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Malgré les efforts de l'AIEA et d'autres pour convaincre l'humanité que 27 ans après, Tchernobyl n'est plus un problème, rien n'est en réalité réglé.
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AFP

Malgré les efforts de l'AIEA et d'autres pour convaincre l'humanité que 27 ans après, Tchernobyl n'est plus un problème, rien n'est en réalité réglé.

Certes, des sommes astronomiques ont été dépensées pour le sarcophage. Le projet en cours de réalisation coûte la bagatelle de 1,8 milliards de dollars avec 650 millions supportés par le budget européen. Mais, les retards et très probablement une mauvaise affectation des fonds, rendent plus qu'incertaine la capacité d'achever les travaux avec ce budget. Or, l'Union Européenne a très clairement indiqué qu'elle ne compléterait pas les sommes déjà versées et l'Ukraine ne paraît guère décidée à combler la différence.

Le risque est donc de voir cet ouvrage, dont l'utilité avait été largement contestée par un certain nombre de scientifiques ukrainiens qui considéraient qu'il ne répondait pas au problème fondamental, celui de la dispersion du combustible, rester inachevé au moins jusqu'à ce qu'une solution financière soit trouvée. Pendant ce temps, le risque demeure, les poussières radioactives continuent à devoir être arrosées pour ne pas se disperser et plusieurs milliers de personnes continuent à devoir travailler sur ce site.

Mais le pire est ailleurs. Il est dans la situation des milliers de personnes qui vivent à proximité de la zone contaminée et en particulier dans le district d'Ivankov, ville située à 50 km environ de la centrale de Tchernobyl. Cette zone était, avant l'accident, une zone rurale vouée à une agriculture intensive et à une activité sylvicole. Aujourd'hui, les kolkhozes ne sont plus que de grandes fermes à l'abandon, les champs sont revenus pour l'essentiel à l'état sauvage et les forêts restent extrêmement contaminées. Du reste, un des grands soucis actuels est le risque d'incendie de forêt dans le district d'Ivankov mais aussi autour de la centrale de Tchernobyl, qui, s'il se réalisait, produirait une forte pollution radioactive au moins locale, voire au-delà.

Le billet de Corinne Lepage se poursuit après la galerie

Commémoration de la tragédie de Tchernobyl

Depuis 27 ans, cette population est largement abandonnée à elle-même. Si l'IRSN procède à des analyses régulières de la radioactivité dans le sol, les résultats restent secrets. Le taux de chômage atteint des sommets (de l'ordre de 50%) et, surtout, la situation sanitaire est très préoccupante. En effet, de manière quasiment unique au monde, le district d'Ivankov compte le double de décès par rapport aux naissances. Les fausses couches, les cas de stérilité sont innombrables puisque le déficit de naissance et de l'ordre de 25 %. De surcroît, la situation sanitaire des enfants est de plus en plus préoccupante. Alors qu'avant l'accident de Tchernobyl, quatre enfants sur cinq étaient considérés comme en bonne santé, aujourd'hui, ce sont quatre enfants sur cinq qui sont malades des conséquences de Tchernobyl: troubles cardio-vasculaires, cancers, troubles gastro-intestinaux, maladie de la vision. La directrice de l'hôpital d'Ivankov rencontrée sur place, souligne que, malgré l'éloignement dans le temps de la catastrophe, la situation sanitaire des enfants ne cesse de se détériorer.

Le centre écologie et santé, initié par le Pr Youri Bandajevsky, que nous avons inauguré avec ma collègue Michèle Rivasi et les représentants locaux de l'Union européenne est un beau projet européen. Sans doute représente-t-il moins de 1% de ce que l'Union dépense pour le sarcophage et l'on ne peut qu'être abasourdi qu'il ait fallu 27 ans pour s'intéresser à la question de la santé des personnes vivantes à proximité de Tchernobyl. Quoi qu'il en soit, ce centre permettra de disposer de données publiques et fiables sur la réalité de la contamination du sol et des aliments, de permettre aux femmes enceintes et aux jeunes enfants, grâce à une serre, de se nourrir d'aliments non contaminés pour essayer d'inverser la courbe croissante de maladies des enfants. Mais, il est probable que les résultats permettront de constater l'importance de la pollution radioactive issue de la dégradation des matières radioactives et le maintien d'une pollution radioactive des éléments autres que l'iode 131 ou le césium. La question qui se posera alors sera celle de l'alimentation correcte de la population du district dans son ensemble, sauf à considérer qu'il est normal, après un accident nucléaire, de continuer à sacrifier la population voisine qui n'a pas été mise dans l'obligation de partir.

Nous n'avons donc pas encore tiré toutes les conséquences d'un accident nucléaire du type Tchernobyl et, bien évidemment la gestion post Fukushima permettra d'accroître les leçons de l'expérience. La désinformation parfaitement organisée, qui a entouré les conséquences en termes de victimes (mortalité et morbidité) de la catastrophe de Tchernobyl, était destinée à rendre impossible la connaissance réelle en termes de pertes humaines d'un tel drame. Entre les 40 000 victimes avoués par l'AIEA lors du 25ème anniversaire de Tchernobyl et les 800 000 liquidateurs qui ont vu leurs vies brisées totalement ou partiellement pour avoir accepté de gré ou de force de travailler sur la centrale, d'abord pour éteindre l'incendie puis ensuite pour réduire la contamination, il y a plus qu'une marge. Tous ceux, ardents défenseurs du nucléaire, devraient prendre conscience de cette réalité et s'interroger sur le point de savoir s'ils accepteraient, pour ne pas exposer les pompiers les services de santé dont ce n'est pas le rôle, d'être des liquidateurs, si par malheur une catastrophe nucléaire survenait n'importe où dans le monde. Quoiqu'il en soit, le cauchemar des populations contraintes de vivre sur des territoires gravement contaminés, que ce soit en Ukraine, en Russie, en Biélorussie ou au Japon, est une réalité à laquelle nous sommes confrontés. Le déni n'est une solution ni sur le plan éthique, ni sur le plan pratique. À l'heure où la France prétend s'engager dans un débat sur la transition énergétique, le coût réel du nucléaire, y compris en cas d'accident, devrait être une donnée majeure, surtout dans un pays comme le nôtre où les principaux atouts économiques restent aujourd'hui ceux du tourisme, de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la viticulture.

Au milieu des enfants qui étaient venus nous accueillir pour l'inauguration du centre, j'étais habitée par un sentiment de fierté de voir des projets soutenus dès l'accession au Parlement européen aboutir concrètement et influer sur leur vie. Nous sommes souvent dans la parole pour une meilleure réglementation sur les questions politiques, là nous étions dans le concret. Je ne suis pas toujours en phase avec la Commission européenne, mais les représentants de l'Union que j'ai croisés à Kiev sont formidables et l'aboutissement de ce projet leur doit beaucoup notamment le chef de délégation de l'Union européenne Jan Tombinski et à son équipe.

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