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Un flic appelé Cartouche

Qui se souvient de René «Cartouche» Duperron, un policier peu banal qui pendant plus de 30 ans, fut le roi de la?
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Qui se souvient de René «Cartouche» Duperron, un policier peu banal qui pendant plus de 30 ans, fut le roi de la Main?

René Duperron, mieux connu comme «Cartouche», fut un flic d'exception. Ce bonhomme aura passé toute sa carrière d'officier de police sur la rue Saint-Laurent, entre René Lévesque et Sainte-Catherine. Pendant plus de 35 années, il a battu le pavé d'une rue qui fut la plus active, la plus dangereuse et la plus connue de la ville de Montréal.

Au fil des décennies, il y aura deux postes de police numéro 4 : le premier, un poste datant du XIXe siècle, vétuste et vermoulu, doté d'une écurie et démoli pour faire place au cégep du Vieux-Montréal ; puis celui du 105 Ontario Est, l'édifice servant maintenant à des groupes sociaux et communautaires. Ces deux bâtisses mythiques étaient bien connues de tous les truands, mafieux, ivrognes et badauds. René Duperron l'était tout autant. L'homme de la Main deviendra une légende bien avant son départ.

De la fin des années 40 jusqu'en 1975, il fallait avoir le cœur bien accroché et les épaules épaisses pour résister aux multiples bagarres, meurtres, attaques et blessures de toutes sorte dans le Red Ligth de l'époque. On y retrouvait, pêle-mêle, caïds, prostituées, proxénètes, travestis, ivrognes et clients de tous genres. La Main fut longtemps l'endroit ou des dizaines de gros bras tentaient de se faire une réputation en battant un flic. Malheureusement pour eux, à cette époque, beaucoup de flics étaient aussi de taille pour les mâter. «Cartouche» était de ceux-là : l'homme n'a jamais eu froid aux yeux et tout le monde avait appris à le craindre.

René Duperron fut un des rares flics, sinon le seul, à ne pas posséder de permis de conduire ni avoir conduit une voiture de police. Toute sa carrière fut celle d'un gars à pied, un gars de beat comme on disait dans le département. Les officiers connaissaient sa valeur et ils n'avaient pas peur de le laisser seul dans la fausse aux lions. Ce super flic de la Main ne s'en laissait pas imposer par qui que ce soit. Tu obéissais à ses ordres ou tu risquais de te ramasser assez rapidement sur le cul. C'était la norme et tout le monde s'y conformait.

La méthode «Cartouche»

À mon arrivée en 1968, nous étions toujours en faction, c'est-à-dire à pied et sur la Main. Sans vraiment le vouloir, «Cartouche» nous montrait comment travailler dans le secteur. À l'époque, les officiers dépêchaient quatre hommes sur cette rue. De son côté, «Cartouche» s'y rendait seul ne voulant personne avec lui. La Main possédait plus de six clubs qui brassaient, deux tavernes et quelques minables cantines où il fallait être fait fort pour avaler les ratas et les bouillies qu'on y servait. Deux d'entre elles répondaient aux noms d'El Dorado et de Domestick. Les deux endroits rivalisaient pour l'insalubrité, la malpropreté, les cafards et les odeurs nauséabondes. C'était aussi là, que pour trente sous, l'énorme Annette s'asseyait sur une grosse bouteille de bière, qu'elle faisait disparaître à l'intérieur de son sexe velu. La grosse femme payait sa bouffe et ses cafés avec ça.

Quand «Cartouche» passait la porte de la cantine, jetant un coup d'œil circulaire, on voyait se lever une dizaine d'hommes se diriger soit vers la porte, soit au comptoir pour ramasser un café frais. Cette soudaine activité ne nous surprenait plus. Car avec le temps, nous avions appris pourquoi. Nous regardions toujours un peu perplexes le gros homme passer de table en table et tremper son énorme index boudiné dans quelques tasses de café en disant : «Ton café est froid, dehors.»

Personne ne rechignait. Si le café était encore tiède, le pauvre gars pouvait continuer à savourer le jus de doigt. C'était la méthode «Cartouche». Souvent, les restaurateurs de ces bouges lui offraient du café ou de la bouffe gratuite, le policier les regardait alors en riant. Jamais il n'aurait accepté. René aimait mieux préparer ses repas dans la cuisine du poste. Pourtant, à la même époque et même un peu après, j'ai vu plusieurs autres flics bouffer les ragoûts dégueulasses des cantines, car comme ils le disaient si bien : «C'est sur le bras». «Cartouche» les méprisait, lui qui aimait garder sa liberté. Personne n'allait l'acheter avec des cafés ou de la bouffe. En fait, personne n'allait l'acheter tout court!

Une petite marche avec cinq détenus

Il est arrivé qu'une nuit de septembre 68, alors qu'il se tenait au coin des rues Ste-Catherine et St-Laurent, René remarquât de la lumière dans un commerce au-dessus du restaurant Ben Ash. Ces lumières étaient des lueurs de lampes de poche. Ce flic comprit vite qu'il avait devant lui un cambriolage. En moins de deux, grimpant l'escalier de secours, il surprit cinq lascars en pleine action. Notre limier revint au poste avec ses cinq détenus. Rien de bien inusité pour un flic! Mais le fait de voir marcher cinq bonshommes au pas, l'un derrière l'autre et les mains en l'air, suivis par une police revolver au poing répétant tous les 10 pas : «Si quelqu'un dépasse la ligne, je le tire».

Cette phrase fit de l'arrestation un fait d'armes incroyable. Le nouveau sergent n'en revenait tout simplement pas. Pas plus que plusieurs badauds du Plan Jeanne Mance qui en parleront pendant des années. Le vieux René était comme ça : pas besoin d'aide, je m'occupe de mes affaires moi-même. Cette façon de faire, il la répétera avec régularité. Presque tous ses détenus auront eu à trotter jusqu'au poste de police. René n'aimait pas l'automobile.

Un mélomane

René était un loup solitaire qui ne se liait jamais facilement. Pourtant, si vous vouliez l'entendre, vous n'aviez qu'à aborder la musique, sa seule passion. Cet homme à l'allure rustaude, pour ne pas dire carrément néandertalien, devenait un dictionnaire, une encyclopédie des auteurs et des œuvres. Un pan de mur complet de vinyles de tous les auteurs classiques ornait son appartement. Ni Mozart ni Bach n'avaient de secrets pour lui. C'était le seul moment où il devenait presque intarissable. Des stations radiosà réputées l'appelaient régulièrement pour lui demander s'il possédait tel ou tel disque rarissime et presque à coup sûr, René répondait oui! Ça, c'était l'autre «Cartouche», le vrai René Duperron, celui du dehors de la profession. C'était aussi ça la police.

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