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Griffintown de Marie Hélène Poitras

est ainsi une manière de western urbain beaucoup plus proche d'un drame que d'un polar. Il y a mort d'homme, enquête et résolution mais tout cela se fait à la manière Far Ouest. L'enquête et la punition viennent de l'interne, les lois du milieu. Le corps reste longtemps caché dans une glacière et personne ne vient le réclamer tant ce monde est abandonné, a quasi cessé d'être, n'intéresse plus personne.
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Griffintown raconte avec brio la dernière saison d'une écurie de Montréal, ses pittoresques cochers et les chevaux.

Comme si le temps n'avait pas d'emprise sur le territoire, Billy s'apprête à rouvrir l'écurie. Le printemps s'installe et il s'active afin d'accueillir les chevaux, les cochers et les stagiaires. Le premier malheur de la nouvelle saison s'abat alors sur le Far Ouest. Le propriétaire de l'écurie, Paul Despatie, disparaît. Il est retrouvé dans le ruisseau nauséabond, tué de deux coups de pistolet. Billy reprend aussitôt les rênes car le service de calèche doit survivre. Les clients de l'église Notre-Dame, les mariages, le Vieux-Port. La calèche revient avec le printemps, peu importe les pépins.

Incapable de faire avancer l'enquête, Billy lance un appel silencieux à celle que tous appelle La Mère, maman Despatie. Rapidement elle remonte la piste froide jusqu'au meurtrier de son fils, le provoque en duel et le tue. Le shylock est mort, mais son décès marque rapidement une forte accélération du processus de détérioration. L'écurie n'y survivra pas.

L'écriture est douce et chantante pour atténuer l'univers pittoresque, pauvre et anachronique de ce monde biscornu. Les descriptions sont exemptes de toute complaisance envers ces cochers venus tout droit des milieux les plus déshérités. La narration au présent ancre dans le ici et maintenant un territoire à l'écart de toute modernité.

L'utilité du cheval et de la calèche en ville a depuis longtemps cédé sa place pour devenir plus décoratif même que touristique.

La romancière s'attarde avec tendresse sur ce monde vétuste avec ses vrais chevaux fatigués, aussi las que les cochers sont suspects dans leur attirail western, qui se prennent pour des cowboys, mais sont aussi des mendiants, des voleurs et des mécréants. Ils ne sont plus que les accessoires d'un décor révolu, acteurs malgré eux d'une résistance passive à l'envahisseur, les vautours, promoteurs du Griffintown 2.0 qui veulent, et vont, s'emparer du territoire pour construire des immeubles à condos, attirer une nouvelle clientèle et faire revivre le secteur.

Griffintown est ainsi une manière de western urbain beaucoup plus proche d'un drame que d'un polar. Il y a mort d'homme, enquête et résolution mais tout cela se fait à la manière Far Ouest. L'enquête et la punition viennent de l'interne, les lois du milieu. Le corps reste longtemps caché dans une glacière et personne ne vient le réclamer tant ce monde est abandonné, a quasi cessé d'être, n'intéresse plus personne.

Le Far Ouest des cochers, des chevaux et de l'écurie est passé par toute les phases, allant de l'utilitaire jusqu'au vaudeville. Griffintown raconte ainsi les derniers jours de ce qui autrefois était une représentation majeure du tourisme montréalais; les tours de calèche. Le tour de force du roman est de parvenir à évoquer cet univers obsolète et misérable et à le faire monter en puissance, le rendant sympathique et vivant. Il y a quelque chose d'un grand écrivain chez Marie Hélène Poitras.

Marie Hélène Poitras, Griffintown, Éditions Alto, 11 avril 2012. 210 pages.

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