L'an prochain, ça fera 50 ans que des millions de gens sont venus de partout visiter pendant quelques mois une île que l'on appelait « Terre des Hommes ». Un endroit idyllique dans une période tout aussi idyllique. Tout comme le monde, Montréal vivait dans un « Peace and love » incroyablement utopique. Pas de guerre, ou si peu, un essor économique certain, des projets futuristes aux lunettes roses. Dans 50 ans, plus de pauvreté, nous serons déjà installés sur la lune, les voitures voleraient et les robots travailleraient à notre place.
Les chanceux pouvant visiter tous les pavillons de l'exposition universelle ressortaient émerveillés par cette diversité culturelle si attrayante. Même le pavillon de l'URSS, l'ennemi juré des pays capitalistes, avait grâce à nos yeux. C'était l'orgie de son et lumière à tous les jours. Tant pis s'il pleuvait et en 1967, car il faut le dire, l'été avait été pourri. Le général De Gaule, du haut d'un balcon, était venu raviver un sentiment de fierté. La reine était passée presque dans une totale indifférence polie. Nous avions droit à une visite de dignitaire par jour. Nous étions les porteurs d'un temps bénit.
Pourtant, cinq ans plus tôt, il y avait eu la crise des missiles de Cuba, quatre ans plus tôt, la mort de Kennedy, le début de la guerre du Vietnam, l'Afrique s'embrasant lentement. En cette année bénie, Israël venait de battre les États arabes et au Québec, on se relevait du premier FLQ et de la mort d'un soldat artificier. 1967 devait être la trêve qu'il nous fallait. Nous ne savions pas encore que les années suivantes s'assombriraient.
L'année suivante, il y aura la révolte tchécoslovaque écrasée par Moscou, Mai 68 à Paris, la rébellion mexicaine avant les Olympiques, les nombreuses émeutes des Noirs dans tous les États-Unis, la mort de Martin Luther King suivie de celle de Bob Kennedy. Sans oublier les défaites américaines au Vietnam, les manifestations contre la guerre, la grande purge de Mao, ou encore les coups d'État au Congo, au Mali, au Laos et au Cambodge.
Mais à Montréal en 1967, rien ne pouvait altérer ce bonheur grandiose, pas même la dette créée par la fantastique fête qui s'offrait à nous. Nous avions construit un métro, créé des îles, détruit des pâtés de maisons dans le « faubourg à la mélasse » pour y planter des motels préfabriqués peints en gris. Nous avions fait la même chose dans Griffintown pour y construire l'autoroute Bonaventure. Au diable les pauvres, ils n'avaient qu'à se faire voir ailleurs. Nous leur avions construit le Plan Jeanne Mance, alors tout allait pour le mieux. Bon, les pauvres ne pouvaient pas se payer le passeport de l'Expo, encore moins les joies de La Ronde, mais qu'auraient-ils pu aller faire là?
Qui se serait douté que neuf mois plus tard, dans la foulée des révoltes du mois de mai à Paris, ici dans les rues de Montréal, nous assisterions à la plus grande émeute connue au Québec, sinon au Canada. Qui aurait cru que les trois années suivantes seraient marquées par des enlèvements, des dizaines d'attentats à la bombe et la venue d'une armée pour contrôler une pseudo révolution anticipée. Des événements qui, pour un temps, amenèrent un peuple à croire qu'il pouvait devenir grand. C'était avant le cynisme et le désabusement qui caractérisent ce que nous sommes devenus.
Oui, 1967 fut une année de bonheur, mais on le sait, le bonheur est malheureusement passager.
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Expo 67
