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Les inégalités en procès

Il paraît difficile de concevoir l'existence de richesse qui ne soit, à un moment ou l'autre de sa genèse, entachée de corruption et de sang.
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Ce qui est frappant à Montréal et dans la plupart des grandes villes à travers le monde, c'est l'intensité avec laquelle la richesse (matérielle) inouïe, voire insolente, côtoie la plus grande pauvreté. À l'échelle d'une rue comme Sainte-Catherine, le nombre important de Ferrari, de Lamborghini ou de Lincoln est quasi proportionnel au nombre de clochards au kilomètre carré. Et c'est sans compter l'itinérance cachée et papillonnante de ce peuple invisible des grandes villes qui, à défaut de se terrer, se tait parce qu'ici, et dans une large proportion, seul l'argent vous rend visible; seule la profondeur de votre carte de crédit vous donne droit de cité.

Nous assistons en spectateur (quelquefois) désemparé à ce qui ressemble à un des plus grands paradoxes de notre temps: jamais dans toute l'histoire de l'humanité n'y a-t-il eu pareille concentration de la richesse et des ressources; jamais l'humanité n'a autant produit de richesse....et peut être, surtout, de pauvreté.

Comment expliquer la coexistence de tels extrêmes? Où trouver les racines d'un fossé qui ne cesse de croître, creusant ainsi l'écart entre les plus pauvres et les plus riches?

L'envers du décor, un constat dérangeant

Pour tenter de répondre à cette question, il importe, d'abord, de comprendre que la richesse et la pauvreté ne relèvent pas d'un manque de ressources, mais du déséquilibre produit par leur répartition inéquitable. La richesse et la pauvreté sont donc des constructions sociales, complémentaires (permises l'une par l'autre), politiquement induites.

Ainsi, il est loisible de remarquer que dans un échange équitable, personne ne s'enrichit et que, pour faire du profit, il faut donner moins que la valeur réelle de l'objet. Le succès de l'entreprise néolibérale découle donc directement de sa capacité à amener autrui à accepter l'échange le plus inéquitable possible afin d'en retirer un maximum de profit. Or, cela n'est possible que si l'on s'arroge le droit de ne pas s'embarrasser de ceux aux dépens desquels cet enrichissement se construit. Du coup, il paraît difficile de concevoir l'existence de richesse qui ne soit, à un moment ou l'autre de sa genèse, entachée de corruption et de sang.

Notons par ailleurs que la baisse des impôts, l'optimisation et l'évasion fiscale ont très souvent pour corolaires les enfers sociaux. Dans une étude sur les ressorts et conséquences des inégalités, présentée le 15 juin, les économistes du Fonds monétaire international (FMI) nous invitent d'ailleurs à prendre congé de la théorie du «ruissellement», selon laquelle les revenus des plus riches contribueraient à l'activité économique générale. Selon les auteurs de ce travail:

«Lorsque la part de gâteau des 20% les plus aisés s'accroît de 1%, le produit intérieur brut (PIB) progresse moins (- 0,08 point) dans les cinq années qui suivent. Cela laisse penser que les avantages des plus riches ne ruissellent pas vers le bas. En revanche, une augmentation du même montant de la part des revenus détenue par les 20% les plus pauvres est associée à une croissance plus forte de 0,38 point»

Autant dire que les inégalités de revenus nuisent à la croissance. Plus les riches sont riches, moins la croissance est forte, plus les inégalités sont grandes et moins les filets sociaux sont étanches.

Et à tous ceux qui plaident la loi de la jungle, il convient de rappeler que le lion tue certes une antilope pour se nourrir, mais il ne s'accapare pas tout le troupeau, monopolisé dans un entrepôt, pour les revendre à ses congénères.

Juge et maître de l'économie mondiale, le néolibéralisme, porté par sa lubie mégalomane, plonge inéluctablement une frange de la population dans la misère matérielle (les faillites) ou psychique (dépressions ou suicides). Chose qui pourtant n'étonne guère sitôt que l'on songe que c'est en permettant à l'homme d'ignorer l'humain qu'il fit sa gloire.

Implacable réalité?

«Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. C'est la plus belle qualité d'un révolutionnaire.» - Lettre d'adieu de Che Guevara à ses enfants, mars 1965.

Bien qu'affligeante, la situation décrite précédemment n'est pas une fatalité. À défaut d'éliminer totalement la pauvreté, on peut au moins réduire la polarisation et les inégalités croissantes entre les classes sociales. Chacun de nous a la possibilité réelle de faire quelque chose pour remédier à la situation en refusant, notamment, de succomber aux sirènes de la résignation et en donnant une partie de son temps et de son argent à des organisations de la société civile spécialisées dans la lutte contre la pauvreté et la marginalisation sociale.

Le combat en faveur de la réduction de la polarisation et des inégalités sociales passe également par l'équité fiscale. Il s'agit d'instaurer une fiscalité plus redistributive, via des impôts et la propriété, et plus progressive sur les revenus (nouveau régime d'imposition pour les plus riches, taxe sur le capital des entreprises, une loi sur les plafonds salariaux des PDG, etc.).

De plus, il apparaît plus que jamais nécessaire de mener une lutte acharnée contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux. C'est le sens même de la justice sociale qui se dissipe dans la logique cupide et prédatrice de ces paradis.

Entendons-nous bien: il ne s'agit pas de s'en prendre à tel ou tel particulier, mais de dévoiler certains aspects d'un système qui accroît continuellement les disparités sociales. S'il est vrai que les conditions de production de la misère sociale sont éminemment complexes et protéiformes, il n'en demeure pas moins vrai qu'il n'y a pas d'enrichissement sans création de pauvreté.

Somme toute, si l'on veut réduire les inégalités sociales et resserrer les filets sociaux, il importe d'aller résolument vers une équité fiscale. Mieux encore, il convient d'installer des radars sur les autoroutes de l'évasion fiscale et de détricoter patiemment les rouages des paradis fiscaux.

Ce billet a été écrit en collaboration avec ma collègue Chantale Pilon

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