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Fables féministes, dit-elle?

La quasi-totalité des fables des frères Grimm, magnifiques du point de vue narratif et littéraire, transmettent - comment dirais-je - une vision du monde où les femmes sont sottes, niaiseuses, passives, fatigantes, ennuyeuses, sans initiative, sans ambition, avides, méchantes, envieuses... Dois-je poursuivre?
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On m'a dit que le développement linguistique de ma fille est important. Racontez des fables à bébé. D'accord. Tous les soirs j'apprends une fable que je lui raconte le matin suivant, sur le chemin vers la garderie. Consciente de l'importance de la leçon des classiques, je m'adonne à épuiser les fables des frères Grimm avant de passer aux histoires «modernes».

Soir après soir, je me trouve devant un dilemme. La quasi-totalité des fables des frères Grimm, magnifiques du point de vue narratif et littéraire, transmettent - comment dirais-je - une vision du monde où les femmes sont sottes, niaiseuses, passives, fatigantes, ennuyeuses, sans initiative, sans ambition, avides, méchantes, envieuses... Dois-je poursuivre?

Prenez Raiponce. Elle vit enfermée dans l'ignorance totale, le prince ne lui explique pas grand-chose non plus, elle ne comprend rien de ce qui se passe autour d'elle (genre: sa grossesse...?!), elle n'est pas capable de se prendre en main même au moment où un peu d'initiative serait cruciale. Vous me direz que c'est la faute à la sorcière. Voilà! Une autre méchante femme.

Cendrillon, dont l'émancipation ne passe que par un bon mariage en montée sociale, est au centre d'une compétition féroce avec d'autres femmes pour gagner l'attention d'un homme. D'accord, c'est le Prince charmant, mais quand même. Elle est belle, pas plus sage que ses demi-soeurs, mais plus chanceuse qu'elles, donc elle s'en tire bien. Une de ses demi-soeurs se coupe un orteil pour rentrer dans la fameuse chaussure. De plus, la fable jette une ombre très négative sur la famille recomposée.

Blanche-neige s'adonne sans hésitation à une organisation genrée du travail domestique non pas pour un homme comme nous toutes, mais pour sept! Imaginez la pile de chaussettes sales. À part torcher la maison et manger la mauvaise pomme, elle ne fait absolument rien de remarquable. Heureusement qu'il y a le Prince charmant (et la belle-mère méchante) pour exercer un peu d'agentivité (= traduction française légèrement cacophonique du concept anglo-saxonne de "agency", qui indique la capacité d'agir).

La Belle au bois dormant dort. Voilà pour l'agentivité.

Prise par le désespoir, secouée par un élan féministe, je me dis que c'est de ma faute, je devrais juste mieux choisir mes histoires.

Je me tourne alors vers les "fables féministes" et je commence à lire un livre qui a l'air engagé et intelligent. Dans la première fable, la protagoniste se fait exploiter par son père, dont elle quitte la maison, puis elle se fait exploiter par son premier amant, le quitte, se fait exploiter par son deuxième amant, travaille comme une débile pour payer les dettes de tout le monde, quitte tous et tout et décide de vivre seule en travaillant pour sa subsistance. Morale: les hommes sont des salauds, méfiez-vous!

Hummm.

Souvent sous-socialisés du point de vue de l'intelligence émotionnelle, donc souvent en proie à leurs passions qu'ils confondent avec la rationalité, l'honneur, la masculinité, le sens de la justice etc., les hommes, cependant, me plaisent. Ils sont intéressants, vitaux, ambitieux, drôles, créatifs, sympas. Comme les femmes, par ailleurs. Et puis, pour ceux et celles qui aiment le genre, ils sont attrayants et sensuels. Sans qu'on m'accuse de vouloir nécessairement orienter ma fille vers les relations hétérosexuelles, je ne veux non plus qu'elle pense que les hommes sont juste une peste pour l'ensemble des femmes sur la planète. Je voudrais qu'elle les découvre, qu'elle soit curieuse, qu'elle les juge par ses propres expériences. Surtout je ne voudrais pas qu'elle vive l'ambiguïté de certaines femmes des générations passées: prises avec un homme et convaincues que les hommes sont un fléau de l'humanité. Je ne vois pas trop qu'est-ce qu'il y aurait de féministe dans ce type de configuration.

Peut-on trouver - ou écrire! - des fables qui représentent les femmes et les hommes comme des êtres humains agréables, actifs, rêveurs, curieux, généreux, respectueux, honnêtes, bien qu'avec les défauts que nous avons tous et toutes?

Pourquoi des fables comme cela ne circulent-elles pas plus largement?

Oui, oui, bien sûr que si je me rends au premier quart de lune dans le sous-sol de la dernière maison à la fin de la forêt, je trouverai une librairie féministe avec des livres intelligents. Mais ces histoires novatrices ne circulent pas pour le grand public, ne sont pas accessibles pour toutes et tous, ne sont pas racontées avec la fréquence et l'intensité avec laquelle les «Fables» avec un grand F sont livrées aux enfants.

Et alors allons-y, il faut y travailler!

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