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Saint Alain Saulnier, priez pour Radio-Canada

Ne saluons pas trop vite l'ancien patron de l'information, celui qui dénonce aujourd'hui avec fracas le patronage conservateur et la bande de béni-oui-oui qui composent le CA de la société d'État. Sous Saint-Alain-Saulnier, la liberté des journalistes s'est réduite comme une peau de chagrin.
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Alain Saulnier, ex-directeur de l'information de Radio-Canada, limogé quelque temps après le v-p Sylvain Lafrance, sort un livre pour nous assurer qu'il n'a rien à voir avec la déchéance actuelle de la Société Radio-Canada. Tout le monde en parle, exclusivités aux quotidiens du samedi, il multiplie les entrevues pour s'autojustifier et faire la promotion de son ouvrage Ici était Radio-Canada . On peut lui savoir gré d'avoir dénoncé l'ingérence politique des conservateurs, alors que l'indépendance du diffuseur public est théoriquement garantie par la loi. Mais on peut aussi se demander pourquoi il n'a pas dénoncé cette ingérence quand il en a été témoin.

Ne saluons pas trop vite l'ancien patron de l'information, celui qui dénonce aujourd'hui avec fracas le patronage conservateur et la bande de béni-oui-oui qui composent le conseil d'administration de la société d'État. Car, comment avait-il été nommé lui-même ? Par une autre bande de béni-oui-oui et de bénéficiaires du patronage, libéral celui-là. Quand on regarde froidement la situation, Alain Saulnier est un pur produit du règne libéral, un commissaire politique évincé par d'autres maîtres et d'autres bénéficiaires du patronage, conservateurs cette fois-ci.

Sous Saint-Alain-Saulnier, malgré le grand succès que constitue l'émission Enquête, la liberté des journalistes s'est réduite comme une peau de chagrin. Les fonctions éditoriales, préalablement assumées au quotidien par des syndiqués (responsables des affectations, secrétaires de rédaction, réalisateurs) ont été remises, pour l'essentiel, entre les mains des patrons. Depuis son passage au pouvoir, les sujets à couvrir, les fils conducteurs des téléjournaux, le choix des journalistes qui vont traiter les sujets importants, voire les angles de couverture, sont décidés par un collège de cadres qui se considèrent comme les forces vives de l'entreprise.

Une chercheuse de l'UQAM a très bien décrit le mécanisme. Dans son ouvrage La transformation du service de l'information de Radio-Canada (Presses universitaires du Québec, 2011), Chantal Francoeur, explique comment les cadres décident de tout ce qui est important:

« Lors d'une réunion des secrétaires de rédaction (note : des syndiqués), les cadres précisent "Vous êtes nos clients. On veut travailler plus en amont, planifier." (...) À 8h30 on décide des priorités, des couvertures du jour. À 9h15 on présente aux clients la couverture du jour. C'est le moment de valider et de modifier au besoin. À 12h30 on fait le point sur la couverture en cours. À 15h30, on fait la planification du lendemain. On dit "On prévoit ça pour demain, est-ce qu'on a des clients ?" » (p 21)

Que les cadres aient le bon ou le mauvais instinct n'est pas la question. Le problème ne se situe pas au niveau de leurs compétences, mais de la diversité éditoriale. Le système mis en place depuis le début des années 2000 est la recette parfaite pour le monolithisme et la propagande. Aucun petit patron ne contredira un grand patron et, Saulnier nous l'avoue aujourd'hui, les ordres viennent parfois directement d'en haut, du gouvernement via le PDG. Les interventions citées par Saulnier sont déprimantes. Cela va d'un séminaire pour cadres où Hubert T. Lacroix fait l'éloge de l'intervention militaire en Afghanistan, à un courriel contestant la nomination de Gilles Duceppe comme chroniqueur à l'émission Médium large ou à une intervention du ministre Moore pour qu'on ne dise pas « Kate et Will » en ondes, mais bien « le Duc et la Duchesse de Cambridge ».

Tout ceci explique pourquoi les grands bulletins de CBC et du réseau français ont maintenant presque toujours les mêmes histoires. Par exemple, des topos et « analyses » interminables sur le moindre enterrement de policier ou de militaire, ou des reportages, sans la présence du moindre écologiste, à la gloire de l'Office National de l'Énergie et des pipelines. Ce contrôle éditorial explique aussi pourquoi la propagande sur la nécessaire austérité budgétaire suinte de toutes les émissions et que les groupes sociaux et les partis politiques qui ont une pensée de gauche ont très peu de temps d'antenne. La grisaille, la Voix de son Maître...

Alain Saunier est également le cadre qui a présidé à une réforme catastrophique des Normes et pratiques journalistiques de la Société Radio-Canada, réforme qui permet désormais le commentaire mur à mur. Avant Saulnier, ce code de déontologie médiatique s'appliquait à tout ce qui touchait de près ou de loin à l'Information, même si cela se produisait dans des émissions de cuisine ou de variétés.

L'ancienne version des Normes et pratiques journalistiques se lisait comme suit : « Il s'agit des émissions de nouvelles, des émissions d'affaires publiques proprement dites de même que du traitement, dans tout genre d'émission, de sujets d'affaires publiques, qu'il s'agisse de politique, d'économique ou de social. Cela comprend aussi le traitement journalistique de l'agriculture, des arts, de la musique, de la religion, des sciences, des sports et des variétés » (version 1993).

Voici la version actuelle, après la réforme Saunier: « Les Normes et pratiques journalistiques (NPJ) s'appliquent au personnel des nouvelles, des actualités et des affaires publiques ainsi qu'aux contenus d'information produits, diffusés et mis en ligne par ces équipes. Cela inclut les contenus générés par l'auditoire lorsqu'ils sont incorporés à des sujets de nouvelles, d'actualités ou d'affaires publiques. Les NPJ s'appliquent également aux contenus de nouvelles de domaines spécialisés comme le sport et la culture, ainsi qu'au personnel qui les préparent. Lorsqu'ils abordent des enjeux d'actualité, particulièrement lorsqu'il y a controverse, les émissions et contenus d'intérêt général ainsi que le personnel qui les produit pour tous nos médias doivent respecter les valeurs d'équilibre et d'équité, telles qu'elles sont exprimées dans les NPJ. »

Cela veut dire que, depuis la réforme Saulnier, les émissions dites générales ne sont soumises qu'à certains aspects secondaires de la politique. En clair, les émissions qui ne relèvent pas des services de l'information (Tout le Monde en parle, Club des Ex, Bazzo, Médium large, etc.) ne sont tenues de respecter que deux principes, l'équilibre et l'équité. Les règles dont elles sont désormais exemptées sont : l'exactitude, l'impartialité et l'intégrité. C'est le règne du « Moi j'pense que », un travers qui a fait tache d'huile dans presque toutes les émissions, y compris l'information.

Merci Saint-Alain !

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