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Une élection ne fait pas la démocratie

Si la réalité démocratique se mesurait au nombre de partis politiques arborant l'étiquette démocratique, la planète tout entière serait démocratique.
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Si la réalité démocratique se mesurait au nombre de partis politiques arborant l'étiquette démocratique, la planète tout entière serait démocratique. C'est vraisemblablement l'ensemble des hommes politiques à travers le monde qui depuis l'époque moderne ou postcoloniale se réclament de la démocratie. Hommage du vice à la vertu? C'est sans doute le cas pour plusieurs d'entre eux.

Parodie de démocratie (?)

Pour aussi paradoxal que cela puisse être, beaucoup de politiciens glosent avec un lyrisme impressionnant sur les valeurs de la démocratie. Les différentes assemblées législatives miment un semblant de débat public dont le pouvoir exécutif se moque bien souvent. Les coulisses tranchent souvent plus que les parlementaires. Les scrutins ont du mal à refléter les volontés populaires. Les promesses électorales se convertissent, aussitôt l'élection passée, en vœux de chefs amnésiques. Les révisions législatives et constitutionnelles dites incontournables, et supposément issues de la volonté du peuple, viennent gonfler un peu plus la litanie de mensonges et promesses non tenues [1].

Sous les coups de la corruption et de l'affairisme politique, les différences entre les partis politiques s'estompent au point de devenir interchangeables. L'insoutenable twitterisation de l'actualité par certains journalistes achève d'abêtir l'analyse profonde des enjeux politiques, et confie à la démagogie le tri de plusieurs manchettes. Ce sont là quelques travers politiques - aux ressorts extrêmement denses et complexes - que l'on retrouve aussi bien dans les pays dits développés que ceux en voie de développement.

Au-delà du rituel de l'urne

Si pour certains spécialistes de la science politique la démocratie prodigue ses bienfaits dès l'instant où les scrutins renouvèlent périodiquement les assemblées législatives et le pouvoir exécutif, pour notre part, ce critère procède d'un automatisme paresseux et magique: pour peu que l'on vote dans le pays, la démocratie, tel un automate docile à l'appel, répond-elle «présente»? Un tel raccourci constitue, à bien des égards, le cache-sexe d'un vide démocratique. «Il est capital de se rendre clairement compte que la démocratie a des exigences qui transcendent l'urne électorale» [2].

Au-delà du scrutin en lui-même, l'égalité des chances et l'existence d'un réel débat public ouvert entre les options politiques sont les critères dont la convergence participe, bien plus encore que le vote, de la santé démocratique d'un pays.

Les élections sont seulement un moyen [...] de rendre efficaces les discussions publiques, quand la possibilité de voter se combine à la possibilité de parler et d'écouter sans crainte. La force et la portée des élections dépendent de manière critique de la possibilité de l'existence d'un débat public ouvert [...]. Dans la perspective plus large du débat public, la démocratie doit accorder une place capitale à la garantie de la libre discussion, et à une interaction née de la délibération, à la fois dans la pensée et dans la pratique politiques, et cela, pas seulement grâce aux élections ou pour les élections.[3]

Bien plus que la ritualisation des élections que certains politistes définissent comme l'hirondelle qui fait le printemps démocratique, il importe de garantir en toute circonstance, et spécialement durant le processus électoral, les conditions nécessaires à l'exercice démocratique du débat public. La liberté d'expression constitue un prérequis indispensable à la respiration démocratique d'un pays. Or, cette option n'est qu'hypocrisie si les voies ne sont pas carrossables pour tous les protagonistes de la joute électorale.

«Elles sont légion», écrit Laurent Laplante, «les entourloupettes qui violent l'esprit de la démocratie sans troubler le rite électoral! On peut torturer la carte électorale au profit d'un parti. Sollicitées avec insistance, les listes électorales peuvent inscrire des personnes décédées ou inexistantes; les votes fantômes obéiront à une main efficacement autoritaire. On peut aussi, à l'aide de financements souterrains, muscler un parti à la manière d'anabolisants transformant le malingre leveur de fonte en haltérophile olympique. Les renvois d'ascenseur entre conglomérats et partis affamés guident également les réélections. Connivence aidant, la législation s'alignera ensuite sur le desideratum de la coulisse plutôt que sur les besoins sociaux.» [4]

Comme quoi le rite électoral peut bien montrer patte blanche, mais aux fins de chloroformer la volonté populaire ou l'opinion internationale.

S'il fallait conclure

S'il est vrai que le vote constitue indubitablement un palpeur démocratique, un baromètre d'appréciation des dynamiques sociétales, force est cependant de souligner qu'il ne saurait à lui seul résumer la démocratie. «La démocratie», disait Mendès France, «c'est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité: c'est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l'adversaire; c'est un code moral»[5].

(1) Laurent Laplante, La démocratie. Entre utopie et squatteurs, Québec, Ed. Multimondes, 2008, p. 10.

(2) Amartya Sen, La démocratie des autres, Paris, Éd. Payot et Rivages, 2006, p. 12.

(3) Ibid. p. 13 puis pp. 14-15.

(4) Laurent Laplante, op.cit., p. 10.

(5) Pierre Mendès France, La vérité guidait leurs pas, Paris, Gallimard, Coll. « Témoins », 1976, p. 9.

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