Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Des collectivités s'élèvent contre le transport ferroviaire de pétrole sur leur territoire

Le gouvernement devrait mettre un terme au transport de bitume dilué par rail. En outre, il devrait encourager la fabrication de wagons chauffés destinés à transporter le pétrole non dilué, qui présente beaucoup moins de risques, comme il le fait pour les wagons plus robustes DOT-117.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Les industries ferroviaire et pétrolière exercent une influence considérable sur les gouvernements, faisant pencher la balance en faveur des « considérations économiques », ce qui met souvent en péril la santé et la sécurité de la population ainsi que la protection de l'environnement, y compris à l'échelle planétaire.

Cette mainmise est renforcée par un consensus voulant que les aspects relatifs au transport de pétrole par train relèvent exclusivement de la juridiction fédérale en matière de transport.

À l'heure actuelle, toutefois, des collectivités dénoncent haut et fort cette situation. De plus en plus mobilisées, elles réclament voix au chapitre dans les décisions liées au transport de matières dangereuses sur leur territoire, ainsi qu'aux conditions dans lesquelles s'effectue ce transport.

À la suite d'une décision qui a créé un précédent, la Commission américaine du transport de surface a accordé au conseil municipal de Benicia, en Californie, l'autorisation de rejeter le projet d'un géant du pétrole, la société Valero, visant l'implantation d'une nouvelle infrastructure ferroviaire qui, selon le conseil municipal, présentait des risques pour la collectivité.

Au Canada, les Micmacs de la Gaspésie invoquent la Charte canadienne pour forcer le gouvernement fédéral à bloquer le projet de construction d'un terminal pétrolier à Belledune, au Nouveau-Brunswick, de façon à ce que leur droit constitutionnel à une consultation soit respecté avant que le projet puisse aller de l'avant. Ce dernier est l'un des cinq projets ciblés dans un traité de « résistance collective » signé en septembre par au moins cinquante Premières Nations du Canada et des États-Unis.

En janvier 2016, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale (ACEE) a entériné la demande émise par Écojustice, au nom de Greenpeace et du mouvement Safe Rail Communities, de procéder à une évaluation du projet d'agrandissement du terminal de chargement ferroviaire de Hardisty, en Alberta - une première dans le secteur du transport ferroviaire. (La firme a retiré sa proposition depuis.)

Plus récemment, le conseil municipal de Rimouski au Québec, a demandé au ministre fédéral de l'Environnement de procéder à une évaluation par l'ACEE de toutes les conséquences possibles du projet de terminal ferroviaire à Belledune, qui ferait augmenter le trafic ferroviaire de 220 wagons-citernes par jour sur le territoire de leur collectivité et de nombreux autres villes et villages le long du trajet. Cette requête a été émise en réaction au refus du gouvernement du Québec de mener sa propre étude.

Généralement, l'ACEE ne peut lancer un tel processus d'évaluation que si le ministre de l'Environnement appuie la demande. Le projet de Hardisty, toutefois, a pu échapper à cette condition parce qu'il représentait une exception en tant que « gare de triage ». Toutefois, le ministre du Transport Marc Garneau a devancé la décision de son collègue en énonçant catégoriquement que son gouvernement n'avait pas l'intention de procéder à une telle évaluation.

Au palier fédéral, un projet de loi d'initiative parlementaire déposé par la députée du NPD Linda Duncan, porte-parole du parti en matière d'environnement et de climat, vise à abolir le pouvoir discrétionnaire du ministre de l'Environnement, l'obligeant à procéder à une évaluation, alliée à des consultations publiques, de toute activité considérée comme présentant un risque pour l'environnement, la vie humaine ou la santé publique, en l'occurrence le transport de pétrole brut par rail.

Si elle est adoptée, cette loi contribuerait à élargir le dialogue qui, jusqu'à présent, s'est tenu à huis clos entre Transport Canada et l'industrie, cette dernière menant généralement le jeu.

Au cours des mois ayant précédé la tragédie de Lac-Mégantic, des citoyens avaient exprimé leur inquiétude face à l'augmentation massive du transport ferroviaire de pétrole au centre-ville sur des rails dans un état lamentable. Transport Canada semblait ne pas être conscient de ces risques.

Les choses se seraient-elles passées autrement si le ministre de l'Environnement avait été forcé de prendre en compte les préoccupations des citoyens? La tragédie méganticoise a été causée par une combinaison et une accumulation de facteurs. Cependant, si les citoyens les plus susceptibles de souffrir directement des lacunes en matière de sécurité ferroviaire étaient consultés, on ferait un pas de plus vers la prévention d'autres catastrophes de même nature.

