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Soldats en Irak, n'allez pas croire que vous reviendrez au Canada sains et saufs

J'implore ceux qui sont déployés en Irak de bien prendre soin d'eux, même si je comprends également le désir de servir qui vous motive. Mais vous devez également comprendre que le soutien que vous promet l'actuel gouvernement n'est que de vaines promesses, ce que vous constaterez avec douleur si vous revenez au pays avec des membres en moins, et malgré le chèque en blanc que vous avez donné à ce pays.
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Il y a, au moins jusqu'au 5 octobre, 26 soldats faisant partie des Forces spéciales agissant à titre de conseillers militaires pour l'armée irakienne. J'ai travaillé à deux reprises avec les Forces spéciales et j'ai également plusieurs amis qui font partie de ce groupe d'hommes et de femmes d'élite. Les membres du Régiment d'opérations spéciales du Canada (ROSC) et de la force opérationnelle interarmées (FOI) comptent parmi les soldats les mieux entraînés de la planète et avoir eu la chance de les côtoyer compte parmi les hauts faits de ma carrière. Quand je repense au temps que j'ai passé en Afghanistan à œuvrer pour ces organisations, je repense particulièrement au moment où mon peloton avait eu l'opportunité de diriger un convoi de ravitaillement destiné à la FOI. Je me rappelle parfaitement être descendu du convoi et avoir été invité à aller profiter d'un bon repas chaud à la salle à manger. Tandis que je m'y rendais, j'ai vu un des hommes les plus musclés que je n'avais jamais vu sur un vélo stationnaire en plein milieu de l'oppressante chaleur d'août. Sa barbe lui descendait jusqu'à sa poitrine et j'ai été surpris d'entendre à quel point le rythme auquel il pédalait ne semblait pas du tout correspondre au rythme de sa respiration.

Après le repas, on nous a invités à prendre part à une courte formation sur un champ de tir et un des soldats des opérations spéciales a eu l'immense courtoisie de me laisser utiliser sa carabine, puisque je n'avais qu'une mitrailleuse légère C9 qui ne m'aurait pas permis de participer à cette formation. Tout soldat qui connaît le moindrement le métier de soldat sait qu'on ne laisse normalement jamais quelqu'un d'autre utiliser notre carabine, car celle-ci est ajustée au micromètre près à notre vision et que même un petit coup peut ruiner l'ajustement de la visée.

C'est une semaine plus tard que j'ai été victime de coups de feu, et j'étais convaincu que j'allais mourir tandis que je perdais et reprenais conscience pendant mon transport vers un point de collecte des blessés. C'est à ce moment que j'ai tourné la tête pour voir qui me transportait. C'était le même soldat qui m'avait prêté son arme lors de cette formation. Je lui ai demandé s'il se souvenait de moi et il m'a répondu par la négative. Je ne peux pas lui en vouloir, car au moment de notre rencontre, ma tête était encore entière. Je lui ai dit que j'étais celui à qui il avait prêté son arme une semaine auparavant et je l'ai remercié pour son geste. Il a réalisé qui j'étais et m'a répondu de ne pas m'inquiéter, car j'allais pouvoir reprendre du service en un rien de temps. J'ai dû reperdre conscience et perdre sa trace, car c'est la dernière fois que j'ai vu ce soldat. Je n'avais pas repensé à cette histoire depuis des années, mais avec le déploiement de nos Forces spéciales en Irak, je ne peux pas m'empêcher de penser que certains des hommes avec qui j'ai travaillé pourraient bien faire partie de ce contingent.

Malheureusement, les blessures que j'avais subies ont voulu que sa prédiction à mon sujet ne se concrétise pas, et j'espère de tout coeur que ce qui m'est arrivé depuis ma libération n'arrivera à aucun autre soldat déployé au nom de notre pays. Le ministère des Anciens combattants ne fonctionne tout simplement pas, alors augmenter encore le nombre d'anciens combattants ne fera qu'aggraver le problème. Un rapport de l'ombudsman des Anciens combattants affirmait que «près de la moitié des anciens combattants les plus gravement invalides ne reçoivent pas l'aide gouvernementale à laquelle ils ont droit pour compenser leurs blessures physiques et mentales».

