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Cher Morgan Freeman, vous avez tort

À ceux qui clament que célébrer le mois de l'histoire des Noirs fait en sorte de reléguer l'histoire des Noirs à un seul mois, j'aimerais vous faire le parallèle suivant. En octobre, tout le monde vire au rose. C'est le mois de la sensibilisation du cancer du sein. Est-ce dire que durant le reste l'année, la recherche, la sensibilisation et les témoignages cessent? Question idiote, me direz-vous!
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Le 1er février, le mois de l'histoire des Noirs a été lancé en grande pompe dans plusieurs villes nord-américaines. Cet évènement, qui en est à sa 21e édition dans la métropole a gagné en maturité et surtout a continué de rejoindre un public de plus en plus large et diversifié.

Mais la raison pour laquelle j'écris cet article est beaucoup moins glorieuse. Chaque année, en parallèle aux célébrations entourant le mois de l'histoire des Noirs, un lobby anti mois de l'histoire des Noirs se manifeste en décriant haut et fort l'existence de cet évènement.

Contre le mois de l'histoire des Noirs

Une voix célèbre s'est élevée dans le clan anti mois de l'histoire des Noirs: celle de Morgan Freeman. Dans une entrevue donnée à l'émission 60 minutes du réseau CBS en 2005, il déclarait ceci: «Vous allez reléguer mon histoire à un mois. Je ne veux pas de mois de l'histoire des Noirs. L'histoire des Noirs est l'histoire des États-Unis».

Dans un article publié dans le Huffington Post Québec, mon amie Martine St-Victor rajoutait ceci: «Un mois où les accomplissements de Noirs sont reconnus. Quoi? Pourquoi se limiter à un mois? Ces mêmes accomplissements seraient-ils moins importants, moins spectaculaires où alors ont-ils moins d'impact s'ils devaient être reconnus à longueur d'année?»

Ces deux citations sont un condensé très clair de la position du clan anti mois de l'histoire des Noirs. Mais les questions que nous devons nous poser à la lumière de ces arguments sont: Faut-il passer à autre chose? Le mois de l'histoire des Noirs est-il dépassé?

Février... ce mois le plus court de l'année

À ceux qui clament que célébrer le mois de l'histoire des Noirs fait en sorte de reléguer l'histoire des Noirs à un seul mois, j'aimerais vous faire le parallèle suivant. En octobre, tout le monde vire au rose. C'est le mois de la sensibilisation du cancer du sein. Est-ce dire que durant le reste l'année, la recherche, la sensibilisation et les témoignages cessent? Question idiote, me direz-vous! En fait, ce mois de sensibilisation devient plutôt un tremplin qui permet d'atteindre des cibles claires tant au niveau de la sensibilisation que de la connaissance sur le sujet. Des retombées qui se font sentir et qui résonnent au quotidien.

Il en est de même pour le mois de l'histoire des Noirs. Grâce à cette célébration, nous prenons un temps d'arrêt pour nous questionner sur notre société, sur notre apport à cette dernière et sur les défis à surmonter collectivement. Nous faisons en sorte d'utiliser une plateforme qui jouit d'une grande attention médiatique pour partager plusieurs facettes des communautés noires du Québec. Littérature, politique, histoire, culture, musique, danse et gastronomie figurent sur la liste des disciplines à découvrir. Nous créons des ponts qui, nous espérons, participeront à la construction d'une cohésion sociale et d'un rapprochement culturel basé sur la compréhension et le partage. Oubliez ces histoires de ghettoïsation, nous sommes tous Québécois avec des origines, des parcours et des points de vue différents. Un évènement comme le MHN ne fait que créer des opportunités de partage.

De tradition à nécessité...

Qu'on le veuille ou non, les préjugés et la discrimination basés sur la couleur de la peau persistent encore au 21e siècle. Le savoir et l'éducation demeurent les moyens les plus efficaces pour combattre ces préjugés. Pas besoin de se tourner vers les États-Unis pour réaliser à quel point l'histoire subit une ségrégation qui n'est pas le résultat du mois de l'histoire des Noirs, bien au contraire. Vous a-t-on signifié les origines haïtiennes d'Alexandre Dumas dans vos cours de français? Vous a-t-on parlé de Mathieu Da Costa? Connaissez-vous Richard Pierrepoint, ce héros de la guerre de 1812? Avez-vous eu connaissance du «Underground Railroad» ou de Rose Fortune? Avez-vous entendu parler de Marie Joseph Angélique (Bravo à Tout le Monde en Parle pour avoir invité Tetchena Bellange afiin de parler du film qu'elle a fait à ce sujet et qui a appris à Dany Turcotte que l'esclavage avait existé au Québec)? La réponse est certainement non. De grands moments de notre histoire sont relégués à la petite histoire. Alors, que faire? Continuer de prétendre que miraculeusement ces grands oublis feront soudainement partie de notre histoire?

