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Forum social mondial: honte au Canada

Ce refus du gouvernement canadien de donner des visas à ceux qui ne partagent pas certaines idées est une atteinte directe à la liberté de débattre, et donc à la démocratie.
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Le dernier Forum social mondial (FSM), tenu à Montréal du 9 au 14 aout, a été entaché par le refus du gouvernement canadien d'accorder plus de 200 visas à des visiteurs étrangers. Dans les grands médias, on a dénoncé à juste titre ce comportement inacceptable, surtout de la part d'un gouvernement qui se veut ouvert et accueillant.

Cet accroc diplomatique en dit long, hélas, sur le monde dans lequel nous vivons. Il révèle un important système de ségrégation à plusieurs niveaux. Il oppose d'abord les citoyens de l'hémisphère nord, qui peuvent voyager comme ils le veulent, à ceux du sud, confinés dans leurs frontières, et qui dépendent de la volonté d'un fonctionnaire pour pouvoir visiter un pays plus aisé que le leur.

Déjà, la seule capacité de voyager à l'étranger est un privilège accordé à une petite minorité, capable de payer les déplacements coûteux et les dépenses élevées en voyage. La distribution des visas accentue ce privilège. Un Africain, un Sud-Américain qui ne gagne pas un salaire assez élevé peut tout bonnement être refusé. Et cela, même pour un bref séjour, et même si des hôtes ont accepté avec plaisir de le prendre en charge.

Les fonctionnaires des ambassades peuvent aussi déterminer la valeur des événements pour lesquels sont invités les demandeurs de visas. Sur une demande refusée que j'ai eu l'occasion de voir, le FSM n'était pas considéré comme une raison valable pour se rendre à Montréal. Il s'agit pourtant d'un forum reconnu, qui a attiré des dizaines de milliers de personnes dans divers pays, apprécié entre autres pour son pacifisme et les débats d'une grande qualité qui s'y déroulent.

Certes, les participants ne louangent pas en chœur l'ordre établi. On peut difficilement imaginer un tel contrôle des visas lors d'un événement sportif ou lors d'un colloque international en faveur du libre-échange.

La dimension politique du refus d'accorder certains visas est devenue flagrante dans le cas de la militante Aminata Traore, ex-ministre au Mali, qui a été refoulée: «Je le sais par expérience: il y a des sujets qui fâchent, tous les sujets abordés au Forum choquent l'establishment», a-t-elle confié au Devoir le 9 août. Ce refus de donner des visas à celles et ceux qui ne partagent pas certaines idées est une atteinte directe à la liberté de débattre, et donc à la démocratie.

Plusieurs refus ont été justifiés par la crainte que les invités ne s'installent au pays et se joignent à la cohorte des immigrants clandestins. Il faut ainsi avoir une bien mauvaise idée des gens qui s'impliquent dans les forums sociaux. Dans la très grande majorité des cas, ces personnes sont engagées profondément dans des luttes au sein de leur communauté et ne quitteraient jamais le navire alors que tant reste à accomplir dans leur pays. Pour plusieurs, partir serait une forme de trahison.

Ce préjugé correspond bien souvent à une image surfaite que les pays du nord ont de leur propre valeur, alors qu'on imagine que toute personne du sud rêve d'établir ses pénates dans notre monde si ordonné et si ouvert à la consommation. Ce qui est loin d'être le cas. Certes, les demandes d'immigration sont nombreuses, mais le plus souvent provoquées par des inégalités persistantes et inacceptables, problème pour lequel on a justement de multiples solutions dans les forums sociaux. Imaginer à ce point que les demandeurs de visa peuvent être des immigrants potentiels relève de la paresse intellectuelle, d'une forme d'aveuglement et d'un chauvinisme à peine caché.

Il faut bien sûr vertement blâmer le Canada d'avoir bloqué l'entrée de notre pays à tant d'invités du FSM. Et il ne faut pas oublier d'ajouter à ces personnes toutes les autres qui n'ont même pas tenté de venir à cause des démarches longues, coûteuses, compliquées, parfois humiliantes, qu'il leur fallait entreprendre. Notre pays sera désormais très mal placé pour parler de démocratie et donner des leçons à l'échelle internationale.

Mais il faut malheureusement se rappeler que le Canada suit aussi un courant très inquiétant, accentué par une peur toujours plus grande des étrangers et les discours racistes de certains politiciens. Pour les satisfaire, on ferme de plus en plus les frontières à l'immigration. Et on en profite pour ajouter dans le lot des malvenus celles et ceux qui ne pensent pas correctement.

Des intervenantes ont mentionné pendant le FSM que ce problème est loin d'être spécifiquement canadien. Alors qu'on cherche à faciliter le mieux possible, par des accords de libre-échange, les échanges internationaux de produits et de services, les personnes quant à elles se butent aux bonnes vieilles frontières - à moins que leurs déplacements ne soient liés aux besoins d'une entreprise.

Nous avons toutes les raisons de nous alarmer de ces visas refusés au FSM. Ceci reflète à la fois un gros manque de jugement toléré par notre diplomatie, et une inquiétante volonté de rétrécir le débat public.

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