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«Le bon musulman, la brute et le truand»

Le «bon musulman», lui, est pratique, il arrange, il est volubile dans les mots qui rassurent. Son apparence ne dérange pas.
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Comme dans chaque conte ou fable, les acteurs de la scène politique et sociale comptent leur lot de bons et de méchants. Dans les fables et les contes, les méchants on n'en a que faire, ils n'existent pas. Dans la réalité sociale, par contre, ils deviennent des objets de curiosité que la collectivité brandit comme des ennemis pensés comme légitimes.

Sur les scènes sociales et politiques québécoises ou françaises, il est aisé de voir se dessiner depuis quelques années des postures-clés : notamment celle du « bon musulman » et celle de la « brute ». Comme dans toute mise en scène, il y a un « bon musulman » mis en scène comme bon et une « brute » mise en scène comme « méchant ». Donc le « bon musulman» n'est bon que parce que la mise en scène lui permet d'être vu comme bon. Et il en est de même pour « la brute », qui n'est le méchant que parce que la mise en scène lui octroie le fait d'être le méchant.

Le « bon musulman », lui, est pratique, il arrange, il est volubile dans les mots qui rassurent. Son apparence ne dérange pas. Au fond, il parle, mais on ne l'écoute pas, parce que ses propos ne raisonnent pas comme dérangeants, tout du moins ils ne déconcertent pas. Il est esthétique. En somme, il est doux à l'oreille et agréable au regard.

La « brute » est vue comme essentiellement brute. Une brute, c'est méchant. C'est une certitude indéniablement sûre! Une « brute », c'est à ne pas écouter et surtout ça a tort. Quelle que soit sa position, la taille de sa barbe ou la couleur de son voile. Étant donné, qu'il est une « brute » ce qu'il dit ne peut faire de sens. Il est regardé avec suspicion. Il est encouragé à montrer patte blanche partout. On s'interroge sur son potentiel terroriste et le fait qu'il soit un paravent à toutes les atrocités.

Le truand, lui, permet à tout un chacun de devenir le dindon de la farce, qui accepte de voir la mise en scène le conforter avec le « bon musulman ». Le truand pose les termes de la bienséance et indique avec fermeté le ton qui convient et celui qui ne convient pas. Il est dans un rapport de pouvoir sans jamais le dire, pis encore, le plus souvent sans le réaliser. La pratique du truand est une manipulation sociale inconsciente ou consciente, mais dans tous les cas elle est islamophobe, au sens où elle déshumanise «le musulman» en légitimant la suspicion qui l'entoure. En général, le truand se croit bien intentionné. Et de là, il génère les pires inégalités et les moins démocratiques discriminations.

Dans la réalité sociale, il y a ceux qui vivent les blessures et ceux qui les touchent du bout des doigts tout en sachant habilement en parler. L'histoire sociale, elle, retient surtout ceux polarisés que l'on a truandés en les opposant, en les confrontant, en somme en les manipulant. Le truand a besoin du bon et du méchant, même s'il les considère comme étant de la même condition. Ils l'arrangent différemment et à des temps différents. Le bon oublie souvent qu'il n'est que de passage et qu'il peut devenir la brute dès que les astres ne sont plus alignés et que les intérêts changent. Parce qu'en fait, tout est un jeu de perceptions. Oublier cela revient à oublier que les positions sociales se construisent et se défont parce qu'elles dépendent de la perception communément dressée. Le « bon musulman » d'aujourd'hui peut tout à fait devenir la « brute », demain. Au fond, tout dépend du truand.

Fable sans morale n'en est pas une, en voici donc quelques-unes. Morale numéro un : le « bon musulman » devrait toujours réaliser que sa « bonté » est une décision du truand. Morale numéro deux : que le « bon musulman » et que la « brute » prennent garde à ne parler de leur stigmate qu'au truand, en le prenant à parti pour les qualifier. Finalement, la morale principale serait de réaliser que « bon musulman » ou « brute » sont des étiquettes qui sont apposées au bon gré du truand et de la médiatisation outrageuse qu'il fait de ses intérêts.

À relire l'Histoire des luttes, on comprend que la construction d'un « ennemi public numéro 1 » est une bonne démarche pour délégitimer les vraies blessures dans une société. La morale serait de se demander s'il ne faut pas reconnaître celui qui a été le plus injustement traité, car ce qu'il a vécu est un exemple de ce que les autres pourraient vivre.

Les musulmans dans leur ensemble, de confession ou d'apparence, devraient réaliser ce qui fait leur condition : ce qui est construit comme perceptions d'eux et de leur image, la sécurisation dont ils font l'objet, la chasse aux sorcières qui s'illustre dans chacune des attaques inciviles, l'obsession collective dont ils sont les premières victimes. Dans cette condition, il n'est de bon ou de brute, il n'y a que des humains déshumanisés.

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Mai 2017

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