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Quand les séries donnent la voix aux survivantes

La réflexion sur la culture du viol est de plus en plus présente dans l'espace public.
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Depuis une dizaine d'années, plusieurs séries à succès comme House of cards, Scandal, ou The Americans, intègrent des représentations des agressions sexuelles plus crédibles et surtout, et c'est là la nouveauté, présentent des personnages de survivantes.
romkaz via Getty Images
Depuis une dizaine d'années, plusieurs séries à succès comme House of cards, Scandal, ou The Americans, intègrent des représentations des agressions sexuelles plus crédibles et surtout, et c'est là la nouveauté, présentent des personnages de survivantes.

Il est souvent question d'agressions sexuelles dans les séries, notamment les fictions policières. Mais les contextes dans lesquels elles surviennent et surtout, le portrait qui est dressé de l'agresseur renvoient plus aux croyances populaires qu'aux données recueillies concernant ces crimes. Ainsi, c'est encore souvent la figure du psychopathe agressant sauvagement des victimes anonymes, qu'il finit généralement par assassiner, qui est exploitée. Il s'agit pourtant de situations exceptionnelles, car dans les faits, l'agresseur est souvent connu de la victime. Et si l'agression sexuelle constitue un acte d'une extrême violence physique et psychologique, les violences entrainant la mort sont assez rares.

Conséquence de ce cadrage, le récit est centré sur le ou les enquêteurs dont le travail acharné dévoile progressivement la psychologie de l'agresseur. La présence de la victime est par contre réduite à la scène de l'agression qui est montrée du point de vue de l'agresseur ou d'un tiers, et malheureusement, souvent érotisée. Suivent alors des scènes d'autopsies ou de manipulation de photographies du cadavre violenté, mutilé et souvent ligoté de la victime. Ces images de corps exhibés en gros plans, morcelés et objectivés reviennent périodiquement ponctuer le récit, histoire de rappeler l'horreur du crime et de valoriser la persévérance des enquêteurs. Mais l'histoire des victimes est peu développée, puisque pendant longtemps, rares étaient les personnages de séries qui survivaient à une agression sexuelle. C'est en train de changer.

Depuis une dizaine d'années, plusieurs séries à succès comme House of cards, Scandal, ou The Americans, intègrent des représentations des agressions sexuelles plus crédibles et surtout, et c'est là la nouveauté, présentent des personnages de survivantes.

Depuis une dizaine d'années, plusieurs séries à succès comme House of cards, Scandal, ou The Americans, intègrent des représentations des agressions sexuelles plus crédibles et surtout, et c'est là la nouveauté, présentent des personnages de survivantes. Plusieurs séries font ainsi débuter le récit longtemps après l'épisode de l'agression, adoptant le schéma narratif suivant : au hasard de leur parcours, le ou l'un des personnages féminins vedettes est confronté à son passé d'agression et amené à dévoiler son histoire. C'est le cas par exemple, d'Elizabeth Jennings, l'agente infiltrée du KGB de la série The Americans, qui a été violée par son supérieur Timoshev lors de son entrainement en URSS. Le premier épisode débute une vingtaine d'années plus tard, alors qu'elle est établie dans la banlieue de Washington avec son mari Philip avec qui elle forme un couple fictif. Dans le cadre d'une mission, Elizabeth se retrouve confrontée à son agresseur Timoshev qui a trahi le KGB et que le couple est chargé d'intercepter et de renvoyer en URSS. Comme Philip est tenté de faire preuve de clémence à l'égard du traitre, Elizabeth lui révèle ce qui lui est arrivé et celui-ci bouleversé, le tue, pour elle. Au-delà de cette vengeance dont on ne sait trop si elle délivre Elizabeth, le geste de Philip est pour Elizabeth l'occasion de s'ouvrir, de baisser la garde et de se rapprocher de son compagnon. Dès le départ, The Americans pose ainsi le personnage d'Elizabeth comme survivante et montre que cette expérience est constitutive de son parcours et de son identité.

