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La place des dictateurs, colons et racistes n'est clairement pas au cœur de nos villes, mais dans les musées ou livres d'histoire.
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Le maire de Montréal, Denis Coderre, a récemment annoncé que la rue Amherst à Montréal sera rebaptisée.
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Le maire de Montréal, Denis Coderre, a récemment annoncé que la rue Amherst à Montréal sera rebaptisée.

Dans le sillage des événements de Charlottesville aux États-Unis, un vaste mouvement de déboulonnement des statues et plaques commémoratives des héros confédérés a été enclenché. Le mouvement a eu un écho jusqu'au Québec. En ce sens, le maire de Montréal, Denis Coderre, a récemment annoncé que la rue Amherst à Montréal sera rebaptisée.

Si tracer la limite à partir de laquelle il est possible de placer un personnage du côté obscur de l'histoire peut s'avérer difficile, et ce, sans faire preuve d'anachronisme ou « d'intégrisme mémoriel », il n'en demeure pas moins que chaque société a non seulement le droit, mais surtout le devoir de questionner certains pans de son histoire afin d'y apporter les correctifs, si nécessaire.

Le mensonge donne des fleurs, mais pas les fruits

Une statue ou une plaque a souvent une double fonction. Elle témoigne d'une part du rôle causal d'un personnage dans l'histoire et d'autre part de la reconnaissance morale pour sa contribution exceptionnelle à la société. Or, dans le cas des héros confédérés par exemple, on sait depuis longtemps que l'érection de leurs statues visait avant tout à consacrer la suprématie blanche sur les villes du Sud. Mieux encore, cette érection était investie d'une fonction totémique, à savoir intimider et contenir toutes tentatives d'émancipation des populations afro-américaines.

En déboulonnant les plaques et statues commémoratives des racistes, suprémacistes, ségrégationnistes et colons, on ne trahit ni ne travestit l'histoire.

Dès lors, ce serait de faire preuve de salubrité historique le fait de reconsidérer la place de cet héritage colonial et du symbolisme raciste qu'il transporte et prolonge dans le temps. Autrement dit, en déboulonnant les plaques et statues commémoratives des racistes, suprémacistes, ségrégationnistes et colons, on ne trahit ni ne travestit l'histoire. On met fin à une commémoration qui n'aurait jamais dû être. Ainsi, il appartient à chaque génération de restaurer l'histoire non plus à partir de la narration des vainqueurs, mais de la vérité des faits historiques. Chacune d'elle s'honorera chaque fois qu'elle débusquera les honneurs usurpés, les vérités bafouées, les éloges falsifiés par ceux-là même qui ont détruit, méprisé ou humilié des peuples entiers.

Dans le long processus de guérison des blessures du passé, l'existence publique de ces ressacs racistes et coloniaux apparaît comme la persistance d'une oppression symbolique. Autrement dit, une telle présence, en l'occurrence commémorative, peut projeter une image avilissante ou dévalorisante sur de nombreuses personnes et, par ce fait même, opprimer dans la mesure où cette projection est intériorisée.

Toutefois, certaines personnes peuvent objecter qu'une telle démarche peut entraîner à long terme une tabula rasa d'un pan important de l'histoire commune. Elles pourraient même y voir une sorte de « révisionnisme light » d'une gauche bien-pensante, très souvent encline à vouloir refaire le monde à l'aide d'une verbosité œcuménique, multiculturaliste et anticolonialiste. Il n'en est rien.

Il ne s'agit pas d'effacer certains personnages de l'histoire, mais de contester le vedettariat, l'héroïsme que véhicule leur présence « momifiée » au cœur de nos villes.

Il ne s'agit pas d'effacer certains personnages de l'histoire, mais de contester le vedettariat, l'héroïsme que véhicule leur présence « momifiée » au cœur de nos villes. En réalité, le véritable révisionnisme c'est d'avoir un jour porté en héros des zéros ; c'est d'avoir longtemps honoré des imposteurs et bourreaux qui n'ont pas hésité à faire de grands arrangements avec des faits historiques embués de souffrances réelles. Comme on a le devoir de changer d'idées après que leur fausseté ait été établie, on a aussi le devoir de retirer ce que le révisionnisme historique a injustement érigé en modèle.

Célébrons nos héros, haïssons nos zéros

Nonobstant ce qui vient d'être dit, certaines personnes pourraient objecter à nouveau que ces statues et plaques commémoratives doivent être maintenues au motif qu'elles ont une valeur, historique, patrimoniale et surtout pédagogique. Très concrètement, elles avanceraient qu'en préservant ces statues, on s'assure par la même occasion, que ce pour quoi les personnes qu'elles incarnent ont été reconnues coupables par le tribunal de l'histoire ne se reproduira plus.

La place des dictateurs, colons et racistes n'est clairement pas au cœur de nos villes, mais dans les musées ou livres d'histoire.

En contrepoint de cette proposition filandreuse et teintée de conservatisme, la question qu'on peut d'emblée se poser est celle de savoir à l'égard de qui ces statues ont une valeur historique. Ceux et celles dont les ancêtres ont été les victimes? Qui parle lorsqu'on dit : ces statues ont une valeur historique et patrimoniale ? Mieux encore, la supposée valeur historique devrait-elle primer sur l'offense aux mémoires déjà lacérées par l'histoire? N'est-ce pas une forme de célébration prolongée d'un crime? Qui s'imagine un seul instant que les meurtriers de ses parents ou arrière-grands-parents puissent être portés en héros dans les rues d'une ville ? Ces statues et plaques sont bien plus que de simples repères historiques. Ce sont des lieux de mémoire. Mais pour quelles mémoires? Prenons le cas d'Adolph Hitler. S'imagine-t-on un seul instant l'érection d'une plaque ou d'une statue dans une rue allemande, et ce, au nom de la préservation du patrimoine historique? Il y a d'autres façons de se rappeler les erreurs du passé. Celle-ci n'en est pas une. La place des dictateurs, colons et racistes n'est clairement pas au cœur de nos villes, mais dans les musées ou livres d'histoire. Autrement dit, ces personnages peuvent se retrouver sous d'autres supports et dans plusieurs autres espaces sans que cela soit l'objet d'une consécration ou d'une anamnèse collective, récurrente et joyeuse. Il n'y a pas de rues allemandes consacrées à Hitler, mais tout le monde ou presque sait de qui on parle.

Sortir de la grande nuit raciste et coloniale, c'est aussi refuser de minimiser ou de trouver des circonstances atténuantes aux oblitérations de l'histoire.

La solution de compromis serait-elle alors de laisser ces symboles en place, tout en prenant soin de modifier les plaques indicatives pour y insérer « Ici gît le visage de l'indignité »; « Ici s'élève la figure de la colonisation du peuple X, il faut s'en souvenir» ; « Ici brille un héros de pacotille »? C'est là également une généreuse cordialité et une trop grande bonhomie pour une histoire tronquée. Les mémoires subalternes ont été suffisamment trompées, tronquées, blessées et embrigadées pour se laisser prendre à ce miroir aux alouettes. Sortir de la grande nuit raciste et coloniale, c'est aussi refuser de minimiser ou de trouver des circonstances atténuantes aux oblitérations de l'histoire. C'est en définitif élaguer de l'espace public, les grandes impostures, les tartufferies tragiques, les héroïsmes de pacotille et les injustices historiques érigés en présence éternelle.

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