Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Le courage qu'il faut pour dénoncer

Bravo à celles qui le font et je ne jugerai surtout pas, celles qui se taisent.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Des femmes se taisent et vivent avec ce secret, une partie de leur vie.
Getty Images/iStockphoto
Des femmes se taisent et vivent avec ce secret, une partie de leur vie.

Dans les cas d'agressions sexuelles, plusieurs personnes se disent: pourquoi ne pas en avoir parlé avant?

Pourquoi? En plus de la honte de ne pas avoir vu ça venir, il y a la honte et la gêne d'avoir à le raconter à des inconnus, l'inconfort moral d'avoir à écarter les jambes pour des prélèvements et dans certains cas, des photos. D'avoir à rencontrer un autre inconnu, un policier à qui encore une fois, tu dois raconter l'infâme agression. Il y a aussi la peur de possibles représailles, du jugement des proches.

Puis, il y aura la Cour et les questions embarrassantes, les questions tendancieuses et le souvenir cuisant et cruel, que tu tentais d'oublier. Tout ceci, devant un juge, des greffiers, des avocats, et souvent un public et des médias.

Je ne veux surtout pas diminuer le travail fait par les sections Agressions sexuelles des départements de police. Ils font un travail difficile.

Je ne veux surtout pas diminuer le travail fait par les sections Agressions sexuelles des départements de police. Ils font un travail difficile. Mais, en tant que flic, vous avez beau faire de votre mieux, vous n'avez plus d'influence sur rien lors du procès. Et souvent, la victime et vous en ressortez amèrement déçus.

Voilà pourquoi encore aujourd'hui, plus de 80% des femmes ne portent pas plainte. Des femmes se taisent et vivent avec ce secret, une partie de leur vie.

Je ne vais pas commenter les propos du juge Brown parus dans le Journal de Montréal, mais, ça fait aussi parti de ce que j'appelle les écueils d'un parcours déjà difficile.

J'aimerais vous raconter quelques cas d'agressions sexuelles sur lesquelles j'ai enquêté. Je ne vais pas tout dévoiler, mais juste en donner une brève idée.

Il y a quelques années lors d'une enquête, j'avais rencontré une jeune femme victime d'une agression plutôt sordide. Cette jeune femme complètement dévastée, avait terminé son récit par: «Je suis un bol de toilette!» Cette victime en plus du viol, s'était fait déféquer et uriner dessus. Cette femme devait maintenant raconter à un homme qu'elle ne connaissait pas, le viol et l'avilissement de son corps et de son esprit, malheureusement commis par un autre homme.

Pendant des heures, j'avais dû l'amadouer, l'apprivoiser et écouter sans trop montrer d'émotions, car nous devons garder la tête froide, malgré le récit. J'avais, il faut le dire, fait l'arrestation un peu durement. L'empathie n'était surtout pas au rendez-vous ce jour-là.

La victime et moi avions communiqué à quelques reprises avant le procès. Il est normal comme victime, d'avoir des craintes avant un procès. Il faut encore une fois, raconter en détail tout ce qui a été vécu. Cette fois devant plusieurs personnes et surtout, devant le bourreau. Interrogatoire, contre-interrogatoire, plaidoiries. À la toute fin... Le juge dira: «Vous pensiez qu'il était riche et vous avez été déçue». «Pourrait-il s'agir d'une forme de vengeance?» Donc, j'ai un doute raisonnable. Acquitté!

C'est une jeune femme dévastée et silencieuse, que j'irai reconduire. Elle avait eu le courage de raconter sa douleur. Elle s'était encore une fois, mise à nu. Tout ça pour ça.

Une autre jeune femme dans la trentaine m'avait été confiée par mon lieutenant. Son petit patron l'obligeait à des actes sexuels pour garder son emploi. C'est sa psy qui l'avait poussée à dénoncer. Encore une fois, il faut raconter à un étranger, l'infamie. L'homme nia tout en bloc. « Je suis un homme marié et jamais je n'aurais fait ça.». Puis au procès, volte-face. «C'est elle qui me harcèle, parce qu'elle ne veut pas perdre son job et oui, j'ai cédé une fois ou deux.» Acquitté, doute raisonnable. Comment expliquer cette décision à une jeune femme en larmes ?

Une troisième, jeune Philippine étudiante et seule au pays, sera agressée par un autre étudiant, un Bosniaque. À la cour, il viendra avec femme et enfant dire que oui, il avait fait l'amour avec la jeune femme et qu'elle était totalement consentante. Acquitté, doute raisonnable. Et encore une fois, tu reconduis en silence une femme versant des larmes d'incompréhension.

Dans un autre cas, un cas de GHB. Le suspect, un étudiant universitaire a violé deux jeunes étudiantes qui, par bonté d'âme, lui rendaient visite la journée de Noël. Le jeune homme disait être seul au Canada, la cour avait confisqué le passeport. Malheureusement, il avait de la famille dans la diplomatie et il fila à l'anglaise. Son avocat me dira: «Comme ça, il ne va pas revenir.» Et moi, je devais consoler mes victimes avec cette phrase.

Alors, oui, il faut encore et toujours du courage pour dénoncer. Bravo à celles qui le font et je ne jugerai surtout pas, celles qui se taisent.

Avril 2018

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.