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Changement de mention de sexe: nouveaux critères, nouveaux obstacles

Il est difficile de comprendre pourquoi il faudrait des critères plus lourds pour mener à bien une simple démarche administrative que pour procéder à des chirurgies majeures. Pourquoi un changement de mention de sexe serait-il traité comme une démarche si irréversible, plus irréversible que des chirurgies?
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Le mercredi 17 décembre, après plus d'un an d'attente dans les communautés trans, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée a publié un projet de règlement qui engage tranquillement la route vers la mise en application intégrale du projet de loi 35, qui prévoit le retrait des exigences chirurgicales pour les personnes trans désirant modifier leur mention de sexe. Néanmoins, le projet de règlement introduit de nouvelles exigences problématiques et dangereuses. Il ne fait que déplacer le problème de la non-reconnaissance des identités trans, sans le régler.

D'abord, il impose une période de deux ans « dans l'apparence du sexe » désiré, c'est-à-dire une « expérience de vie réelle », ou real-life experience. Cette pratique, autre fois répandue comme critère d'accès aux traitements médicaux, est aujourd'hui discréditée. Plutôt que de confirmer l'adaptation au genre désiré, elle impose aux personnes trans une période d'attente où elles vivent inutilement des situations dangereuses.

Ainsi, les Standards de soins de la World Professional Association for Transgender Health, 7e édition, demandent rarement expérience de vie réelle pour avoir accès à des procédures. Seules quelques unes (pas toujours celles qui sont demandées jusqu'ici pour le changement de mention de sexe) nécessitent une expérience de vie réelle de douze mois (et non de vingt-quatre, comme dans le projet de règlement).

Il est difficile de comprendre pourquoi il faudrait des critères plus lourds pour mener à bien une simple démarche administrative que pour procéder à des chirurgies majeures. Pourquoi un changement de mention de sexe serait-il traité comme une démarche si irréversible, plus irréversible que des chirurgies?

Certaines personnes trans veulent et voudront toujours ces chirurgies, sans que leur choix soit motivé par le changement de mention de sexe. Si elles en ont les moyens, elles peuvent facilement les subir avant d'avoir atteint la barre des 2 ans à temps plein. Pour elles, la nouvelle procédure sera encore plus longue et causera encore plus de souffrances que l'ancienne.

Ainsi, la nouvelle procédure imposerait à toutes les personnes trans deux années de discrimination obligatoire, pendant lesquelles leurs documents d'identité les exposeraient systématiquement à la discrimination. L'exigence de vivre 2 ans à temps plein avant d'entreprendre une démarche de changement de mention de sexe permettra moins de vérifier l'adaptation au sexe désiré que la capacité de survivre à des situations discriminatoires causées par cette période d'attente.

Toutefois, ce n'est pas le seul problème avec ce critère. Tel que rédigé, il semble très subjectif et très flou, car il définit l'identité de genre par « l'apparence du sexe » désiré. Mais comment « apparaît-on » homme ou femme? Par notre nom? Par le genre qu'on préfère utiliser? Par nos vêtements? Par notre corps? En effet, l'idée « d'apparence » introduit le danger d'une discrimination similaire à celle qui a déjà cours, en remplaçant seulement les exigences médicales par leurs conséquences sur l'apparence extérieure.

Et afin de compliquer encore plus les choses, le projet de règlement demande la confirmation d'un témoin pour confirmer les deux années d'expérience de vie réelle. Apparemment, on ne donne pas crédit à la parole des personnes trans, même sous serment. Mais ce qui rend surtout ce critère problématique, c'est qu'il démontre une faible compréhension des expériences trans.

Pour une personne trans lourdement marginalisée, connaître quelqu'un depuis deux ans n'est pas si évident. Elle ne pourra pas nécessairement compter sur sa famille : souvent, les personnes trans sont rejetées par leur entourage quand elles font leur transition. Certaines personnes trans sont très isolées et ne disposent pas d'un réseau social assez stable pour avoir contact avec des personnes qu'elles connaissent depuis deux ans. D'autres vivent depuis longtemps dans leur identité préférée, et cachent leur passé trans autant que possible. Leur entourage immédiat ne sait donc pas qu'elles sont trans. Ce critère les forcerait à révéler leur secret, les exposant au rejet, à la discrimination et à la violence.

Enfin, on demande une lettre d'un spécialiste (psychologue, psychiatre, sexologue ou médecin) « qui confirme que l'identité sexuelle du demandeur ne correspond pas à la mention du sexe figurant à son acte de naissance et qui est d'avis que le changement de cette mention est approprié ». Cependant, l'utilité de cette lettre n'est pas claire.

Que cherche-t-on à démontrer qui dépend d'un suivi médical ou psychologique? N'importe qui pourrait confirmer que l'« identité sexuelle » d'une personne trans « ne correspond pas à la mention du sexe figurant à son acte de naissance » : il suffit de lui demander comment elle s'identifie et de comparer sa réponse avec ses documents d'identité. Dans cette situation, il est difficile d'imaginer quelle raison légitime pourrait être avancée pour dire que « le changement de cette mention » ne serait pas « approprié » (sauf si l'on compte la transphobie, qui n'est pas un mince obstacle dans le système de santé).

La liste des professionnels autorisés semble n'avoir qu'une raison d'être, la pathologisation des expériences trans : nous avons une « maladie » que psychiatres, psychologues, sexologues et médecins seuls sauront reconnaître, et l'État ne reconnaîtra notre identité que s'ils prescrivent un changement de notre mention de sexe.

La présentation du projet de règlement affirme que « les modifications n'auront pas d'impact financier sur les entreprises et, en particulier, sur les P.M.E. » Je suis prête à le croire, et je ne suis pas surprise d'apprendre où sont les priorités de notre gouvernement, si prompt à la logique néolibérale. Dans nos propres enjeux, les besoins des personnes trans ne sont pas la priorité.

La ministre de la Justice avait toutes les occasions du monde d'entendre les revendications des personnes trans et d'y répondre positivement. Nous avions exprimé notre point de vue en détail pendant l'étude du projet de loi en 2013, et nous avons continué à crier fort depuis -- à Montréal le 10 août, à Québec le 3 décembre. Elle n'en a pas tenu compte dans le projet de règlement. Le résultat, c'est une proposition qui échangera l'injustice des stérilisations chirurgicales forcées pour la souffrance des expériences de vie réelle.

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