Ce n'est pas un hasard si on qualifie les tactiques du ministère des Anciens combattants de sans-coeur. La pratique que l'on pourrait qualifier de tactique de blocage (No Go policy) et qui refuse systématiquement toute prestation aux soldats invalides dans l'espoir que ceux-ci baissent les bras et abandonnent est très courante dans la plupart des bureaux du ministère des Anciens combattants à travers le pays. Voici un exemple parmi des milliers d'autres. Un homme que je connais, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, faisait partie de la Brigade des diables, officiellement connue sous le nom de Première Force de Service spécial. En 1944, il a été blessé par des éclats d'obus, en Italie. Il a été blessé au dos et on lui a confié des travaux légers pour le reste de la guerre. Lorsqu'il est rentré au pays en 1946, il a fait une demande de pension d'invalidité des anciens combattants. Il l'a d'abord tout simplement ignoré, mais il a persisté jusque dans les années 50, mais le cours de la vie lui a graduellement fait abandonner tout espoir. On lui avait dit «non» tellement souvent qu'il a tout simplement décidé de dévouer toute son attention à sa famille et sa vie après la guerre plutôt que de rester figé dans le temps à cause du ministère des Anciens combattants. Près de 60 ans plus tard, en 2010, sa santé s'est détériorée et, une fois de plus, il s'est tourné vers le ministère des Anciens combattants. Rien n'a changé. Il s'est de nouveau buté à la politique des trois R: ils vont Retarder leur réponse et Refuser votre demande jusqu'à ce que vous Rendiez l'âme. Pensez-y: pendant 70 ans, cet homme aujourd'hui âgé de 92 s'est battu contre ce ministère tandis qu'au même moment, 11 premiers ministres ont eu droit à leur pension à vie.

Un exemple plus contemporain et celui de la poursuite dite «Equitas», en Colombie-Britannique. Les sept parties demanderesses dans cette poursuite affirment que la Nouvelle Charte des anciens combattants contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en violant le pacte social qui oblige la Couronne à pendre en charge de manière appropriée les anciens combattants blessés et leurs personnes à charge. Bien entendu, le gouvernement fédéral va tout mettre en œuvre pour retarder cette poursuite le plus longtemps possible. Un des sept demandeurs a été blessé en Afghanistan et a perdu un rein, sa rate et une partie de son pancréas. Selon la Nouvelle Charte des anciens combattants, ce héros n'a droit qu'à un seul versement de 41 000$ en compensation.

«Si on met ce montant en perspective, qu'on l'annualise sur 25 ans et qu'on lui verse des paiements mensuels, il recevrait 140$ par mois.»

La situation des Forces armées canadiennes est désespérée, et notre système de compensation d'une décrépitude lamentable. Notre gouvernement dépense 1% du PIB pour la défense, ce qui nous place au même rang que la Lituanie et la Lettonie. On vient tout juste de dire à l'Armée, à la Marine et à l'Aviation qu'ils devront retrancher encore 4% à leur budget, un exploit que seule la Marine croit être capable d'accomplir. Actuellement, nos unités d'infanterie ont de la chance si elles peuvent s'entraîner sur un champ de tir deux fois par an. On a même rapporté que des techniciens qui effectuaient des réparations sur une aviation des forces de l'air devaient composer avec une telle pénurie de pièces de rechange qu'ils ont dû se résoudre à utiliser une pièce fonctionnelle qui se trouvait dans un ancien avion exposé au musée national de la Force aérienne.

L'équipement qu'utilisent nos soldats est dans un si piètre état que les chances de blessures graves s'en trouvent considérablement accrues, et ce sont des blessés que le ministère des Anciens combattants ne pourra certes pas prendre en charge, vu l'état actuel des choses. La vérité toute crue, c'est que le Canada est aussi paré à l'éventualité d'une nouvelle guerre que l'étaient les Hapsburgs en 1914. J'implore ceux qui sont déployés en Irak de bien prendre soin d'eux, même si je comprends également le désir de servir qui vous motive. Mais vous devez également comprendre que le soutien que vous promet l'actuel gouvernement n'est que de vaines promesses, ce que vous constaterez avec douleur si vous revenez au pays avec des membres en moins, et malgré le chèque en blanc que vous avez donné à ce pays.

Bruce Moncur brigue actuellement le poste de député pour le NPD dans la circonscription électorale fédérale de Windsor-Tecumseh.

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