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Au-delà de la photo d'Aylan Kurdi

Il faut être naïf pour croire que les choses changerontavec la diffusion mondiale de la photo symbole de l'enfant syrien mort noyé.
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Il faut être naïf pour croire que les choses changeront illico presto avec la diffusion mondiale de la photo symbole de l'enfant syrien mort noyé.

Au nom d'une obligation morale, on dit, ici et là, vouloir agir. Comme si l'obligation était jusqu'ici inopportune ou peu justifiée. Combien d'enfants soudanais, érythréens, libyens, palestiniens, irakiens ou syriens sont morts dans les mêmes conditions, et ce, loin des projecteurs? Combien d'hommes et de femmes ont tenté, sans succès, au prix de leur vie de rejoindre les rives occidentales?

Dans la longue mémoire de l'histoire, l'émigration forcée d'individus ou de groupes entiers pour des raisons politiques ou économiques apparaît comme un événement quotidien. Ce qui est sans précédent, ce n'est pas la perte de la résidence, mais l'impossibilité d'en retrouver une. Tout à coup, il n'y a plus eu un seul endroit sur Terre où les émigrants puissent aller sans tomber sous le coup des restrictions les plus sévères [...] Les nouveaux réfugiés étaient persécutés non pas à cause de ce qu'ils avaient fait ou pensé, mais parce qu'ils étaient nés pour toujours dans la mauvaise catégorie de race ou de classe.

(Hannah Arendt, L'impéralisme (1951), Paris, Fayard,1982, p. 276 et p. 278).

Au-delà de l'angélisme actuel ; du «selfie humanitaire» de circonstance, que restera-t-il?

Qu'est-ce qui émergera de cette frénésie médiatique? Quelle action concrète, viable et pérenne peut-on espérer à la suite de cette commisération mondiale? S'il faut apprécier la réaction d'urgence de la chancelière allemande et du président français, on ne peut cependant s'empêcher d'y voir également un simple exercice de relation publique. Comme disait ma grand-mère: «Tu remarqueras, mon enfant, qu'il n'y a jamais assez d'argent pour soigner la maladie, mais toujours trop pour les funérailles». Ah! Ces médecins après la mort! Quid de l'action des pétromonarchies?

Certains hommes et femmes insistent pour dire que le monde occidental ne peut accueillir toute la misère du monde. Une telle affirmation n'est rien d'autre qu'une lapalissade. Nous n'avons pas besoin de ratiocinations gâteuses pour nous rendre à cette conclusion qui, au demeurant, s'offre d'elle-même. En revanche, il appartient aux dirigeants occidentaux d'éviter, par souci de cohérence (on peut toujours rêver), de contribuer à la création de cette misère. On ne le dira jamais assez, l'Europe tente aujourd'hui de juguler les conséquences d'une crise humanitaire que sa géopolitique économique a contribué en bonne partie à «fabriquer». Qui peut nier que la «démocratie» exportée en Libye à coups de canon hexagonaux est pour beaucoup dans la situation tragique qui se déroule aujourd'hui dans le bassin méditerranéen?

Il nous apparaît évident que ces réfugiés, qualifiés par certains dirigeants de «migrants illégaux et économiques», auraient été moins enclins à tenter l'aventure incertaine de la traversée de la Méditerranée s'ils n'étaient confrontés, dans leurs pays respectifs, à la guerre et aux injustices sournoises et assassines du système économique mondial. Mais, comme le soulignait Judith Shklar dans son ouvrage Visages de l'injustice: «Il est [hélas] toujours plus aisé de voir l'infortune plutôt que l'injustice dans la détresse d'autrui».

Pour aussi «théâtrale» que douteuse, cette agitation politique pourrait avoir comme titre: Quand les pyromanes se transforment en pompiers.

Une précision s'impose. Il ne s'agit pas de polémiquer sur une situation déjà outrageusement dramatique. Il s'agit encore moins d'établir une culpabilité par association des pays ou habitants du monde occidental. Bien au contraire, nous sommes convaincus que plusieurs hommes et des femmes, du nord au sud, se consacrent corps et âme à la réalisation de la justice sociale et à la paix entre les peuples. Affirmer ce qui précède n'interdit pas de questionner plus largement nos responsabilités passives ou inactives dans les drames qui secouent aujourd'hui notre monde commun.

Nous avons le pouvoir d'agir. Comment? En sanctionnant électoralement ou socialement les gouvernements va-t-en-guerre et les autres BHL de ce monde.

En outre, dis-moi ce que tu consommes et je te dirai de quelle injustice tu te rends coupable indirectement ou directement. Dans un monde ou l'humanité est continuellement sacrifiée sur l'autel du profit, une plus grande sensibilité à une consommation responsable constitue vraisemblablement une partie de la solution. Autrement dit, il faut attaquer ce capitalisme militaro-prébendier à la racine.

Si la photo du petit Aylan a peut-être le mérite de nous faire passer, momentanément du moins, d'une crise de conscience à une prise de conscience, nous devons cependant aller au-delà des réactions placebo et des solutions Kleenex, pour exiger des solutions durables.

Mieux encore, nous devons travailler à leur avènement. Cela passe par une action citoyenne consciente de son pouvoir de transformation (justice) et de solidarité. D'où notre attachement indéfectible à l'idée d'une société civile intra et inter-nationale forte, unie, et riche de sa diversité.

Doux rêveur, diront certains. Et pourtant! N'est-ce pas là, une façon de fuir le lit infécond et coupable de la résignation? Comme on dit au Cameroun, «tant qu'il y a la vie, on dit qu'il y a espoir».

Je bois mon lait.

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