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C'était ça aussi la police

Nous patrouillons la rue Ontario, tout est calme. Jean décide de descendre la rue Plessis, la radio est totalement silencieuse, nous le sommes presque autant. Plus loin, une dame maigrichonne qui, malgré le froid, demeure peu habillée et grelottante nous fait de petits signes malhabiles. Je la fais monter à bord.
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Novembre1978. La soirée de travail commence à peine que sur la Main, deux bagarres nous entrainent vers l'hôpital St Luc. Mon pantalon est déchiré, j'ai deux ongles qui saignent, mais le détenu n'a pas plus belle mine. Le bonhomme fait plus de 100 kilos et son sport préféré est de «battre des polices». En fait, battre tous ceux qui ne lui plaisent pas et en «bleu », c'est rare que tu plaises. Cette fois il a frappé un mur. Je lui ai tout simplement rentré les doigts dans les yeux. Tu ne vois plus, ça fait mal, tu te calmes.

Le temps de changer mon pantalon et nous sommes de retour sur la route. Nous patrouillons la rue Ontario, tout est calme. Jean décide de descendre la rue Plessis, la radio est totalement silencieuse, nous le sommes presque autant. Plus loin, une dame maigrichonne qui, malgré le froid, demeure peu habillée et grelottante nous fait de petits signes malhabiles. Je la fais monter à bord.

La jeune femme se confie: «Mes enfants n'ont presque rien à manger, j'ai un bébé qui n'a pas de lait, j'ai pas de couches, plus d'huile à chauffage.»

À cette époque, il restait encore des fournaises à cruches. Il fallait se rendre avec une cruche de verre, à un distributeur d'huile, un peu comme pour un frigidaire à Coca-Cola.

- «Mon mari est sur la rue Visitation avec son chum pis deux filles, ils font un party.»

Jean et moi entrons visiter sa maison: elle est assez propre, mais froide. Le bébé emmitouflé dans quelques serviettes pleure sans arrêt. L'autre enfant, une petite fille, a un manteau décousu sur le dos et la morve au nez. Le réfrigérateur est presque vide, tout comme les armoires. Nous, les flics endurcis, nous plissons les yeux... Je n'ai pas besoin de parler, Jean ne sourit plus.

Nous voilà à pied, en route vers l'adresse indiquée par la femme. J'oublie de frapper et nous nous retrouvons devant deux gars qui sifflent quelques bières tout en ayant deux jeunes filles assises sur leurs genoux.

- «Qu'est-ce que tu veux toé?»

En moins de 30 secondes, ce sont deux filles ébouriffées qui fuient la scène. Le bonhomme qui nous a souhaité la bienvenue se retrouve assis par terre, l'autre, celui que je viens chercher, tente bien de jouer au fier, mais Jean le plaque durement contre le mur.

- «Ta femme t'attend!»

Nous retournons à pied vers la maison. Tout au long du trajet, quand il maugrée, c'est un coup de pied au derrière qu'il reçoit. Il en recevra au moins cinq. Une fois à l'intérieur de la maison, le crétin lance perfidement à sa femme:

- «T'as pas fini avec moé.»

Je ne sais pas pourquoi, il se retrouve rapidement par terre en se tenant la mâchoire. Les planchers doivent être glissants. C'est avec un grand plaisir qu'il nous suit pour acheter un gallon d'huile à chauffage, du lait, des couches et quelques trucs à bouffer. En fait, j'ai vidé ses poches.

De retour à la maison, nous lui faisons comprendre que sa petite épouse vient de se faire deux très grands amis. En fait, toute une famille d'amis.

- «On va passer régulièrement, tous les jours s'il le faut. On va aviser les autres gars qui vont faire pareil. Il manque quelque chose... Elle a des marques, elle a peur, elle a un rhume, c'est ta faute. Et les petites filles, pas touche... Ça sent la prison!»

On fera ça pendant un bon bout de temps, c'est invasif et anti-charte. Aujourd'hui, nous serions suspendus par la déontologie policière et les services sociaux prendraient des mois à penser à régler le problème de façon civilisée. Le temps qu'ils déménagent ou qu'il fasse des menaces. Nous avions nos méthodes un peu draconiennes, mais c'était ça aussi la police.

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