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Des ogres au pouvoir

Les ogres commencèrent par manger les infirmières ailées, puis les mages et les faiseurs de soupe, les pourvoyeurs de lettres et de mots.
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En tant qu'écrivaine, je travaille depuis quarante ans en bibliothèque et en milieu scolaire. Depuis une quinzaine d'années, j'interviens presque uniquement en milieu défavorisé.

Avant de les voir sabrer en santé, en culture et en éducation, j'inviterais certains ministres à passer une journée dans une classe défavorisée. Sauraient-ils comprendre la détresse d'un enseignant ou d'une enseignante complètement brulés et déjà au bout du rouleau bien avant le mois d'avril?

Deux petites filles d'une classe de 5e année du primaire ont fait une tentative de suicide à l'automne, la classe compte au moins sept enfants difficiles (difficulté d'apprentissage à divers degrés, problèmes psychologiques, problèmes de santé, etc.) dont quatre extrêmement agités et un autre que je qualifierais d'« intimidateur sévère » : il terrorise la moitié de la classe. Cette école-là ne fait pas partie des écoles défavorisées, c'est une école tout à fait normale.

Une enseignante m'a dit récemment : « Je voudrais enseigner! » Enseigner, elle n'en a pas le temps autant qu'elle le souhaiterait, occupée à gérer une classe de vingt élèves dont cinq vraiment très difficiles. Des cas, diraient les spécialistes. Pour elle, ce sont simplement des enfants à qui elle enseigne malgré tout de merveilleuse manière. Elle a une classe dite « normale », elle aussi. Les classes défavorisées, c'est tout simplement plus dur, même si la chose semble difficile à concevoir.

Les enfants difficiles, malades ou perturbés pour mille raisons exigent énormément de temps et de patience de la part des enseignants. Ils ralentissent nécessairement les autres qui, en fin de compte, sont négligés à leur tour.

Imaginez un peu, mesdames et messieurs les ministres, la détresse des professeurs qui vivent cela chaque jour et à qui on annonce qu'ils devront désormais accueillir un nombre encore plus grand d'élèves dans leurs classes. Sauriez-vous travailler et survivre plus de trois semaines dans de telles conditions?

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Conte destiné à madame Hélène David, ministre de la Culture et des Communications; à madame Francine Charbonneau, ministre de la Famille; à monsieur Philippe Couillard, premier ministre du Québec; à monsieur Gaétan Barrette, ministre de la Santé et des Service sociaux; à monsieur François Blais, ministre de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Petit conte que je leur conseille de lire le soir, avant de s'endormir.

Les ogres

Ils étaient toute une bande de petits, certains aveugles, d'autres boiteux, ou dans la lune à perpétuité. Il y avait les trop nerveux, les agités, les cerveaux mous, les toujours tristes, les pas tout à fait terminés et les abandonnés, il y avait aussi énormément de presque normaux.

Veillaient sur eux les infirmières ailées, les mages porteurs de savoir, les faiseurs de soupe et les pourvoyeurs de lettres et de chiffres, les musiciens et les inspecteurs du bonheur. Tous ces gens les aidaient à poursuivre leur route ou à la retrouver s'ils l'avaient perdue. Les petits recevaient aussi des cadeaux.

Puis vint le jour des ogres. C'était un jour comme les autres. On aurait préféré qu'ils n'approchent pas, mais ils s'installèrent quand même, joyeux et barbus, affamés et cruels.

Ils se moquaient des petits. Qu'ils aient faim, qu'ils soient maigres ou trop gros, qu'ils aient des jambes de bois ou des yeux artificiels, qu'ils soient dans leur nuage ou que leur cerveau soit lent, qu'ils aient égaré leurs parents ou qu'ils veuillent apprendre et être un peu heureux, les ogres s'en souciaient comme de l'an quarante.

Les ogres commencèrent par manger les infirmières ailées, puis les mages et les faiseurs de soupe, les pourvoyeurs de lettres et de mots. Ils mangèrent aussi les inspecteurs et les musiciens.

Vint le jour où, parmi tous ceux qui s'occupaient des petits, il n'y en eut plus un seul à manger. Les petits n'osaient plus bouger, ne savaient plus comment suivre la route.

Alors dans un grand éclat de rire, l'ogre en chef décida de croquer tous les enfants, c'était tellement plus simple que de s'en occuper.

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