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Pourquoi l'indépendance nous unirait davantage que les révolutions à la petite semaine

Avez-vous seulement idée à quel point d'ici le psychodrame sur le crucifix de l'hôpital Saint-Sacrement a l'air d'une bagatelle insignifiante ?
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« J'ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant », dirait un certain poète. En fait, j'arrive de... nulle part. Ici, à Moscou, quand je parle de ma terre, celle du Québec, la vôtre (si vous êtes d'accord), j'ai l'air d'être un personnage de fiction. À la frontière, une douanière en porcelaine me rend un passeport qui porte le nom d'un pays qui n'est pas le mien. J'ai l'impression d'être un visage inexpressif à qui on a volé son identité, dont le confort s'est construit à l'abri de toutes les pistes de décollage du monde, dans le confort des enclaves molletonnées d'une zone internationale d'aéroport (les Français ont une périphrase merveilleuse pour décrire cet endroit : « la salle des pas perdus »).

Je suis apparemment assez « ouvert sur le monde » pour me dépatouiller dans la langue de Pouchkine (lequel, faut-il le rappeler, a appris à parler français avant de parler russe). Le Russe moyen, lui, ne parle pas anglais, tant pis pour lui, tant mieux pour moi. La Russie n'est pas un pays « mondialisé », mais c'est le plus grand pays du monde. La Russie est un grand pays pauvre.

Tout cela est-il que le fait de vivre à Moscou m'amène à voir que je ne suis chez moi nulle part dans le monde sauf dans mon quartier bobo, ma rue à sens unique, ma baguellerie huppée, mon bar de chansonnier sur Grande-Allée, mon Relevé 1 (en annexe au T4 in annex to), alouette, gentille alouette, alouette, je te plumerai.

Je veux dire qu'il faut cesser en tant que moi organique de prétendre s'autosuffire comme territoire en se dissimulant hypocritement derrière le passeport d'un autre, derrière la réputation d'un autre (souvent usurpée à nos dépens), derrière les symboles des autres, derrière les responsabilités des autres (« Donne-nous ton argent, et nous, on va prendre à ta place les décisions majeures qui te conviennent » #150).

Nous sommes tous ce Canadien errant de la chanson d'Antoine Gérin-Lajoie qui cherche un endroit qui lui ressemble, un Canada de rêve à Hong Kong, à Singapour, à Lyon, à Moscou... Alors que le véritable se trouve juste sur le pas de notre porte (que le vrai Canada se lève à l'est d'Ottawa).

Car voilà venir le véritable repli : chacun son club social (es-tu écologiste, féministe, cycliste, radio-seXiste, House of cardist (nonspoilemoipasjesuisjusterenduàlasaison4), Canadien, Bostonnais, sauce bolognaise, chacun sa terre promise, aux « conservateurs », aux « identitaires », aux ensouchés de l'arrière-pays les croisades chimériques pour cette terre de Caïn que je surnommerais le territoire provincial de notre exil quotidien.

Un pays ? Me semble qu'il y a des choses plus importantes à régler !

J'entends souvent insinuer : « Un pays ? Oui, mais quel genre de pays ? » Reformulons donc la question sans hypocrisie : pourquoi voudrions-nous d'un pays, puisque notre identité collective telle que nous la concevons nous rebute et nous hante ? Car loin de réfléchir l'indépendance comme le rétablissement logique d'une profonde injustice, à savoir notre infériorisation institutionnalisée, nos progressistes de la veuve et de l'orphelin se bornent à ne s'imaginer le Québec que comme un laboratoire révolutionnaire de luttes des classes en y évacuant tout ce qui pourrait fausser les données de cette savante grille théorique, et j'ai nommé : « l'historicité d'un peuple », soit son récit personnel sur la terre.

Le récit russe, par exemple, m'est tellement prenant que je suis à me le faire raconter pour la troisième fois en 6 ans, et je n'en suis d'ailleurs toujours pas venu à bout. Quand vous nous demandez, en bons chiens de garde révolutionnaires : « oui, mais, quel genre de pays ? », si vous posez vous-mêmes la question, c'est que vous ne savez pas y répondre, sans doute parce que vous ne savez pas vous-mêmes ce que vous êtes, à défaut que cette historicité vous ait été transmise, et vous proclamez : « je suis différent », « je suis l'Homme Nouveau universel, je m'autoconsacre historicité, je me réclame de l'Internationale Progressiste ! À bas les prétendues identités collectives ! Et c'est ainsi que deux idées qui n'en formaient qu'une dans les années soixante (socialisme et indépendance) sont maintenant polarisées en guerre froide par notre noble génération de l'amnésie sélective.

Avez-vous seulement idée à quel point d'ici le psychodrame sur le crucifix de l'hôpital Saint-Sacrement a l'air d'une bagatelle insignifiante ?

Avez-vous seulement idée à quel point d'ici le psychodrame sur le crucifix de l'hôpital Saint-Sacrement a l'air d'une bagatelle insignifiante ? De la chair à saucisse pour médias à divertissement à rabais. Qu'ai-je à raconter à mes amis, aux gens qui m'accueillent chez eux à souper et qui m'abreuvent d'anecdotes sur le temps de l'Union soviétique ou sur la guerre actuelle au Donbass, et qui s'enquièrent ensuite de ce qui se passe chez moi ? - « Chez nous, tout le monde veut du changement, pourvu qu'il ne se réalise qu'à travers des sujets triviaux tels des crucifix ou des élargissements d'autoroutes. » À tout le moins, certains d'entre eux se souviennent d'une certaine tentative de séparation d'avec le reste du pays. Mais ça semble déjà si loin. Qui se souvient des révolutions ratées et des peuples perdants ?

De tous les monuments qui façonnent la grandeur de Moscou, c'est sans doute celui du poète révolutionnaire Maïakovski qui me fait l'impression la plus forte. C'est le regard d'un homme qui contemple les siècles droit dans les yeux, avec une dureté de fer, dans une posture aussi noble que bravache. C'est un brave qui s'est levé parmi les humbles parce qu'il croyait incarner un idéal. Voilà l'Homme Nouveau, me dis-je, c'est-à-dire celui qui porte dans son regard et dans son langage l'héroïsme grondant d'un peuple au nom de tous les peuples. Et je pense à Miron, à Lalonde et à Lapointe, trois révolutionnaires, trois indépendantistes de la première heure, des éclairs entre les dents et à leurs monuments qu'on ne bâtit pas de peur de se reconnaître dans leur regard.

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