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Le racisme: brèves réflexions sur une question sans fin

C'est tout de même étonnant qu'au XXIe siècle une partie de l'humanité se trouve sans cesse [encore] obliger de justifier son humanité, sa présence au monde. Quel fiel d'avoir à me prononcer sur une problématique aussi abjecte! J'éprouve un profond déchirement pour ceux et celles (noirs, blancs, métis, jaunes, etc.) qui souffrent du racisme.
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J'ai longtemps hésité à aborder publiquement la question du racisme, et ce, pour plusieurs raisons.

Premièrement, le racisme est une réalité historique douloureuse. De fait, elle peut à juste titre susciter chez certaines personnes des réactions très émotives.

Deuxièmement, le racisme est une problématique qui, chaque fois qu'elle est abordée, laisse rarement place à un débat serein, exigeant et nuancé. C'est, hélas, très souvent le terrain où s'affrontent deux extrêmes ayant chacune une vision manichéiste bien acérée.

Très explicitement, il est difficile de parler du racisme sans qu'un « extrémiste blanc » vous accuse hâtivement de nourrir des jérémiades culpabilisantes à l'égard de l'homme blanc d'aujourd'hui, tenu pour bénéficiaire des rentes esclavagistes du XVIIe siècle. En effet, le discours sur le racisme venant d'une « personne de couleur » est immédiatement suspecté d'entretenir chez le lecteur homme-blanc-caucasien, une culpabilité constante ou une mauvaise consciente éternelle.

L'« extrémiste basané » quant à lui n'hésitera pas à qualifier de « nègre de service », « d'esclave de maison » quiconque essayera de dénoncer l'aveuglement qui consiste à voir systématiquement le racisme partout et surtout dans ses échecs (professionnel, scolaire, social, etc.). Comme dirait Boucar Diouf, « les adeptes de cette fraternité raciale n'aiment pas non plus les moutons noirs qui essayent de s'éloigner du troupeau ».

Troisièmement, j'ai souvent éprouvé un profond malaise à l'idée que mon discours sur le racisme pourrait être perçu comme une généralisation abusive et une victimisation permanente, dont le but inavoué est de produire chez le lecteur blanc en l'occurrence, une commisération paternaliste. Je vous rassure immédiatement, il n'en est rien.

Somme toute, bien que fondées, les appréhensions susmentionnées ne constituent plus des créances suffisamment fortes pour me contraindre à l'autocensure. Certains silences sont coupables. Mieux encore, « il vient un temps où le silence est trahison » (Martin Luther King).

Constat amer

Le racisme, cette plaie immonde de l'humanité est définitivement difficile à penser et surtout à panser.

C'est tout de même étonnant qu'au XXIe siècle une partie de l'humanité se trouve sans cesse [encore] obliger de justifier son humanité, sa présence au monde. Quel fiel d'avoir à me prononcer sur une problématique aussi abjecte! J'éprouve un profond déchirement pour ceux et celles (noirs, blancs, métis, jaunes, etc.) qui souffrent du racisme et doivent ad vitam æternam monter au créneau pour dénoncer ce fléau devenu l'exutoire de quelques personnes aux prises avec de nombreuses frustrations mal dissimulées. Plus que jamais, de manière insidieuse, la banalité du racisme s'installe. Le procédé est le même : on insulte, puis on s'excuse ; on se défend d'avoir un ami asiatique, africain, arabe et j'en passe.

Aux États-Unis de l'aveu même du premier président métis, la Marche contre le racisme n'est pas terminée.

« Quand Trayvon Martin a été tué, expliquait-il en 2012 sous un ton empreint d'émotion, j'ai dit qu'il aurait pu être mon fils. Autrement dit, Trayvon Martin, ç'aurait pu être moi il y a trente-cinq ans. (...) Rares sont les Afro-Américains qui n'ont pas fait l'expérience d'être suivis quand ils font des courses dans un grand magasin. Moi aussi, j'ai connu ça. (...) Rares sont les Afro-Américains qui n'ont pas fait l'expérience de prendre l'ascenseur et de voir une femme serrer son porte-monnaie nerveusement et retenir sa respiration jusqu'à ce qu'elle puisse sortir ».

Au niveau sociopolitique, « le racisme est là. Il n'est pas mort. [...] Comme disait Aimé Césaire, il attend [toujours] son heure, guettant la lassitude et les déceptions des peuples ». Dans ce contexte, le citoyen plus ou moins foncé et visible est devenu pour certains membres de la société occidentale, la tête de Turc, l'origine de tous les malheurs et par conséquent le sacrifice expiatoire. « C'est à cause de lui que nous n'avons plus de travail »; « C'est à cause d'eux qu'il y a autant d'insécurité »; « Les Arabes sont des terroristes, par conséquent, il faut les renvoyer dans leur pays », entend-on souvent dire ici et là, sur les réseaux sociaux, dans un coin de quartier, dans les transports en commun et parfois, hélas, dans les établissements d'enseignement post-secondaire. Bref, il faut le jeter en pâture pour exorciser les maux de la société à défaut de pouvoir les assumer sans faux-fuyants.

