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«Perfidia» de James Ellroy: la saison de la chasse!

Je suis sorti de ce polar épuisé. Ce ne sont pas tous les romanciers qui peuvent emporter leur lecteur si profondément dans leur univers.laisse l'étrange sensation de s'être débattu avec des démons intérieurs, d'avoir traversé la guerre.
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Décembre 1941 à Los Angeles. Une famille japonaise est assassinée. Le lendemain, le Japon attaque Pearl Harbor. Les États-Unis vont entrer en guerre, mais la première bataille aura lieu chez eux. Perfidia, de James Ellroy, plonge le lecteur dans la fureur raciste et le déchainement des pires instincts humains.

Un petit mot trouvé près des cadavres de la famille Watanabe laisse croire qu'ils connaissaient la date de l'attaque de Pearl Harbor. C'est l'occasion rêvée d'éliminer des ennemis intérieurs : japonais, noirs, nazis, juifs, espions tous azimuts. Les policiers qui mènent l'enquête vont découvrir que derrière le quadruple assassinat déguisé en hara-kiri, des complots se cachent. L'affaire qui semblait un banal fait divers devient un nœud de vipères qui incrimine de haut en bas toute la société de Los Angeles.

L'univers de James Ellroy reste inchangé. Si son œuvre la plus célèbre,Le Dalhia noir, faisait une peinture assez sombre du Los Angeles des années 50, Perfidia , qui se déroule quelques années plus tôt, est couverte de fureur. Le roman se déroule tout au long du mois de décembre 1941, marqué par l'attaque de Pearl Harbor par le Japon, allié de l'Allemagne nazie, qui allait mener à l'entrée en guerre des États-Unis. Un nombre inqualifiable de personnages de tous les romans antérieurs d'Ellroy font des apparitions plus ou moins importantes dans ce nouvel ouvrage. Les héros du Dalhia, Lee Blanchard et Bucky Bleichert, sont présents, mais laissent place à quatre autres personnages déjà croisés dans le quatuor de Los Angeles : le capitaine du LAPD Bill Parker et le sergent Dudley Smith ainsi que Kay Lake et le spécialiste de la police scientifique, Hideo Ashida, qui vole la vedette. Mais c'est Los Angeles qui demeure le point d'ancrage et personnage majeur de toute l'œuvre de James Ellroy.

Sans surprise, Hollywood n'est pas si loin, l'écriture est cinématographique. Les phrases sont courtes et claquent comme des fouets. Tout est organisé en action, vers l'avant, sans fioritures ni description. Croyez-moi, il s'agit d'un exploit assez rarissime lorsque l'on cause d'un roman de plus de 800 pages!

Perfidia est le portrait d'une époque trouble de la mégapole californienne et aucun personnage n'est épargné. Ils sont dépeints sans romantisme, pour ce qu'ils sont : des animaux en chasse dans une société à l'équilibre précaire. Il y a dans cet univers une corruption instituée, une dépravation totale.

Si le roman de James Ellroy peut sembler long, surtout au début de l'histoire, on s'aperçoit que ce qui semblait un brouillamini de personnages et de situations finit par se dissiper et laisser entrevoir les fils conducteurs de tous un chacun : l'amour, l'argent, la gloire, le pouvoir. Les protagonistes jouent leurs cartes comme ils peuvent et le roman passe vite de désordonné à envoûtant.

En peignant le portrait de cette époque peu subtile, Ellroy, sans appuyer, démontre en toile de fond qu'il n'y a pas tant de différence entre la démocratie américaine et les régimes totalitaires. Le sort réservé aux minorités d'origine japonaise au lendemain de l'attaque de Pearl Harbor n'est pas plus brillant que la condition des juifs à Berlin. Ils seront incarcérés, privés de leurs biens, battus et quelques fois, assassinés. Dans cette partie du monde, à part l'homme blanc de langue anglaise, point de salut!

Los Angeles en 1941 est la ville de tous les vices, muselée par une force policière constituée de brutes. Au lendemain de l'attaque nippone, un black-out est décrété et les rues de la ville leur sont livrées. Les policiers deviennent alors des voyous. Les États-Unis étant ce qu'ils sont, avant même de riposter contre le Japon et de mettre l'armée au service des alliés, ils vont d'abord livrer bataille dans leur sein. Toutes les factions vont se combattre dans les rues. Les pro-juifs, anti-juifs, pro-nazis, anti-japonais, et j'en passe; un écartèlement national, comme une lutte intestine avant de tous se rallier sous la bannière étoilée.

L'inouï, chez Ellroy, est sa capacité, à coup de phrases sèches, à rendre présente et palpable toute cette période de l'histoire. On y est, on le ressent. L'univers est glauque, animé par l'alcool, l'opium, peuplé de violeurs et de mécréants, mais grouillant de vie.

Je suis sorti de ce polar épuisé. Ce ne sont pas tous les romanciers qui peuvent emporter leur lecteur si profondément dans leur univers. Perfidia laisse l'étrange sensation de s'être débattu avec des démons intérieurs, d'avoir traversé la guerre.

Est-ce que j'ai aimé ce roman? Je l'ignore! J'ai pris à cette lecture un plaisir certain, malgré la longueur. Perfidia est un spectacle malsain qui fait un juste portrait de ce pays à la démesure grandiloquente. Mais allez! C'est quand même du Ellroy, le plus grand écrivain de polar noir contemporain.

Perfidia est la première partie, aussi furieuse que bruyante, d'un nouveau quatuor qui promet!

James Ellroy, Perfidia, Éditions Rivages / Thriller. Traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias (Perfidia, 2014). Juin 2015. 835 pages.

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