Les collectivités s'inquiètent également du caractère extrêmement explosif du pétrole qui traverse leur territoire. Les sociétés pétrolières réussissent à échapper en grande partie à leurs responsabilités à cet égard, y compris en ce qui a trait à l'adoption de mesures visant à réduire ou à éliminer les risques associés au transport de leurs produits.

Le gouvernement fédéral, en effet, a jusqu'à ce jour mis l'accent beaucoup plus sur la solidité des citernes qui transportent le pétrole brut que sur leur contenu.

Le retrait accéléré des antiques wagons DOT-111, un geste qui a été fort salué mais qui revêt surtout une valeur symbolique, détourne l'attention de la menace actuelle, à savoir que les wagons-citernes CPC-1232, légèrement plus sécuritaires, qui transportent dorénavant la majeure partie du pétrole brut et continuent de dérailler et d'être sujets aux fuites et aux explosions, seront autorisés jusqu'en 2025. En outre, le modèle DOT-117, leur successeur au concept fort amélioré, n'a pas encore fait l'objet d'essais en cas de réelle collision.

L'industrie pétrolière des États-Unis continue à résister aux initiatives visant à lui imposer le retrait, avant le chargement, des composantes les plus explosives du pétrole de Bakken obtenu par fracturation hydraulique (auxquelles on peut imputer la tragédie de Lac-Mégantic et d'autres catastrophes majeures), sous le prétexte douteux que les données scientifiques ne sont pas concluantes. Pour sa part, le gouvernement du Canada semble réticent à s'opposer au transport sur son territoire de pétrole « non stabilisé » en provenance de la formation de Bakken.

La majeure partie du pétrole actuellement transporté par train en provenance de l'Alberta se trouve sous la forme de bitume dilué (dilbit), ou d'une de ses variantes -- soit de pétrole mélangé à 30 % ou plus de diluants pour réduire sa viscosité. Cela donne un produit extrêmement volatil et inflammable, comme l'ont démontré les incendies causés par les déraillements qui ont eu lieu près de la ville de Gogama, en Ontario, en février et mars 2015. Avant les accidents de Gogama, on croyait que le pétrole dilué était beaucoup plus sûr que le pétrole brut issu du gisement de Bakken.

Le Conseil national de l'énergie a récemment soutenu devant un comité du Sénat que sans nouveau pipeline, le volume de pétrole transporté par rail pourrait être décuplé au cours des prochaines décennies. Que des oléoducs soient construits ou non, et nonobstant les allégations exagérées du Conseil, l'industrie prévoit une augmentation du transport de pétrole par voie ferroviaire au Canada au cours des prochaines années.

Peu importe le volume transporté, le bitume dilué constitue une menace réelle pour la sécurité de la population et pour l'environnement, exacerbée par une règlementation qui comporte encore d'énormes lacunes.

Le pétrole transporté sous sa forme non raffinée (qu'on désigne comme le neatbit) présente beaucoup moins de risques que le bitume dilué. Il ne peut ni exploser ni faire l'objet de fuites. Pourtant, dans l'industrie, ce produit est rarement privilégié.

Pourquoi? Cela s'explique en partie par le fait qu'il doit être expédié dans des wagons-citernes spéciaux (isolés et dotés de fils chauffants), qui ne sont pas disponibles en grande quantité à l'heure actuelle. En dépit des avantages économiques potentiels du pétrole non dilué et de son indéniable supériorité sur le plan de la sécurité publique, ni l'industrie pétrolière ni les gouvernements ne semblent pressés de se tourner vers cette option, préférant mettre l'accent sur l'expansion du réseau d'oléoducs.

Tant que l'extraction de pétrole se poursuivra, et tant qu'on continuera à l'acheminer par train, le transport de pétrole non dilué constituerait de toute évidence un moindre mal. Un tel choix permettrait d'éliminer les risques pour la vie humaine et de réduire considérablement les possibilités de dégâts environnementaux.

Le gouvernement devrait mettre un terme au transport de bitume dilué par rail. En outre, il devrait encourager la fabrication de wagons chauffés destinés à transporter le pétrole non dilué, qui présente beaucoup moins de risques, comme il le fait pour les wagons plus robustes DOT-117.

Les collectivités se trouvent sur la ligne de front. Leurs inquiétudes sont toujours aussi vives, n'ayant pas été apaisées par des mesures gouvernementales susceptibles de les protéger. Le gouvernement fédéral ne leur a pas donné non plus l'assurance que la sécurité ferroviaire se trouve en tête de ses priorités. Les citoyens veulent avoir leur mot à dire lorsqu'il s'agit d'autoriser le transport de matières dangereuses sur leur territoire, et ce, dans quelles conditions. Toute tentative d'ignorer ou d'étouffer leur voix sous de douteux prétextes de juridiction seront inévitablement voués à l'échec.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Retour sur l'explosion à Lac-Mégantic

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.