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Pourquoi je suis allée chez le coiffeur habillée en homme

J'ai décoiffé mes cheveux, aplati ma poitrine, passé un pull ample, dissimulé la forme de mes hanches en portant mon pantalon en dessous de la ceinture, passé des baskets unisexes. Enfin, je me suis entraînée à baisser le ton de ma voix et je suis partie en quête d'un salon de coiffure pour mettre à l'épreuve mon imposture.
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"Fais pas genre"

Ce matin, pour aller chez le coiffeur, j'ai choisi les habits les moins "genrés" que j'avais. Enfin, soyons honnêtes : je cherchais les vêtements les plus masculins. Méthodiquement, consciemment, j'ai enlevé mes colliers, mes bagues et mes bracelets trop colorés, que j'ai remplacés par la gourmette la plus épaisse en ma possession. J'ai décoiffé mes cheveux, aplati ma poitrine, passé un pull ample, dissimulé la forme de mes hanches en portant mon pantalon en dessous de la ceinture, passé des baskets unisexes. Enfin, je me suis entraînée à baisser le ton de ma voix et je suis partie en quête d'un salon de coiffure pour mettre à l'épreuve mon imposture.

Cela faisait plusieurs jours que je voulais aller chez le coiffeur. Rien de bien compliqué, excepté une condition sine qua non : n'aller que dans un salon aux tarifs mixtes, c'est-à-dire où le/la client.e paye selon la longueur de ses cheveux, la complexité de sa coupe, l'humeur du ou de la coiffeur/se... peu importe, mais pas en fonction de son appartenance... genrée? Sexuée? Je ne saurais dire sur quoi se basent les établissements pour vous facturer à la fin. Si votre cas est "ambigu", vous demanderont-ils une carte d'identité pour trancher ? Et même si cela arrivait, l'appartenance sexuée tamponnée sur un document délivré par une administration aveugle aux nuances et aux subtilités individuelles peut-elle vraiment déterminer si vous devez payer dix-huit ou vingt-neuf euros?

Ne trouvant aucun établissement satisfaisant mon critère, j'ai donc adopté une stratégie plus radicale. C'est avec un mélange d'appréhension et d'excitation qu'ainsi travestie je me suis assise face au miroir. En dépit de la peur d'être démasquée, je me contemplais avec délectation, étant la même que d'ordinaire et totalement différente pour les autres. Tout avait changé : le ton que prenait la coiffeuse pour s'adresser à moi, la façon dont elle s'occupait de moi, et même les instruments qu'elle utilisait pour me couper les cheveux. L'angoisse a refait surface quand il a fallu aller payer au comptoir. J'étais presque persuadée que la coiffeuse avait été dupe. Qu'allais-je faire si la machine indiquait vingt-neuf et non dix-huit euros? Aurais-je le courage de protester et clamer ma fausse identité?

Je suis sortie. J'avais payé dix-huit euros; mes cheveux et ma carte bleue se portaient à merveille. J'avais un sale goût dans la bouche, un drôle de poids sur la conscience.

Malgré toutes mes convictions égalitariste, féministe ou universaliste, j'avais renoncé à mes principes pour endosser le rôle, bien commode dans notre société patriarcale, du genre masculin. Je n'ai pourtant pas l'habitude de considérer ma féminité comme un problème, ni la masculinité comme une solution. Mon style vestimentaire ne revendique habituellement ni l'une ni l'autre. Mais aujourd'hui, en voulant transgresser cette binarité normative, je n'ai fait que la renforcer et l'approuver en en adoptant les codes. Je ne sais pas ce qui est le plus affligeant : que j'aie renoncé à ce que j'ai toujours défendu, à savoir mon droit, en tant que personne du sexe féminin, à bénéficier du même traitement que les hommes, ou que, pour me travestir, je sois moi-même tombée dans de tels clichés de la masculinité.

Ce ne sont pas seulement les discriminations quotidiennes auxquelles se heurtent les femmes dont j'ai brusquement pris conscience, mais, bien plus frustrant, l'immense difficulté d'accomplir un acte réellement subversif. Les carcans sociaux ont toujours un coup d'avance, et dans cette partie, je n'avais été que le fou qu'on sacrifie pour sauver le roi.

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