Explorer les conséquences des violences sexuelles sur la vie des femmes et auprès de leur entourage est un des thèmes qu'abordent plusieurs séries récentes comme Big Little Lies, Jessica Jones et surtout Top of the lake dont la saison 2 sera prochainement diffusée sur CBC. Co-production américano-australo-britannique, cette minisérie réalisée par Jane Campion (The Piano), suit le parcours de la détective Robin Griffin qui revient à Laketop, son village natal, pour enquêter sur la mystérieuse disparition d'une jeune fille âgée de 12 ans enceinte. L'enquête au rythme lancinant, se déroule en Nouvelle-Zélande, dans un paysage d'une beauté à la fois fascinante et inquiétante. Elle confronte Robin à son passé traumatique, marqué par un viol collectif et l'abandon de l'enfant né de l'agression. L'enquête piétine mais Robin refuse d'abandonner, remuant le passé et le présent, dans un contexte où la violence faite aux femmes est banalisée, tolérée et même entretenue par les membres des forces policières.

La saison 2 continue l'exploration du parcours de Robin, que l'on retrouve cinq ans plus tard, de retour à Sidney, dans une nouvelle enquête sur la mort d'une jeune prostituée thaïe. Dans cette saison, Jane Campion pose un regard sans concession sur les effets de la légalisation de la prostitution, montrant qu'elle contribue à banaliser l'exploitation sexuelle et à favoriser le trafic de femmes. La série a été accusée d'offrir une représentation assez pessimiste (voire caricaturale) des rapports entre les sexes, mais au moins la réalisatrice et scénariste a-t-elle le mérite d'élargir le cadre et d'orienter la réflexion sur les rapports de domination qui se jouent dans la violence, l'exploitation sexuelle et la marchandisation du corps des femmes (l'intrigue intégrant aussi un trafic de mères porteuses).

Le récit de Robin incarnée par Elisabeth Moss avec beaucoup de justesse, témoigne aussi du long processus de reconstruction identitaire d'une survivante. La première saison montre notamment la difficulté qu'éprouve la détective, de retour dans son village natal, pour accéder à son histoire et comprendre ce qu'on lui a fait, tant son histoire dérange. Or la mémoire traumatique n'étant pas sémantique, elle ne se parle pas, mais resurgit dans les cauchemars de Robin et semble, comme une bombe, toujours prête exploser. Dans les deux saisons, on assiste aux moments de découragement et de perte de sens que vit Robin, des moments où la frontière semble si mince entre douleur et folie. La série montre aussi les multiples micro agressions sexistes que subit Robin dans son milieu de travail majoritairement masculin, dont l'accumulation vient nourrir sa douleur et sa colère. Top of the lake est enfin une des rares séries à aborder les risques d'agressions subséquentes qui menacent les survivantes, entre autres, parce que celles-ci ne parviennent pas à se protéger. Dans une scène particulièrement saisissante de la saison 2, le supérieur qui avait drogué et agressé Robin dans la saison 1, et contre qui elle a porté plainte, revient à la charge. La séquence est interminable et montre Robin figée, regarder l'agresseur s'approcher, sans pouvoir bouger, ni se défendre, jusqu'à ce que la colère reprenne le dessus et lui permette d'être à nouveau présente à elle même.

Top of the lake dit aussi le double défi pour les survivantes de se faire entendre et d'obtenir justice sans être enfermées dans la figure de la victime par le regard des autres. «Le viol, c'est terrible pour la psyché, on ne s'en remet jamais» lui lance sur un ton faussement compatissant le proxénète qui a séduit sa fille. Et pourtant le récit est aussi plein d'espoir, témoignant de la force et des ressources que développe Robin au travers du traumatisme, de son engagement dans le travail qui bien qu'excessif lui permet d'exister, des petites joies qu'elle retrouve, des promesses qu'ouvrent les retrouvailles avec sa fille biologique et la rencontre amoureuse.

L'espoir vient aussi de ce que Top of the lake est loin d'être la seule série à raconter le vécu de survivantes. C'est aussi un des thèmes de la très belle série Big little lies de Jean-Marc Vallée qui traite, là encore, avec beaucoup de justesse, de la mémoire traumatique envahissante, de la difficulté à raconter, à se reconstruire, des relations complexes avec l'enfant né du viol.

Certains s'étonnent du nombre de séries impliquant des survivantes, pointant notamment vers certaines productions britanniques récentes (Happy Valley, In the Dark, Three girls, Liar). Mais que les récits de survivantes soient devenus « tendance », n'est pas très étonnant. La réflexion sur la culture du viol est de plus en plus présente dans l'espace public. Il est donc assez logique qu'on la retrouve dans la culture populaire dont les récits et les images alimentent en retour nos représentations du monde. Aussi, réjouissons-nous que les productions récentes fassent exister des survivantes (et des survivants, voir par exemple, Rectify) et déploient leur vécu avec plus de nuances dans le temps long et quotidien du récit sériel.

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