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Science et religion: bravo à Julie Payette pour ses propos éclairés

Selon la théologienne Solange Lefebvre, la gouverneure générale a ainsi «outrepassé les limites de son rôle impartial de gouverneure générale et porté atteinte à la neutralité de l'État, qu'elle représente».
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Chris Wattie / Reuters

La gouverneure générale Julie Payette a suscité une certaine controverse, le 1er novembre dernier, en déclarant ce qui suit à la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes :

«Pouvez-vous croire qu'encore aujourd'hui, dans une société instruite et malheureusement dans certains gouvernements [...] nous soyons encore en train de débattre et de nous demander si la vie est le résultat d'une intervention divine ou si elle résulte d'un processus naturel ou encore moins, oh mon Dieu, d'un processus aléatoire? » (à partir de 6:50 dans cette vidéo)

Selon la théologienne Solange Lefebvre, la gouverneure générale a ainsi «outrepassé les limites de son rôle impartial de gouverneure générale et porté atteinte à la neutralité de l'État, qu'elle représente».

Hein? Quoi? La neutralité religieuse de l'État canadien? Il n'y a, dans les lois canadiennes, aucune mention de la neutralité religieuse de l'État et encore moins de la laïcité. Bien au contraire, la constitution canadienne repose sur «la reconnaissance de la suprématie de Dieu ». Dans le contexte de monarchie confessionnelle qu'est le Canada où la reine est «Reine par la Grâce de Dieu» (Dei Gratia Regina sur vos pièces de monnaie) et doit être obligatoirement anglicane (du moins dans la portion britannique de ses fonctions), il faut saluer et applaudir les propos dépoussiérants de Julie Payette.

À titre de théologienne catholique, Mme Lefebvre a en effet témoigné à ce procès pour prendre la défense de l'ex-maire Jean Tremblay afin qu'il puisse continuer de réciter la prière en tant que maire.

La reconnaissance la plus explicite de la neutralité religieuse du Canada provient du jugement de la Cour suprême dans le procès contre la récitation de la prière dans les assemblées municipales de la ville de Saguenay. Ironiquement, ce jugement qui a donné raison au plaignant soutenu par le Mouvement laïque québécois a été rendu à l'encontre de la position alors défendue par Solange Lefebvre. À titre de théologienne catholique, Mme Lefebvre a en effet témoigné à ce procès pour prendre la défense de l'ex-maire Jean Tremblay afin qu'il puisse continuer de réciter la prière en tant que maire. L'offense à la neutralité religieuse était dans ce cas évidente et n'avait rien de comparable avec l'expression, par la gouverneure générale, du consensus scientifique sur l'évolution de la vie.

En tant qu'intervenant dans ce même procès, mais du côté du plaignant, je suis le premier à me réjouir de voir aujourd'hui Mme Lefebvre se porter à la défense de la neutralité religieuse de l'État. Mais je suis étonné de la voir s'offusquer des propos de Julie Payette alors qu'elle demeure silencieuse sur la prière récitée quotidiennement par les élus à la Chambre des communes. Le véritable accroc à la neutralité, il est là.

Laïcité et neutralité

Dans le contexte hypothétique où le Canada serait juridiquement laïque, son chef qui ne serait pas lié à la monarchie confessionnelle outrepasserait-il son devoir de neutralité en affirmant ce qu'a déclaré Mme Payette? La question mérite d'être posée et nous touchons ici à la différence entre laïcité et neutralité. Si, au nom de la neutralité qui a cours dans les pays anglo-saxons, l'État se limite à ne favoriser ni défavoriser aucune religion, la laïcité conduit plutôt l'État à s'affranchir de la religion, ce qui lui permet de privilégier les connaissances scientifiques même lorsqu'elles vont à l'encontre des croyances religieuses.

Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut, comme le fait Mme Lefebvre, à la fois saluer comme «une bonne nouvelle la nomination d'une scientifique de haut niveau» qui pourra contribuer à «la promotion des sciences [...] notamment à l'école et dans la culture populaire», tout en lui demandant de taire ce que dit la science sur les origines de la vie.

Dans son commentaire, Solange Lefebvre établit par ailleurs une distinction entre «créationnisme au sens strict » et «philosophie théiste» et affirme que «la foi dans la création ne signifi[e] aucunement la négation de la théorie de l'évolution ». Ce n'est pas la première fois que la théologienne manifeste sa méconnaissance ou sa distorsion de la théorie de l'évolution. Cette théorie rejette toute intervention divine initiale dans le développement de la vie et tout finalisme dans son évolution. La position théiste de Mme Lefebvre, qui est la même que celle du Vatican, est ce que l'on appelle du «créationnisme évolutionniste» et consiste à admettre la réalité de l'évolution tout en disant qu'un Créateur a voulu que les choses se passent ainsi. Et le tour est joué : la contradiction disparaît comme par miracle.

Cette posture est non seulement du créationnisme mou, mais une récupération antiscientifique de l'une des plus belles explications qu'ait produites le cerveau humain.

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