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Galati c. Harper : 2-0

Ce que nous disent les tribunaux, et le confrère Galati, est tout simple: il faut être membre du Barreau pour être nommé juge au Québec, et non pas l'avoir été à un moment donné!
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À titre d'avocat, j'évite généralement de commenter publiquement les nominations judiciaires et le processus de nomination qui le sous-tend. Mon rôle à cet égard est de supporter l'autorité des tribunaux.

La déontologie des avocats est claire.

Tout en respectant mon code, il est difficile, voire impossible, à titre d'avocat, de ne pas faire ces quelques remarques tellement le débat soulevé par notre confrère Rocco Galati est grave et sa portée, historique!

Ce sont les contestations initiées par ce dernier, un inconnu jusqu'à récemment, qui m'ont inspiré ce billet. Sans tomber dans les détails juridiques de ces affaires qui visent ou ont visé les nominations des juges Nadon, et Mainville tout récemment, on doit rappeler que l'argument principal du confrère Galati est une interprétation simple de la loi, fondée sur le sens ordinaire des mots, par rapport à une interprétation sophistiquée - je ménage mes mots - des articles 6 de la Loi sur la Cour suprême et 98 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, autrement dit la Constitution.

Ce que nous disent les tribunaux, et le confrère Galati, est tout simple: il faut être membre du Barreau pour être nommé juge au Québec, et non pas l'avoir été à un moment donné! L'interprétation proposée par le confrère Galati s'inspire largement, je pense, du célèbre juge dissident de la Cour suprême des États-Unis, l'Honorable Antonin Scalia avec qui j'ai eu l'honneur et le privilège d'échanger lors de ses nombreux passages au Georgetown University Law Center à proximité de l'édifice de la Cour suprême à Washington D.C.

L'herméneutique proposée par l'Honorable Scalia est celle du "gros bon sens" ou le sens ordinaire des mots, ou strict interpretationist: autrement dit, n'essayez pas de faire dire aux lois et à la Constitution ce qu'elles ne disent pas pour les "faire évoluer". C'est au législateur de les changer. L'Honorable Scalia a fixé des limites à l'activisme judiciaire, contrairement à ses collègues, les honorables juges Souter, Breyer, Kennedy, Stevens, etc. qui nous proposent une théorie de l'arbre évolutif qui est en partie le fondement de l'activisme judiciaire américain...et canadien.

Bien qu'il soit souvent seul et isolé, les arguments de l'Honorable Scalia rappellent à l'élite juridique américaine que Madame et Monsieur tout le monde lisent les lois et la Constitution à travers le sens ordinaire des mots et le "gros bon sens".C'est exactement ce que fait notre collègue Galati. Et pour cela BRAVO!

Mais un rappel.

Depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs, il est difficile, voire impossible, de faire quelque lien entre leur agenda Loi et ordre d'une part et, d'autre part, les nombreuses nominations judiciaires depuis 2006. Ce que l'on constate d'emblée, c'est la prédominance des nominations d'avocats d'affaires des grands cabinets et l'absence remarquée de criminalistes, tant de la Couronne que de la défense. Bien beau "se péter les bretelles" d'un agenda Loi et ordre, encore faut-il nommer sur le banc des avocats qui s'y connaissent un peu en droit criminel et non pas seulement des spécialistes du droit municipal, des assurances, de la famille et de la faillite, ou des contrats.

Ma chère lectrice, mon cher lecteur, croyez-le ou non, c'est exactement ce qu'ils ont fait depuis 2006. On compte sur les doigts d'une main, ou deux(?), les spécialistes du droit criminel qui ont eu la chance d'une nomination judiciaire. Or, le droit criminel, tout comme les enquêtes policières qui mènent à des accusations, n'a cessé de se complexifier depuis les dernières décennies: le droit criminel est une spécialité en soi, au même titre que la neurologie ou l'oncologie le sont pour la médecine.

Harper et son conseil ont décidé de les ignorer, selon toute apparence. Le Commissariat à la magistrature fédérale assume la responsabilité de confectionner ce qu'on appelle la "short list», mais le choix final pour la sélection de tous les juges fédéraux, entendons les juges de la Cour d'appel et de la Cour supérieure, appartient au politique, entendons les caucus, le PMO, le Conseil privé et, finalement, le ministre de la Justice. C'est l'opacité totale. Puis surprise!

Je me souviens des années libérales dans la foulée du rapatriement de la Constitution et de l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Par hasard, le banc s'était peuplé de confrères criminalistes qui supportaient et endossaient des idéaux de droits fondamentaux: pour le commun des mortels, entendons les avocats au quotidien, cela était heureux et n'avait rien de surprenant. Cela s'appelle de la congruence ou de la cohérence politique, le politique tenant à s'assurer une pérennité et à laisser un héritage aux générations futures en fonction d'objectifs nationaux et internationaux précis, notamment l'image du Canada à l'échelle mondiale comme défenseur des droits de l'homme.

En décidant de mépriser quasi ouvertement notre profession et ceux qui la symbolisent, nos juges, le gouvernement Harper a renoncé à cette pérennité et à cette congruence qui moulent l'image et la réputation d'un pays à l'international, mais aussi à l'égard de ses minorités.

Si dans un avenir prochain, le gouvernement Harper est battu, dans peu de temps, il ne restera plus rien de leur programme juridico-politique, et ce sera bien fait. Nos tribunaux auront ramené les pendules à l'heure juste. C'est ce qu'il en coûte de mépriser ceux qui ont pour tâche de supporter l'autorité des tribunaux, les tribunaux eux-mêmes et la loi.

Ce gouvernement ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Et notre confrère Rocco Galati passera tranquillement et sûrement à l'histoire de notre pays comme le David ayant vaincu le Goliath. Le dossier Mainville est à suivre. Nous sommes dans l'incertitude, mais rappelons-nous, le sens ordinaire des mots...

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25 avril 2014

Cour Suprême 5, Harper 0

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