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Poutine sait-il qu'il est aussi le chef d'un pays musulman?

Faut-il considérer la Russie comme le rempart de l'Europe chrétienne contre l'islam armé venu du Moyen-Orient?
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Au moment où le président Poutine intensifie les bombardements en Syrie contre des forces d'opposition largement sunnites, et où le patriarche de Moscou, Cyrille, donne sa bénédiction publique à une opération visant à protéger les chrétiens d'Orient contre un «génocide» perpétré par des forces musulmanes, faut-il considérer la Russie comme le rempart de l'Europe chrétienne contre l'islam armé venu du Moyen-Orient ?

Les allures de croisade que revêt l'opération russe en Syrie ne doivent pas faire illusion : la Russie est, depuis des siècles, une terre d'islam.

Le président russe a en fait une attitude profondément pragmatique envers ses 20 millions de concitoyens musulmans et ses partenaires islamiques au Moyen-Orient. Dans sa communication, il oscille entre agressivité et apaisement, au gré de la conjoncture internationale et des évolutions de la scène politique intérieure.

D'un côté, il déclare incompatibles islam et Russie, par exemple le 4 août 2013 à la Douma. Mais d'un autre, il affirme, le 30 août 2012, que «l'islam fait aujourd'hui partie intégrante de la société et de la culture russes».

Aujourd'hui, le président Poutine exacerbe les divisions confessionnelles pour renforcer son autorité à l'intérieur, et se ménager des alliés à l'extérieur. Il reprend en cela le fil des relations anciennes de la Russie et de l'islam.

Il reprend en cela le fil des relations historiques ambivalentes de la Russie et de l'islam.

D'un côté, les tensions traversent l'histoire de l'État russe: l'identité nationale s'appuie sur le refus du «joug tatar» des musulmans mongols (1236-1480) ; l'empire des tsars s'est construit contre le sultanat ottoman et les principautés musulmanes d'Asie ; les Bolcheviks ont détruit nombre de mosquées, Staline a déporté les Tatars et la chute de l'URSS a été due, en partie, à l'affrontement avec le jihadisme d'Afghanistan et au dynamisme démographique des musulmans soviétiques.

D'un autre côté, la Russie est orthodoxe et musulmane. En 2012, ses nationaux se déclaraient orthodoxes à 41 % et musulmans à 15 %. L'islam de Russie est séculaire et ne résulte pas de l'immigration: le Tatarstan, la Volga et le Caucase sont musulmans depuis des siècles et plus de 7 000 mosquées sont actives en Russie. Sur le plan international, la proximité entre la Russie et des pays musulmans s'est affirmée par l'alliance, dans un premier temps avec l'Égypte, puis, à partir de 1979, avec l'Iran contre Israël et l'Arabie saoudite.

Dans son action actuelle, le président Poutine reconduit la proximité et les tensions de la Russie et de l'islam. Les luttes ont été été réactivées durant les guerres de Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2000) ; les vagues d'actes terroristes (théâtre de la Doubrovka en 2002 et école de Beslan en 2004) ont ravivé l'anti-islamisme dans l'opinion ; et le renouveau de l'orthodoxie a présenté l'islam comme une menace à la «russité». Sur la scène internationale, l'affrontement entre la Russie et les organisations jihadistes est aigü. En particulier, l'organisation État islamique fait grief à Moscou de soutenir les Alaouites du régime al-Assad et de dominer le Caucase.

Néanmoins, sur le plan géopolitique, la Russie a des coopérations fortes avec des puissances musulmanes : elle est le patron de la Syrie du clan al-Assad depuis les années 1970 ; elle est le fournisseur, l'avocat et l'allié de la République islamique d'Iran depuis 1979 ; elle réussit à maintenir avec l'Égypte des relations tumultueuses mais étroites. Et elle dialogue constamment avec les États musulmans d'Asie centrale dans l'Organisation de coopération de Shanghai, Kazakhstan en tête.

C'est que la Russie fait la différence entre ses ennemis «extrémistes» (salafistes et wahhabite) et ses alliés «fondamentalistes», selon la distinction de l'ancien premier ministre Primakov. Elle a même, depuis 2005, le statut de membre observateur de l'organisation de la conférence islamique (OCI) ! Les tensions avec les puissances sunnites pro-occidentales sont contrebalancées par les liens avec Téhéran, Damas et Le Caire. Et, en Tchétchénie, la présidence Poutine soutient le régime de Kadyrov, qui revendique un retour marqué à l'islam.

Qu'on ne s'y trompe donc pas : la guerre de religion entre la Russie et l'islam est un trompe-l'œil tactique destiné tout à la fois à justifier l'intervention russe en Syrie, à rallier à la Russie certains États membres européens de l'Est et... à préparer les élections présidentielles russes de 2018.

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