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L'androgynie sexy de Prince et de «Purple Rain»

Je crois que Prince séduisait les femmes parce qu'elles se reconnaissaient aisément en lui, et vice versa: l'amour mutuel était réel et viscéral.
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Il y a quelques jours, on fêtait à New York le 25e anniversaire du film Purple Rain. Dans le cadre du festival Celebrate Brooklyn!, une série de concerts et de manifestations avaient été organisées au Prospect Park Bandshell, une conque installée en plein air dans un parc. Les fans, dont beaucoup avaient enfilé d'extravagantes tenues pourpres, occupaient les 2 000 sièges disponibles, d'autres étaient assis sur la pelouse et tous rendaient hommage à Prince en chantant en chœur les chansons du film.

Divers médias, dont la radio publique new-yorkaise WNYC et le magazine Spin, avaient accueilli leurs propres commémorations et discussions. Spin a même produit un album rassemblant divers artistes, sur lequel figurait un remake de When Doves Cry par les Twilight Sisters, avec Apollonia, l'une des stars du film, en invitée vedette.

L'intrigue de Purple Rain, pour ceux qui ne l'auraient pas vu: Prince joue le Kid, qui chante dans un groupe de Minneapolis dont le son ne se conforme pas aux impératifs de la musique pop. Par conséquent, ils sont sur le point de se faire virer de la salle dans laquelle ils se produisent régulièrement. Sur ces entrefaites arrive la superbe Apollonia, qui rêve de devenir une star et fait l'objet des visées romantiques du Kid et de l'acteur-interprète Morris Day (dans son propre rôle). Day est l'ennemi juré du Kid, mais aussi le faire-valoir comique du film, et celui qui crève l'écran.

La masse compacte de spectateurs chantant, bondissant et braillant sur Purple Rain était parfaitement adaptée à l'événement, car l'intrigue est sous-tendue par la musique encore surprenante en dépit de toutes les années (j'aime particulièrement l'effervescence décontractée et fantaisiste de Take Me with U), les morceaux de bravoure sur scène, l'humour et le sexe. Car le film regorge de petites gâteries: la poitrine dénudée d'Apollonia, sa lingerie fine, ses habits de cuir et sa scène d'amour avec Prince. Sans oublier la poitrine dénudée de celui-ci, ses chemisiers, ses cuirs, son déhanché, sa sueur et son aura d'androgynie presque permanente.

Prince en une du magazine Spin en juillet 2009.

C'est surtout cette androgynie qui électrisait certaines spectatrices. Les scènes clés déclenchaient des cris suraigus: la façon faussement sage dont le Kid demande à Apollonia d'arrêter quand ils dansent chez lui, sa manière de remuer ses hanches et son postérieur, ou d'entrouvrir les lèvres quand il est allongé sur scène, baignant dans une lumière rose, à la fin de The Beautiful Ones.

C'est une leçon intéressante qui nous vient d'un film du milieu des années 1980: qu'un homme à la féminité triomphante dans sa gestuelle et son style - dentelle, eye-liner, cils et bouclettes, mouvements des doigts, foulards, tops exhibant le nombril et bottines - puisse exciter des légions entières de femmes. Et, excusez du peu, il porte ces tenues dans un film dont l'intrigue se déroule dans un quartier populaire.

J'ai parlé à des fans de Prince de ce qu'elles adoraient chez lui: deux d'entre elles ont évoqué son originalité et sa volonté de suivre sa propre voie. L'une s'est même exclamée: «Regardez-moi ces talons!»

Je crois que Prince séduisait les femmes parce qu'elles se reconnaissaient aisément en lui, et vice versa: l'amour mutuel était réel et viscéral. Peut-être que la génération contemporaine de chanteurs de soul masculins, qui adhère à un modèle de virilité beaucoup plus rigide, n'a pas retenu la leçon. Andre 3000 et Maxwell, deux exemples d'artistes avec une fan base féminine très importante, revendiquent cependant une certaine «douceur» dans leurs instincts créatifs. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils détonnent dans le paysage musical actuel...

(Note: une autre star noire de la virilité androgyne figure au générique du Cinquième Élément. Il s'agit de Ruby Rhod, le personnage humoristique joué par Chris Tucker, un animateur de radio costaud, mais à la voix aigüe et amateur de rouge à lèvres.)

Le Kid n'est pourtant pas un modèle de vertu féminine: il maltraite physiquement Apollonia, la manipule, se montre cassant et despotique avec les autres membres du groupe, surtout Wendy et Lisa. Pourtant, sa fluidité fascine et je me demande si Purple Rain fonctionnerait aujourd'hui, à l'ère de l'arrogance et du conformisme outranciers, quand les Noirs se baladent dans les rues en tenue de guérilla urbaine, avec leur démarche si particulière, le Jungle Stroll (épaules en avant, poings serrés et bras le long du corps).

Prince et son androgynie ont connu un succès stratosphérique. Nous les applaudissions, nous continuons à les applaudir. Mais dans un paysage culturel où, à chaque manifestation de douceur, les Noirs qui veulent paraître virils s'empressent d'affirmer qu'ils ne sont «pas homo», et où l'un des plus grands noms du R&B, Ne-Yo, éprouve le besoin de publier sur son site une déclaration défendant sa masculinité après avoir pleuré sur scène, on peut se demander comment le public contemporain accueillerait un nouveau venu tout menu, enveloppé de châles dorés et de foulards en soie froissée pourpres.

La couverture de l'album compilation de Prince met en valeur son style varié, mais immédiatement reconnaissable.

Ce blogue, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Christophe Tracy pour Fast for Word.

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