À y regarder de près, le racisme contemporain a essentiellement une cause historique et économique.

Les ressorts du racisme.

Dès 1492 et durant plusieurs siècles, l'Autre a été construit suivant les seules vues européennes. Il représentait, pour certains intellectuels occidentaux, le sauvage, le barbare et l'anhistorique qu'il fallait civiliser, évangéliser et sortir de son inhumanité afin de l'introduire dans l'humanité civilisatrice blanche. Autrement dit, la rencontre entre les deux mondes s'est historiquement produite sous le signe d'une condescendance civilisationnelle qui s'est progressivement « racialisée ». Il est intéressant de remarquer que les conséquences néfastes de cette rencontre, suivant les modalités que je viens d'esquisser à grands traits, sont toujours d'actualité.

Je préciserai toutefois que la différence raciale n'explique pas tout. En fait, le racisme c'est aussi l'histoire d'une différence raciale qui s'est transformée en inégalité sociale. La situation économique des Afro-Américains par exemple, alimente de nombreuses discriminations raciales à leur égard. Il faut oser se l'avouer. Dans un monde où l'argent est roi, c'est le pouvoir d'achat qui détermine le degré de respectabilité. Ainsi, il est loisible d'observer qu'à l'heure actuelle, les Chinois sont de plus de plus courtisés, tandis que les Grecs ou les Roms sont de plus en plus ostracisés.

Qui plus est, il n'est pas incongru de penser que le racisme sournois, inavoué, subtil, porté par certains intellectuels occidentaux et entretenu par certains politicards populistes constitue l'humus, le ferment de ce qu'on considère à tort comme l'incapacité quasi congénitale des minorités visibles à s'intégrer à la culture de la majorité. Même s'il faut reconnaître que ces populations sont sensibles à l'idée de famille et de communauté, ce serait une erreur de penser que ceci entraîne cela; que l'idée de communauté est indissoluble ou incompatible avec l'idée d'intégration.

À propos de la situation française pour ne citer que celle-là, j'ai la faiblesse de penser que le communautarisme est généré par le racisme et non l'inverse. Le communautarisme est avant tout une réaction face à la stigmatisation et à la discrimination. Plus largement, le communautarisme apparaît comme une logique de résistance, une stratégie d'existence, une possibilité de survie pour des populations, dont l'origine, la couleur et la situation sociale, constituent pour elles, des handicaps.

Que faire ? « Mieux vaut allumer une chandelle que maudire l'obscurité » (Lao Tseu)

Une précision s'impose à ce niveau. Loin de moi, l'idée de voir le racisme partout, car je reste convaincu qu'une branche qui se casse fait sans doute plus de bruit que toute une forêt qui pousse. Toutefois, je dirai également avec Fanon que : « le fait, pour moi, de me sentir étranger au monde du schizophrène ou à celui de l'impuissant sexuel n'attaque en rien leur réalité ».

S'il est vrai que le racisme est souvent le partage d'une très petite minorité, il n'en demeure pas moins qu'il faut constamment dénoncer ses avatars et proposer des solutions pour y faire face. Ce travail exigeant doit se faire au nom, non pas d'un corporatisme racial, mais d'une haute idée de justice. Autrement dit, ce n'est pas tant le racisme à l'égard d'une frange importante de la population mondiale qui doit nous interpeller collectivement, mais l'injustice tout court.

En ce sens, j'exècre toute réaction ou indignation strictement induite par une appartenance ou une sympathie corpo-raciale. Je suis convaincu que c'est l'humanité tout entière qui est attaquée chaque fois que des actes à caractères racistes sont commis. Si on admet cette prémisse, il devient alors aisé de penser que c'est à la société tout entière et plurielle (blanc, noir, jaune, métis, etc.) qu'il revient le devoir de dénoncer cette injustice structurelle/raciale.

Je ferai remarquer que la loi est un maillon important dans le combat contre le racisme, mais il est loin d'être le maillon essentiel. Une société qui aura réussi à juguler le racisme à sa racine est une société où le recours à la justice pour lutter contre le racisme relèvera de l'exception. Sans un soubassement éducatif fort et décomplexé (quoi qu'en disent certains esprits chagrins, c'est à bien des égards le cas au Québec), sans une pédagogie sociale adéquate, sans une mise au rebut du réflexe électoraliste-populiste qui veut qu'on accable systématiquement l'étranger/la minorité visible de tous les maux de la cité, il n'est de véritable lutte contre cette injustice.

Je voudrais conclure ce billet par une citation de Darry Cowl : « L'esprit humain est comme un parapluie, il fonctionne mieux lorsqu'il est ouvert ».

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