Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Non, vous n'êtes pas obligés d'être heureux à Noël

On rit à Noël, on pleure aussi. On s'étreint, on se lance des horreurs à la tête, on se demande pardon. Des portes se referment, d'autres s'ouvrent.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

C'est Noël : musique de crincrin, odeur de vin chaud, crissement des pas sur la neige et tintement des clochettes. Les enfants ont les joues rouges et les yeux qui brillent. Les parents aussi. Mais pas toujours pour les mêmes raisons. On rit à Noël, on pleure aussi. On s'étreint, on se lance des horreurs à la tête, on se demande pardon. Des portes se referment, d'autres s'ouvrent.

Dans le film français «Le père Noël est une ordure», l'acteur Gérard Jugnot, déguisé justement en père Noël, arpente les trottoirs de Paris le 24 décembre pour vendre en douce des revues salaces aux passants avant de retourner chez lui battre sa femme. Pendant ce temps, une équipe caricaturale de SOS amitiés assure une permanence téléphonique déjantée face au désarroi de ceux pour qui Noël est synonyme non pas de chaleur familiale, mais de grande solitude.

Chaque année, dans les consultations de couple, de famille, on entend resurgir les mêmes questions. Ce père Noël, magique et menteur, cette Sainte Famille des crèches, avec ses santons de nostalgie, ces réunions de famille idéalisées ou honnies, que viennent-ils donc remettre en scène dans le théâtre des souvenirs d'enfance et des émotions d'adulte?

Un bonheur contraint?

La célébration de Noël comporte une forte dimension intégrative ou voulue comme telle. La famille organise pour elle-même le spectacle de sa propre cohésion, mais elle le fait sous une forme paradoxale et terriblement contraignante. Fonctionnant comme un idéal censé être partagé par tous - être le membre parfait d'une famille parfaite -, la trêve de Noël véhicule, comme tout idéal, son corollaire obligé : l'impossibilité de l'atteindre. L'injonction consciente, individuelle et collective, à être heureux, à s'aimer, à être bien ensemble, s'énonce au moment même où la mise en présence de tous vient réactiver, dans l'inconscient de chacun, comme dans l'inconscient du groupe familial, tensions, rancœurs, conflits et frustrations.

Des identités qui se chevauchent

Durant la période des fêtes, les consultations en conseil conjugal et familial bruissent de ces paradoxes, sources d'angoisse et de profonde remise en question. Qui allons-nous être ce jour-là? Celui qui sera simplement heureux? Celui qui va jouer le jeu, faire, au moins, semblant et peut-être s'en trouver bien? Ou celui qui, au contraire, saura dire non, s'affirmer, prendre, enfin, sa «vraie place».

C'est en effet le statut de chacun que la réunion de famille vient réinterroger. Les identités vacillent, se chevauchent, s'affrontent, s'affolent. Comment être à la fois, dans le même temps, l'enfant de ses parents, le parent de ses enfants, le beau-parent des enfants de son compagnon ou de sa compagne, le grand-parent de ses petits-enfants? Les jalousies, les rivalités dans les fratries se réveillent. Qui sera le plus aimé, le plus fêté, le plus gâté? Comment être, pour un soir, «tous pareils», alors qu'on est tous si différents.

Les conflits de loyauté

L'organisation même de la réunion de famille constitue souvent un casse-tête. La complexité croissante des configurations familiales et les modes de vie contemporains ne jouent pas en faveur des regroupements faciles et pouvoir «réunir la famille» à Noël peut relever déjà matériellement d'un tour de force. Certains s'en tirent avec des compromis plus ou moins bricolés : le souper du 24 dans la famille de l'un, le dîner du 25 dans celle de l'autre. On fait aussi appel aux moyens de communication modernes : Skype ou What's App, c'est le réveillon 2.0.

Mais ces contraintes matérielles sont à l'image des conflits de loyauté qui émergent à cette occasion. À Noël, on est censé pouvoir tout concilier : ce que chacun doit à sa famille d'origine, à celle du conjoint, à celle que l'on forme avec lui. Autant de rivalités possibles, de lutte pour le pouvoir, de vécus d'exclusion, d'intrusion, dont il est difficile de se dégager. En miroir des fidélités heureuses ou contraintes se dresse le spectre de toutes les trahisons.

Les choses se compliquent encore en cas de séparation. Notamment pour ce qui concerne les enfants. Faut-il, pour «leur bien», pour «leur faire plaisir», continuer de fêter Noël avec son ex conjoint? Il n'y a pas de réponse standard. Si la séparation est claire et apaisée pourquoi pas? Un point semble cependant acquis : la fiction, si elle est mal assumée, d'une famille qui serait, pour un soir, artificiellement reconstituée, angoisse parfois plus qu'elle n'apaise. On peut en revanche signifier quelque chose de ce qui a été, comme de ce qui s'est reconstruit autrement, c'est une question de souplesse psychique et d'organisation.

Le temps de la solitude

Mais Noël, c'est aussi, et pour beaucoup, l'expérience au carré de la solitude. Ceux se retrouvant isolés après une rupture, qui n'ont plus de famille ou que leur famille a laissés pour compte. Pour ceux-là, ce n'est pas seulement le soir du 24 qui est une souffrance, mais toute la période qui précède avec ses vitrines scintillantes, ses promos pour les huitres et le foie gras et ses images omniprésentes d'un bonheur dont ils ont perdu la clé. Devant ces détresses, on connaît le rôle essentiel des différentes associations de bénévoles qui permettent, concrètement, à beaucoup de personnes seules de passer la soirée de Noël sans trop de chagrin. Mais en amont et en aval de ce moment précis de la «fête», le soutien d'un conseiller conjugal et familial revêt là aussi tout son sens. Face à ces vécus d'abandon, de rejet, réactivés par les fêtes, il permet que des mots soient mis, que des ressentiments s'expriment, que des colères rentrées se disent sans danger. Mais il permet également que les émotions heureuses retrouvent leur place, les souvenirs de ce qui a été vécu de bon et qui persiste comme un étayage possible pour l'avenir. Il permet surtout à ceux qui le consultent de se mettre au clair avec eux-mêmes dans leurs choix, leurs décisions, leurs acceptations ou leurs refus.

Choisir sa famille

Au fond, à Noël, on devrait pouvoir choisir sa famille. La choisir, ou non, telle qu'elle est au lieu de la subir. Choisir celle qui existe ou celle formée de proches, d'amis avec qui on se sent libre d'être soi-même. Cela passe sans doute par un renoncement. Renoncement à la perfection, comme aux règlements de comptes. Renoncement aux poisons jumeaux de l'idéalisation comme du sentiment de persécution. Ce qui se joue là, c'est un travail de déconstruction de ces représentations imaginaires où se confondent les imagos parentales avec les personnes réelles. Ce n'est pas parce que c'est Noël que, magiquement, l'histoire familiale se lira autrement. Chacun en a écrit au fil des années une version particulière, mais il est bien rare que ces versions coïncident. Si c'est le cas, tant mieux. Sinon, on peut proposer, à ceux qui en souffrent, de se réconcilier d'abord avec eux-mêmes pour recevoir des autres, ce jour-là, ce qu'ils peuvent leur donner. Pas plus, mais pas moins.

À voir également :

Il faut plus d'une prise pour réussir une photo de famille, la preuve!

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.