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Il est clair que si nous avions des militantes féministes élues au sein des gouvernements, on ne nous ferait pas des projets de loi à ce point bâclés. Mais en attendant une autre Thérèse Casgrain ou une autre Lise Payette, donnons le feu vert à ce projet, quitte à travailler pour lui donner plus de chair dans les années à venir.
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Il faut savoir le reconnaître quand c'est de temps de foncer.

Le projet C-36 touchant la question de la prostitution, qui a été déposé par le ministre Peter MacKay à la chambre des communes du Canada le 4 juin dernier, entend modifier le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford. Il s'agit d'un projet abolitionniste.

Abolitionniste, pour A-B-O-L-I-T-I-O-N de la prostitution. Il ne s'agit plus de «gérer» ou «d'encadrer», mais de faire cesser le paradigme chronique d'une pratique qui permettait l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, dans une société que l'on dit civilisée. Fini l'achat ou la location à court terme d'un humain pour en faire un usage personnel, comme s'il s'agissait d'une bicyclette ou d'un outil quelconque dans un centre de location.

Certains vous diront que c'est impossible, autant demander à un chat d'arrêter de chasser des souris, que c'est dans les mœurs des humains depuis la nuit des temps. Eh bien non, si vous le permettez, on va laisser faire la nuit des temps et regarder dans une histoire plus récente de l'humanité. Il y a environ 200 ans, vous ne vous en souvenez pas, mais dans ce temps-là, il n'y avait pas d'êtres humains de sexe féminin. (Sic!) Les philosophes, les médecins et même les scientifiques échafaudaient toutes sortes de théories plus loufoques les unes que les autres pour prouver que la femme n'avait pas d'âme, qu'elle était un être subalterne. Un objet, et non un sujet. Croyez-vous vraiment que, si on leur avait dit que dans quelques années les femmes étudieraient comme des hommes, exerceraient des métiers comme des hommes et philosopheraient comme des hommes, on les aurait crus?

Eh bien 200 ans plus tard, écoutez-moi bien: l'exploitation sexuelle des humains, des femmes, ça achève.

Et ne vous laissez pas endormir par toutes ces personnes qui vous racontent des histoires à dormir debout, qu'elles aiment ce qu'elles font, qu'elles ont bien le droit de disposer de leur corps comme elles le veulent : si ces personnes acceptent de l'argent pour faire semblant de jouir avec ses clients, pensez-vous qu'elles joueront les vierges offensées si elles se voient offrir de l'argent pour dire aux médias qu'elles aiment leur métier?

L'asservissement volontaire, ça existe, mais cela ne diminue en rien le fait qu'il s'agit bel et bien d'un asservissement. Ajoutons que les personnes et les médias qui relaient l'idée du «C'est mon choix» ne servent bien souvent qu'à camoufler l'immense majorité des femmes qui sont asservies dans la prostitution sans réels autres choix, quand ce n'est pas par la contrainte.

Il est clair que cette industrie est riche à craquer; les hôtels, les limousines, les clubs de danseuses, les salons de massage comptent sur la prostitution pour une large part de leur chiffre d'affaires. Croyez-vous que ces industries ne se mobilisent pas pour créer un lobby souterrain pour maintenir la prostitution au Canada?

Bien sûr, le projet est issu du Parti conservateur, avec toute son idéologie moralisatrice en filigrane; avec son vocabulaire vieillot qui sent le fond de bénitier: des notions «de débauche, d'obscénité, de voyeurisme, d'actes d'indécence et même, il en est question à l'article 22 du projet de loi, de «déflorement». Il est plus qu'évident que le projet n'est pas le produit d'une base militante féministe comme en Suède ni soutenu par une brillante ministre féministe comme madame Najat Vallaud-Belkacem en France. Il faudrait expliquer à tous ces conservateurs qu'il n'existe pas de partie signifiante ou d'organe de quelconque utilité sur le corps d'une femme qui s'appelle hymen. Ce concept est une vue de l'esprit patriarcal qui a été imaginé pour s'assurer la paternité d'un géniteur.

Ce concept n'a aucune autre logique que de prouver la «valeur» marchande d'une femme, au sens le plus rétrograde de son expression.

Mais dans le fond, je ne veux pas savoir s'il est appuyé par une base conservatrice étroite et religieuse; je ne veux pas savoir si le gouvernement conservateur est paternaliste et moralisateur. Tout ce que je veux, c'est qu'il passe maintenant. On verra ensuite pour les améliorations.

Le fait est que «l'industrie de la prostitution» est une plaie pour toute la société et surtout pour les femmes et les enfants, et qu'il est temps que ça cesse. Sincèrement, je n'irais jamais mettre un frein à une politique aussi inespérée de la part des conservateurs pour les seuls motifs, tellement improbables, que des femmes prostituées qui solliciteraient leurs clients près d'une école ou d'un parc pourraient être soumises à une amende, donc criminalisées dans l'exercice de leur «pratique»!

Bien sûr, le projet de loi du ministre Mackay ressemble à une version «jouet» des lois suédoises, norvégiennes ou françaises sur la prostitution: les amendes auxquelles s'exposent les clients sont dérisoires par rapport à la France (1000 dollars pour une première infraction, par rapport à 3750 euros en France). C'est ce que le ministre a nommé le modèle canadien.

Où sont les cours obligatoires donnés aux contrevenants dans le but de les éduquer au respect des femmes et à la condition des femmes en situation de pauvreté? Où sont les programmes de soutien et d'aide aux femmes qui souhaitent quitter la prostitution? À quoi serviront les 20 millions promis? On ne le dit pas.

Il est clair que si nous avions des militantes féministes élues au sein des gouvernements, on ne nous ferait pas des projets de loi à ce point bâclés (il faudrait bien remédier à ça un jour). Mais en attendant une autre Thérèse Casgrain ou une autre Lise Payette, donnons le feu vert à ce projet, quitte à travailler pour lui donner plus de chair dans les années à venir.

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25 avril 2014

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