L'impact de Martin Luther King, Rosa Parks, Malcom X et Nelson Mandela ne doit pas être relégué à l'histoire des Noirs, je le concède. Mais il serait insensé de croire que ces femmes et ces hommes qui nous ont précédés auraient eu le même impact s'ils ne s'étaient pas battus pour la cause des Noirs. Cause qui à mon avis n'est pas totalement dépassée. Le mois de l'histoire des Noirs est une tradition. Qu'il y a-t-il de mal à célébrer ceux qui ont fait en sorte de nous permettre d'avoir une dignité aujourd'hui? Qu'il y a-t-il de mal à vouloir prendre un temps dans l'année pour se souvenir et transmettre un héritage historique qui ne figure pas dans le cursus scolaire?

Une question de dignité et non de couleur

La traite négrière et l'esclavage sont derrière nous et les témoins de ces horreurs ne sont plus. Mais la discrimination raciale existe encore malheureusement. C'est à nous, la génération actuelle, qu'il incombe de transmettre le flambeau du souvenir et de défendre la dignité humaine et pour cela, nous devons connaître notre histoire et être fiers de qui nous sommes et de nos origines. Le mois de l'histoire des Noirs devient en quelque sorte le véhicule par lequel ce flambeau est transmis.

Certains disent que pour éliminer le racisme, il faut éliminer les couleurs. Que le mois de l'histoire des Noirs, en mettant l'accent sur la couleur ne fait qu'accentuer le problème! Ah, vraiment? A moins que l'on devienne tous daltoniens, je ne vois pas comment cela pourrait être possible. Je crois qu'il faut davantage se battre pour éliminer les préjugés et les stéréotypes. C'est là le vrai combat. Nous n'avons pas à diminuer qui nous sommes, notre héritage et notre histoire pour y arriver!

Au-delà du fait historique

Bien au-delà du caractère historique qui ne doit pas être sous-estimé, le mois de l'histoire des Noirs joue un rôle important dans la perception positive des communautés noires. Dans une étude du Conseil des relations interculturelles, l'examen de 600 articles parus en 2008 dans les quotidiens québécois a été réalisé afin de juger du traitement réservé aux groupes minoritaires.

Les résultats

La presse écrite québécoise rapporte davantage des nouvelles négatives sur les immigrants. 48% des articles ont une portée négative, 29% positive et 23% neutre. Sur les 606 articles analysés, 450 (74%) mettent uniquement l'emphase sur le statut d'immigrant des personnes dont il était question dans les articles. Lorsque croisés avec la valeur de la portée de l'article, ces 450 articles ont majoritairement une portée négative.

Que se passe-t-il durant le mois de l'histoire des Noirs? Ces statistiques prennent le champ et on s'aperçoit miraculeusement qu'il existe des gens inspirants, des activités éducatives intéressantes et des enjeux importants qui concernent ces communautés. Les médias prennent soudainement le temps d'accorder du temps d'antenne à des nouvelles à portée positive. Il y a un double effet d'entraînement à cette vitrine. D'une part, elle permet aux Québécois de toutes origines d'avoir un regard différent sur les communautés noires et surtout, elle permet à une jeunesse d'avoir des modèles de réussite positifs tant sur le plan professionnel, académique ou social. Nous ne pouvons sous-estimer cette influence sur le développement identitaire et social d'un jeune! Nous n'avons qu'à prendre l'exemple de l'impact positif de Barack et Michelle Obama sur la jeunesse américaine et même au-delà. Bien évidemment l'idée de maintenir cette attention médiatique est au centre des défis que nous devons surmonter.

Tout comme la lutte pour l'égalité des femmes, je crois qu'il va de soi que le renforcement positif, la médiatisation et la promotion des modèles de réussite sont des armes essentielles pour abolir les préjugés qui persistent encore envers les Noirs et forger un sentiment de fierté collective. C'est toute la société québécoise qui bénéficie des retombées positives de cette célébration.

Je continuerai de célébrer le Mois de l'histoire des Noirs tant et aussi longtemps que :

• Les librairies continueront de mettre en vitrine leurs magnifiques collections d'auteurs Noirs uniquement durant le Mois de l'histoire des Noirs et qu'ensuite elles sont reléguées à la section auteurs Noirs;

• Le cursus scolaire ne sera pas adapté en fonction de l'apport considérable des communautés Noires à la société canadienne et québécoise;

• Tant que les préjugés basés sur la couleur de la peau continueront d'exister.

En attendant, je crois qu'il est important de continuer de mettre nos énergies afin de garantir aux générations futures un monde plus juste et équitable. Certains ont choisi de le faire par l'entremise du mois de l'histoire des Noirs, d'autres le font via la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste, certains ont choisi la Journée de la Femme et j'en passe. On dit que l'intention d'un homme est dans son action, je préfère de loin les gens qui agissent à l'inertie de certains qui condamnent.

Liens intéressants

Mois de l'histoire des Noirs à Montréal

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