sauf qu'à eux trois, ces quartiers n'offrent que 110 postes en français, les plus gros blocs d'emplois sont en anglais, 599 pour le Plateau Mont-Royal et 333 pour Saint-Laurent.

Trois des quatre partis de l'Assemblée nationale ont manifesté leur inquiétude face à la situation du français sur l'ile de Montréal et les paris sont ouverts sur ce que le gouvernement Marois pourra faire accepter à l'opposition caquiste en matière de réforme linguistique. Depuis 2000, c'est au travailleur lésé de se plaindre auprès de la Commission des relations du travail pour contester l'imposition de l'anglais dans une demande d'emploi. Les organes gouvernementaux s'en lavent les mains. Maintenant que l'on frise la discrimination systémique contre la langue officielle, il faudrait que l'Assemblée nationale légifère d'urgence pour redonner du mordant à la Charte. Mais il ne suffit pas de modifier les textes de loi si l'État lui-même ne respecte pas la législation en vigueur. En effet, si une bonne partie des offres d'emploi en anglais n'ont aucune justification dans l'accomplissement des tâches requises, c'est qu'elles violent l'esprit sinon la lettre de l'actuelle Charte de la langue française. Je terminerai donc par une question : pourquoi le ministère de l'Emploi persiste-t-il, même sous régime péquiste, à faire la promotion, sur son propre site, de l'anglicisation de la main-d'oeuvre?

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