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Mère et fille, une relation à trois

Oui, la relation entre une mère et sa fille est une relation à trois, non à deux. J'ai une mère et une fille, je suis moi-même fille et mère, et c'est dans cette relation triangulaire que se joue cette relation si riche et complexe, tendre et passionnée de la mère et la fille.
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Oui, la relation entre une mère et sa fille est une relation à trois, non à deux. Je l'ai compris en devenant mère à mon tour. J'ai une mère et une fille, je suis moi-même fille et mère, et c'est dans cette relation triangulaire, par la médiation et le truchement de nos trois visages que se joue cette relation si riche et complexe, tendre et passionnée de la mère et la fille. J'emprunte cette idée au remarquable essai éponyme de Nathalie Heinich et Caroline Eliacheff. Je ne l'ai comprise que récemment, en en faisant l'expérience moi-même. Ce trio a toujours été, et sera après moi. Avant que je sois mère, c'était une autre triade que nous formions ma grand-mère, ma mère et moi. Et c'en sera une nouvelle quand, dans de longues années (j'espère), je passerai la main à ma fille.

Je n'avais à peu près aucune conscience de ce fait, et de l'importance de ce triangle avant la naissance de ma fille. Oui, il y avait bien ma grand-mère aussi. Mais c'était surtout ma mère et moi. Et puis mon regard et ma place ont commencé à se modifier au fur à mesure que mon ventre grossissait, et ont continué à muter une fois ma fille née.

Car mère et fille, c'est une relation de transmission à la fois verticale et horizontale. Verticale, car c'est un passage des générations, qui se succèdent dans le temps. Horizontale, car c'est un apprentissage de gestes, de paroles, d'attentions et de mille autres choses qui s'effectue simultanément, pour nous trois.

L'arrivée d'un enfant n'est pas le simple ajout d'une monade supplémentaire dans la famille. Elle est une reconfiguration de l'espace familial. J'étais fille de ma mère et me voilà mère de ma fille, ma mère devient grand-mère en voyant sa fille s'inventer mère. À nous d'écrire nos nouveaux rôles, à nous mère et fille de découvrir ces liens inédits.

Mais ce qui trouble dans cette recomposition, c'est qu'elle fait remonter des instants de vie qui, pensait-on, appartiennent au passé. En devenant mère, je me replonge dans mon enfance. Des souvenirs refont surface. Des blessures parfois, des manques, des pleurs. Des moments de fusion, et de joie immense aussi. En devenant grand-mère, ce sont des instants de sa maternité qui, par le truchement de la mienne, reviennent à ma mère. Ses propres difficultés, ses solitudes, ses découvertes. Avec l'arrivée de ce bébé, c'est comme si nous étions traversées et transportées par notre passé, elle et moi. Un passé transfiguré, un passé qui grandit, bouge, évolue. Car moi, sa fille, je deviens mère à ses côtés, sous ses yeux, dans ses pas. Je le sens bien, mon amour fou pour ma fille est aussi un amour pour ma mère.

Quand je l'embrasse, quand je la cajole, quand je la caresse, je retrouve les câlins de ma propre mère. Je lui dis aussi, à travers elle, à travers ce petit bout d'être humain que j'ai fabriqué, à quel point je l'aime cette maman à qui je n'ose plus tellement les dire, ces mots d'amour. Je le sens bien, l'amour fou de ma mère pour sa petite-fille est une nouvelle langue pour me dire qu'elle m'aime sans l'oser, moi sa fille. Puisque nous, les adultes, nous ne nous les disons plus ces doux mots d'amour. Nous ne nous les faisons plus ces câlins passionnés.

Cela ne m'avait pas plus interrogée que cela avant de devenir maman. Oui, j'avais grandi, je n'embrassais plus ma mère comme une petite fille ni ne lui faisais ces déclarations enflammées qu'elle et moi aimions tant. Mais, quoi? C'était bien normal. J'avais mis ça de côté. Bien sûr, il restait notre complicité, mais l'amour fusionnel, charnel de la mère et de son petit était parti, il avait évolué, grandi, pour devenir autre chose de plus discret, timide, pudique.

L'arrivée de mon enfant a perturbé ce train-train, elle a tout remis et remet tout à plat. Un bouleversement. Elle agite, elle trouble, elle met sens dessus dessous. Apprendre à devenir mère, avec sa mère à ses côtés, et renaître en nouvelle fille pour elle. Vouloir tracer sa propre route, inventer sa maternité à soi, tout en ressentant un immense besoin pour son secours à elle dans ce bel apprentissage. De son côté à elle, accepter ce passage, cette naissance et cette renaissance. Devenir grand-mère. Aider sans brusquer, accompagner sans s'imposer. Murmurer des mots doux, des conseils. Et sentir entre nous ces émotions à nouveau vivaces renaître avec ce petit bout de vie que nous tenons dans nos bras, ce besoin de se toucher, de s'embrasser.

C'est une transmission délicate que celle de la maternité. Un art fragile, qui s'apprend tout doucement. Il peut y avoir des ratés, de la casse, des éclats. C'est normal quand on songe à ce qui est en jeu pour nous, filles et mères, mères et filles. En route, on se découvre, on s'invente un nouveau moi, une nouvelle relation. Je n'ai jamais autant eu envie d'apprendre de ma mère que depuis que je le suis également. Pas pour l'égaler, pas pour la dépasser. Mais pour partager, pour qu'elle me transmette ce qu'elle sait, ce que savent ses mains, ses doigts et ses yeux. La naissance de ma fille nous a fait renaître elle et moi, comme mère et fille. Nous ne revivons pas le passé, nous le ravivons, nous le retrouvons et le faisons briller au détour d'un jeu avec elle, d'un câlin sur le lit, d'un projet pour sa chambre.

Ma mère, ma fille et moi. Trois générations. Trois histoires. Trois temps qui se croisent et font désormais le présent.

Pour toi maman, et pour toi Sasha. Comme je vous aime.

Je vous souhaite une belle journée, et vous embrasse,

Cécilia

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