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Jean Drapeau et Charles Dutoit: la passion de la musique

Les deux personnages, plus grands que nature, partagent plusieurs choses, outre le sens de la démesure, la soif de pouvoir et le désir d'être les meilleurs.
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L'ancien maire de Montréal, Jean Drapeau, aurait 100 ans aujourd'hui. Le 18 février 2016 marque également le retour à Montréal du talentueux et controversé maestro Charles Dutoit après une absence (que l'on pourrait qualifier d'exil) de plus de 20 ans.

Les deux personnages, plus grands que nature, partagent plusieurs choses, outre le sens de la démesure, la soif de pouvoir et le désir d'être les meilleurs en imposant façon de faire et vision : la passion de la musique.

J'ai traité ailleurs du rôle du maire de Montréal dans la relance de l'opéra à Montréal à la fin des années 1970. J'ai aussi parlé des débuts de Charles Dutoit à Montréal et d'une rencontre à Québec en compagnie du regretté Noël Valerand, alors sous-ministre des Affaires culturelles, à l'été 1978.

Charles Dutoit

Député de Bourget et président de la Commission de la culture de l'Assemblée nationale entre 1985 et 1989, j'ai souvent côtoyé maestro Dutoit à l'occasion des concerts qu'il donnait à Montréal. Je l'ai revu alors que j'étais directeur général du Festival de Lanaudière en 1990 et que j'aurais tant voulu l'engager. Retourné pour ainsi dire à la «vie privée», nos chemins se sont très souvent croisés jusqu'à son départ précipité en 2002, au moment où on s'apprêtait à souligner ses 25 ans à la tête de l'OSM.

Charles Dutoit a su redonner ses lettres de noblesse à cet orchestre enraciné dans la médiocrité depuis le départ de Zubin Metha en 1967. Plus, il en a fait un orchestre de renommée internationale, récoltant éloges pour des tournées remarquables à travers le monde, ainsi que prix et distinctions pour une discographie de haut niveau, innovante et raffinée. Il l'a enraciné à Montréal, n'hésitant pas à parcourir les parcs de la métropole, s'intéressant aux choses d'ici, notamment aux célèbres (et gagnants à l'époque) Canadiens de Montréal. Un conflit sur lequel nul n'a vraiment envie de revenir l'a amené à démissionner en avril 2002 et à jurer qu'il ne remettrait jamais plus les pieds ici en tant que chef de l'OSM.

Alain Simard, un ami personnel, l'a convaincu de revenir le temps de deux concerts. Je partagerai ce soir le plaisir de l'entendre et de le voir diriger à nouveau à Montréal. Un cadeau pour tous les amateurs de musique.

Jean Drapeau

Je ne reviendrai pas sur la carrière à bien des égards controversée de Jean Drapeau. On a beau le critiquer, tenter de refaire l'Histoire, rappeler son côté grandiloquent, obstiné, ses rêves de grandeur, on n'a rien fait de semblable depuis. Je le dis sans méchanceté pour Jean Doré et Gérald Tremblay (eh oui, je passe Pierre Bourque sous silence...) qui, chacun à leur façon, ont apporté une contribution de qualité à Montréal. On verra plus tard pour Denis Coderre, qui ne peut cependant pas cacher sa satisfaction quand on avance une comparaison prématurée avec le maire Drapeau.

S'il est une chose qui fait toutefois consensus, c'est la passion de Jean Drapeau pour les arts et la culture. Oublions l'épisode aussi loufoque que ridicule du démantèlement de l'exposition Corrid'Art sur la rue Sherbrooke, deux jours avant l'ouverture des Jeux olympiques de 1976, et reconnaissons l'attachement qu'il portait à la musique sous toutes ses formes. Son implication dans la renaissance de l'opéra à Montréal entre 1976 et 1979, tantôt aux côtés du ministère des Affaires culturelles, tantôt contre lui, en est la preuve la plus éclatante.

Sans le dynamisme parfois acharné de Jean Drapeau, Montréal aurait attendu plusieurs décennies avant d'entendre ténors, barytons, altos et sopranos d'ici et d'ailleurs.

Quand Dutoit rejoint Drapeau

Les Montréalais doivent aussi à la passion de la musique de Jean Drapeau et à l'acharnement de maestro Dutoit (en passant, quel duo...) les premières véritables tentatives de construire une salle de concert digne de ce nom.

Je dis bien les premières tentatives, car il y en eut deux entre 1983 et 1985 : celle du promoteur Cadillac-Fairview en plein centre-ville, qui menaçait de bloquer une partie importante de la vue sur le Mont-Royal, heureusement retirée face à la critique quasi unanime et celle du maire Drapeau lui-même, à l'emplacement de ce qui deviendra la Place Émilie-Gamelin en 1992. Ce projet connut plus de succès que le précédent, puisqu'il donna lieu à un lancement officiel en présence du premier ministre René Lévesque à l'été 1985, quelques mois avant l'élection générale perdue par le PQ en décembre. Dès son retour au pouvoir, le gouvernement de Robert Bourassa annonce un moratoire sur toute construction d'infrastructures culturelles (il était aussi question d'un musée d'art contemporain), ce qui sonna le glas du rêve Drapeau-Dutoit. Et du mien. Je peux dire aujourd'hui que la décision de mon gouvernement ne me plaisait aucunement. Solidarité obligeant, je me fis discret dans ma critique publique.

Drapeau parti, Charles Dutoit continua son combat pour obtenir une salle de concert à la hauteur de l'idée qu'il se faisait de son orchestre. Quelques mois avant son départ précipité, il aura le plaisir d'entendre un autre premier ministre péquiste, Bernard Landry, annoncer en février 2002 la construction d'une salle de concert pour l'OSM, sur l'îlot Balmoral. Heureusement pour lui, Dutoit ne vivra pas ici une seconde déception quand le gouvernement libéral de Jean Charest annoncera, 6 mois après son élection d'avril 2003, que le Québec, n'ayant pas les moyens de construire seul une salle de concert, met fin au projet. Le premier ministre Jean Charest se reprendra en 2006 en appuyant le projet de l'OSM de construire sa propre salle. Les travaux de construction débutent en mai 2009 et la salle est inaugurée en septembre 2011.

Au cours de nos nombreuses conversations de la fin des années 1970, le maire Jean Drapeau et moi rêvions du soir où Charles Dutoit dirigerait la troisième symphonie (avec orgue) de Saint-Saëns dans la nouvelle salle de l'orchestre symphonique de Montréal. La vie m'offrit cette chance 36 ans plus tard, en juin 2014. Avec Kent Nagano. Sans Dutoit et sans Jean Drapeau.

Mais, heureusement pour nous, je reverrai Charles Dutoit ce soir.

Claude Trudel, De la crise d'octobre au printemps érable, parcours d'un citoyen engagé, 1960-2012, Québec Amérique, 2015, p 105,114.

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