Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Les attentes: entre fantasme et réalité

J'ai tellement désiré être mère que je m'étais fait un paquet de films sur comment ce serait d'avoir des enfants, ce que je voudrai pour eux et moi. Ma maternité rêvée était comme celle des photos publiées sur internet, douces, sereines et poétiques.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Les attentes sont des fantasmes, montés de toute pièce par nos envies. Les attentes sont notre perception idéale de ce que devrait être la réalité. Cette perception provient de nos rêves d'enfants, des médias, de la société de consommation ou des croyances populaires. Un ensemble de facteurs qui influent notre quotidien et dissocie le réel du monde rêvé. Mais tout cela est si subjectif lié à notre histoire, nos ambitions ou notre culture.

J'ai beaucoup, énormément travaillé même, sur mes attentes en tant que mère, qu'amie, que femme et qu'épouse. Ce n'est pas compliqué lorsque j'étais jeune il fallait que mes attentes concordent à ma vie pour qu'elle soit valable, un peu comme si cette quête devenait le seul voyage, m'obligeant à vivre à côté du réel. Cela engendrait frustration, colère, et des montagnes russes d'émotions, toujours à la conquête de l'expérience la plus palpitante en oubliant de construire solidement mes bases intérieures.

Je pensais que c'était l'extérieur qui rendait heureux et j'oubliais de me nourrir moi, alors que j'étais pourtant mon meilleur investissement. Ma perspective marchait à l'envers, je voulais me remplir de sensations externes en négligeant ma propre exploration. Je pense que je n'aimais pas vivre avec moi-même, qui était une humaine bien réelle, donc plate et sans saveur, me concentrer sur l'extérieur m'évitait de trop réfléchir à mes peines, mes manques, mes besoins authentiques.

Je me trompais tellement, j'aurai gagné un temps précieux à me choisir. Puisque ces attentes ne sont ni réalistes ni objectives, comment pouvais-je m'en accommoder et surtout les transposer au monde réel qui lui ne concordait jamais avec ma vision de la perfection?

J'ai tellement désiré être mère que je m'étais fait un paquet de films sur comment ce serait d'avoir des enfants, ce que je voudrai pour eux et moi. Mais surtout ce que je leur donnerai et dont j'ai manqué, ou les erreurs que je ne commettrai jamais. Ma maternité rêvée était comme celle des photos publiées sur internet, douces, sereines et poétiques. C'est une expérience assez nombriliste le désir d'enfant. On veut construire pour pallier aux manques, ou combler ses zones grises. On veut des enfants pour soi et on a tendance à oublier que nos plans comporteront des individus qui eux ont bien d'autres projets que d'assouvir les nôtres. Vouloir être parent est une intention, avoir réellement des enfants nous confronte à la réalité parfois glaçante et crue du monde tel qu'il est. Et nous prenons rapidement conscience que nous ne sommes pas seuls dans la relation, mais qu'il y a un nouvel être à prendre en charge, à aider à se construire qui lui a une histoire neuve et pas nos manques à combler. Il n'est alors plus question de vivre en rêve, mais bien de l'outiller pour devenir autonome et accompli, le plus possible, laissant sur le bas côté l'imaginaire que nous avions pour lui. La désillusion est une grande violence.

Je n'ai pas essayé de transposer mes rêves à moi et ce que j'aimerais ou aurais aimé vivre enfant.

Aujourd'hui, ma 4 ans et moi allions au cinéma pour la première fois. J'ai attendu longtemps le bon moment sachant pertinemment que rester assise plus d'une heure pour elle ne serait absolument pas plaisant. J'ai parcouru aujourd'hui tout mon processus mental face à cette première sortie et pu admirer mon long cheminement sur les attentes.

Lorsqu'elle est née, je m'imaginais l'emmener au cinéma pour la première fois, un jour parfait, un film parfait pour un moment parfait avec une enfant telle que je l'avais rêvée. Puis elle a grandi, j'ai observé que certaines activités plus que d'autres lui convenaient et clairement le cinéma n'en faisait pas partie. Même si je me réjouissais encore de vivre ce moment j'avais conscience et une meilleure perception de ce que cela pourrait être. Et puis il y a eu le moment propice, totalement sans attente, le moment parfait n'existait pas, mais à 4 ans cela pouvait être vécu comme une première expérience. Toute la semaine lorsque je vagabondais d'imaginaire, je me ramenais rapidement sur terre, pour qu'on vive le moment tel qu'il est, avec son humeur, les aléas de la vie, les inattendus. Un vrai exercice mental de reconnexion à l'instant: s'ancrer-observer-respirer-saisir le temps...

Alors sans attente nous avons juste testé une expérience, je n'ai pas essayé d'habiller mon fantasme de rêveuse qui aurait voulu qu'on se rappelle toute la vie de ce moment de fusion absolu. Je n'ai pas essayé de transposer mes rêves à moi et ce que j'aimerais ou aurais aimé vivre enfant. J'ai juste ouvert une brèche, sans contrôle, consciente et j'ai observé ma fille avec son état, son tempérament, son histoire, ses aptitudes. Et si, nous observions nos enfants plus que nous essayions de les faire adhérer à nos rêves?

Et bien grâce à la pratique, la prise de conscience et le désir de modifier ses perceptions, il est possible de se décharger entièrement et de profiter du moment.

Ce moment n'a pas du tout été comme j'aurai voulu qu'il soit au départ dans ma vie de maman rêvée qui emmènerait son enfant faire une activité géniale, qui m'aurait rappelé à quel point je suis une excellente mère à la hauteur et qui inconsciemment cherche un besoin de reconnaissance absolu, qui voudrait être confortée dans son rôle de mère et se légitimer.

Non, j'ai laissé tout derrière moi, je suis partie sans a priori, nue d'expérience en mode exploratoire. Et bien, ma chérie a été fidèle à elle-même, dynamique, éveillée, incapable de rester assise plus de 10 minutes, mais aussi respectueuse et en apprentissage des codes culturels, soucieuse des autres et attentive. Elle était spontanée et parfaite telle qu'elle était. J'aurai pu être déçue qu'on parte avant la fin du film, qu'elle fasse tomber ses bonbons ou qu'elle court dans les allées. J'aurai pu être mal à l'aise qu'elle parle à voix haute et craindre le regard des autres qui trouveraient que ma fille est donc bien mal élevée, mais j'étais préparée, complètement prête à tout recevoir et vivre. J'étais détendue, sans inquiétude et je n'ai pas essayé de la charger d'un ressenti, d'une mission ou du besoin de me faire plaisir et qu'elle me reconnaisse.

J'étais ancrée, parfaitement moi, dans l'expectative, consciente calme et sensible à ce qui se passait, et aucune pensée n'est venue interrompre ce moment où la vie prenait du sens plus que tous les parasites qu'on déploie quotidiennement pour accéder aux moments de grâce toujours déchus, car rarement atteints.

En quittant la salle j'étais certaine que l'expérience lui avait plu moyennement elle m'a demandée de rentrer bien 10 fois avant la fin. Je lui ai laissé l'espace de s'exprimer d'en parler ou non. Elle ne m'a rien dit à moi d'ailleurs, mais elle a murmuré à son papa que c'était merveilleux... La voilà la preuve que les enfants ne perçoivent pas comme nous et que la spontanéité fait de l'expérience inusitée une exception. Elle ne se souviendra pas d'avoir sauté à cloche-pied, mis ses pieds sur les sièges et de ne rien avoir écouté elle se rappellera de l'expérience dans son entièreté: pure, authentique, franche et parfaite.

Parce que la perfection en fait, c'est l'expérience trépidante de se sentir vivant.

Découvrez d'autres textes de Chloé Boehme sur son site web chloeboehme.com ainsi que sur sa page Facebook.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

18 photos illustrant le quotidien parfois chaotique d'une jeune maman

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.